Pierres et plantes à la lumière Akari, quand Danh Vo reviste les lampes de Noguchi

Un jardin de la placidité

d'Lëtzebuerger Land vom 07.01.2022

Trouvez-moi un musée où il n’y ait pas de salle avec à l’entrée un avertissement aux visiteurs, la plupart du temps maintenant par rapport à la sexualité, et l’on met en garde les sensibilités qui pourraient se trouver trop émues, choquées. Il y a certes un panneau à l’entrée du pavillon Leir, au Mudam, deux mises en garde même, ou plutôt deux interdictions, qui vont dans un tout autre sens. Pour la première, elle va de soi, de ne pas toucher les œuvres, des lampes fragiles ; pour les plantes, on signale leur toxicité. Quant à toucher les lampes, il faudrait presque sauter haut souvent, pour les plantes, se baisser. Ce qui correspond parfaitement au titre de l’exposition : A Cloud and Flowers. Voilà le pavillon transformé, des lampes comme faîte, des pierres, des troncs d’arbre et des plantes qui en sortent, par terre. Un jardin de la placidité (qui convient aux temps que nous vivons). Il est le fait de Danh Vo revisitant Isamu Noguchi. Deux artistes entre l’Orient et l’Occident.

On dirait un havre, un refuge, rien de fermé toutefois, avec l’ouverture sur les environs du musée. Et en cela l’exposition reprend exactement ce qui caractérise fortement les deux artistes. Non seulement leur va-et-vient géographique, Noguchi est né à New York, il n’a cessé de fréquenter l’Orient, Danh Vo, lui, originaire du Vietnam, a passé son enfance au Danemark, s’est établi dans le Brandebourg. Et là il s’adonne au jardinage, des hectares de terrain qu’il fait fleurir, et à son père d’en calligraphier les noms latins. Noguchi, né en 1904, mort en 1988, a de façon différente franchi les limites habituelles de l’art, vers le design, au profit de la vie quotidienne, avec les lampes Akari, véritables sculptures lumineuses.

Il y en a une bonne quinzaine, une vingtaine suspendues dans le pavillon, lampadaires, plafonniers, il en existe une centaine de modèles en tout. Les unes de forme plus classique, plus stricte, d’autres plus construites, plus enjouées aussi, comme on voudra, on les rapprochera alors soit de lampions, soit de sculptures de Brancusi (dont Noguchi a été l’assistant brièvement). Et voilà le pavillon qui se mue en serre, avec une lumière vivifiante, Noguchi disait la magie du papier propre à changer l’électricité froide. Une expérience au Japon, un séjour à Gifu, ville où se pratique la pêche au cormoran à l’aide de lanternes, lui avait donné l’idée des lampes Akari, clarté en japonais, liée à la légèreté, papier washi et tiges de bambou ou fils d’acier.

Par terre donc, des pierres, des troncs qui parsèment le sol ; là encore l’Orient n’est pas loin, avec ses oasis qui sont autant de leçons de sagesse. Et de vie qui pousse, laissons une fois de côté la question de savoir si elle tien vraiment du poison, en tout cas, elle ne sera pas la même au fil des saisons, d’ici la fin septembre 2022. Ces minéraux, ces végétaux, les mains de l’homme, de l’artiste, les ont rassemblés, arrangés, en contrepoint aux clouds, c’est le nom d’ailleurs de tels luminaires de Frank Gehry qu’on peut voir dans la succession de Noguchi.

Danh Vo est un habitué du Mudam. Et dans l’exposition le visiteur, à côté d’une encre d’une rose d’Inde, Tagetes erecta, dans la calligraphie de Phung Vo, du père, retrouve la lettre reproduite dans la même écriture d’un missionnaire exécuté au Tonkin au milieu du 19e siècle. Où il est question de tête coupée, « comme une fleur printanière que le Maître du jardin cueille pour son plaisir… ». Plus paisiblement, pour le plaisir des lecteurs, dans les numéros à venir du magazine du Monde, un herbier s’enrichira de semaine en semaine, avec des images des fleurs cultivées par Danh Vo dans le jardin près de Berlin.

Pour Isamu Noguchi, au-delà des lampes, la possibilité sera donnée de connaître le sculpteur, dans une exposition du Museum Ludwig, à Cologne, du 26 mars au 31 juillet 2022. Avec l’éventail très large de son œuvre, allant des sculptures surréalistes des années 40 au projet utopique, grandiose, après les bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki, de son Memorial to Man/ Sculpture to Be Seen from Mars. L’exposition comportera quelque 150 pièces, toutes diront le double engagement de Noguchi, comme artiste porté à l’expérimentation, comme homme engagé pour la vie (sur notre Terre) et la paix.

L’exposition est à voir au Mudam jusqu’au 19 septembre

Lucien Kayser
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