Qu'est-ce qui ferait plaisir à un papa ?

Fête des pères

d'Lëtzebuerger Land du 05.10.2012

Ce week-end, longtemps après les mamans, et bien après leurs homologues belges, allemands ou français, c’est au tour des pères luxembourgeois d’être fêtés. Le timing est étudié, il laisse tout juste un mois aux enfants pour préparer un cadeau à l’école. Grâce à cette tradition, les porte-crayons à base de rouleaux de papier toilette décorés de bandelettes de papier crépon vont revenir orner les bureaux. C’est également l’occasion d’étoffer sa collection de cravates, de tire-bouchons, de boutons de manchettes et d’eaux de toilette.
Qu’est-ce qui ferait vraiment plaisir à un papa ? Un abonnement à Playboy, une bonne bouteille de vin, une tournée des bars avec ses vieux copains d’université… rien de bien avouable à ses enfants. Le risque n’est pas nul de se voir offrir quelque chose de pire que ce que maman a reçu trois mois plus tôt (top 3 des pires cadeaux de la fête des mères : un pèse personne, un robot ménager, un fer à repasser).
Le summum cette année sera, certainement, la tondeuse intégrale « corps et cheveux ». Il est de notoriété publique que la pilosité des hommes tend à se désorganiser avec les années. On perd des cheveux et on gagne des poils. C’est comme ça. On peut y voir une illustration de la loi de la conservation de la matière, mais c’est une façon optimiste de se résoudre à vivre avec une calvitie et une petite touffe brune dans chaque oreille et chaque narine. De même, on pourra envisager comme un effet de la gravité universelle le transfert de masse corporelle qui s’opère entre les muscles des pectoraux et les zones graisseuses qui entourent la ceinture abdominale. Au fur et à mesure des années, l’homme demeure, certes, en âge de procréer mais son physique le rend inapte à la chasse et semble plutôt le prédisposer au statut d’ours en attente d’une prochaine hibernation. Pour les moins chanceux, on serait même tentés d’écrire « d’ours polaire ». Et, naturellement, les enfants attendris par ce pachyderme débonnaire vont lui préparer des dessins naïfs et de mignons poèmes, qu’ils viendront lui présenter au saut du lit, le dimanche matin, lorsqu’il est le plus à son avantage.
En réalité, il serait malvenu de se plaindre alors que, tout bien réfléchi, il n’y a pas de quoi recevoir des cadeaux. Le père, lui, ne souffre pas vraiment lors de l’accouchement. Certes, il doit faire deux heures de queue à l’État civil et à la Caisse nationale des prestations familiales pour déposer tous les formulaires. Certes, il a dû monter le lit enfant, la commode enfant et l’armoire enfant. Certes, il a fallu renoncer au petit coupé sport en faveur d’un monospace aux allures de grille-pain géant. Surtout, il a prêté le ventre de sa femme à un inconnu, pour qu’il s’y installe pendant neuf mois.
Malgré ces quelques menus sacrifices, année après année, avoir pris l’option de pérenniser son patrimoine génétique est plutôt un bon choix, justement du fait de la lente dégradation de notre état physique. Vous aurez encore l’occasion, pendant quelques années, d’être le plus beau, le plus grand, le plus fort, le plus gentil, celui qui peut expliquer, qui rassure, qui termine les puzzles, celui qui porte dans le lit quand il est trop tard, qui connaît des histoires. Celui qui court le plus vite, qui saute le plus haut, qui siffle le plus fort. Celui qui prend le bus numéro 16 pour aller chasser le caribou sur les hauts plateaux du Kirchberg et en ramener des Chocapics et des yaourts à la vanille.
La fête des pères, c’est surtout pénible parce que ce n’est jamais à la même date, et que c’est difficile d’y penser au bon moment pour tous ceux dont les parents vivent dans un autre pays (le 19 mars au Portugal et en Italie, le jeudi de l’Ascension en Allemagne, le deuxième dimanche de juin en Belgique, le troisième en France, le troisième dimanche de novembre pour les pays scandinaves). D’ailleurs, au Luxembourg non plus, ce n’est pas une vraie fête, puisqu’elle ne donne droit à aucun jour férié et, surtout, puisqu’on ne vend pas de merlan frit pour l’occasion. En réalité, la fête des pères, ce n’est pas ce dimanche, c’est tous les jours.

Cyril B.
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