Projet de budget de l'État 2010

Laissez filer !

d'Lëtzebuerger Land vom 01.10.2009

Le gouvernement a raté la fenêtre de tir que la situation économique lui offre pour confectionner un vrai budget de crise et tailler dans la mauvaise graisse du mammouth. Il a remis à plus tard, mais au cours de la législature tout de même, les réformes structurelles qui s’imposent, et qu’on veut lui imposer (UE, OCDE, organisations patronales), notamment dans le social – où il troquera la politique de l’arrosoir à celle de la sélectivité – et dans le système de financement des retraites.

Le sentiment général des milieux économiques après la présentation cette semaine par le ministre CSV des Finances Luc Frieden du projet de budget 2010 est plutôt partagé. Personne n’est vraiment déçu, dans la mesure où aucune organisation patronale n’avait osé émettre des revendications précises, sachant l’État luxembourgeois fauché. 

Le ministre des Finances a quand même tenu compte, dans l’élaboration du projet de budget, d’une « vraie » tranche indiciaire en mars prochain, sans juger nécessaire d’en parler aux organisations patronales, qui espéraient sans doute pouvoir encore influencer les négociations afin d’obtenir une modulation de l’index. La décision de le rétablir dans sa mouture originale a été prise sans ceux qui devront pourtant payer le gros de la facture. 

Le secteur financier devra se contenter de petits gestes de la part de l’État. « Qui ne coûtent pas cher ». Dans son élan pour booster la finance durable, un programme qu’il a inscrit en grosses lettres au menu de la législature 2009-2014, le gouvernement n’a pas pu faire autrement que d’accéder aux souhaits de l’industrie des fonds d’investissement d’étendre l’exonération de la taxe d’abonnement aux fonds investis dans la microfinance. 

Pour le reste, la communauté financière n’a qu’à faire le gros dos, en attendant que passe la crise. Ceci dit, et bien qu’il n’ait aucune marge de manœuvre budgétaire pour le faire à court et même moyen terme, le gouvernement, en grand seigneur, n’a pas exclu une adaptation de la fiscalité des entreprises, au cas où l’un de ses partenaires et concurrents dans l’OCDE se mettrait à baisser les impôts des sociétés. Une promesse qui n’engage pas tellement ou en tout cas seulement ceux qui veulent encore y croire. Les banquiers ont quand même droit à  un chèque de 700 000 euros lié aux dépenses diverses pour le développement de la place financière. Plus du triple de ce qui a été prévu au titre du budget 2009  (une enveloppe de 200 000 euros). Ce crédit n’est pas limitatif. Il ne l’est pas non plus pour la Cellule anti-blanchiment du Parquet qui se voit pour la première fois attribuer un vrai budget, même si ses magistrats doivent se contenter d’une aumône (cent euros). C’est un début encourageant pour un gouvernement qui veut faire une priorité de la bonne réputation de la place financière. 

Première organisation patronale à réagir, la Fédération des industriels (Fedil) comprend difficilement pourquoi l’État ne s’est pas imposé davantage de restrictions dans ses dépenses. « À l’image des entreprises, qui sont obligées de revoir leur budget pour les années 2009 et 2010 vers le bas et de réduire leurs frais de fonctionnement, y compris les frais de personnel, l’État aurait, dans le cadre du budget 2010, pu faire preuve de sa capacité de faire des économies et d’adapter son train de vie à une situation financière des plus délicates ». Aucune organisation patronale n’avait encore poussé de cris d’orfraie, au moment où cette édition était mise sous presse, au sujet du rétablissement de l’indexation dans son intégralité. Pas osé ? 

Les dépenses de l’État augmentent de l’ordre de six pour cent tandis que les recettes fiscales (- 9 p.c. à 8,46 milliards) fondent comme la neige au soleil. Cette disette des rentrées va obliger le gouvernement à solliciter une nouvelle fois le marché de capitaux pour emprunter 1,8 milliard d’euros. Du coup, le déficit public va se creuser au-delà de ce que l’orthodoxie maastrichtienne prévoit : 4,4 pour cent du PIB, alors que le traité prévoit un maximum de trois pour cent. Ce qui constitue quand même une performance relative dans la zone euro, que le grand-duché doit partager avec Malte, également à - 4,4 pour cent de déficit. Les quatorze autres partenaires de l’eurozone affichant un solde largement plus négatif, la moyenne étant de - 6,4 pour cent et de - 7,6 pour l’ensemble des pays de l’Union européenne. 

Reste que la dette de l’administration publique (7,182 milliards au total, soit 19,8 pour cent du PIB) coûte cher au gouvernement – 129 millions en intérêts l’année prochaine contre 39 en 2009 et 29 un an plus tôt – , surtout après le sauvetage du secteur bancaire et ses interventions financières dans le capital de BGL et pour garantir l’accès aux marchés des capitaux à Dexia-Bil. Si par ailleurs le gouvernement a renouvelé sa garantie à la doyenne des banques pour un an de plus (avec la possibilité de proroger le coup de pouce jusqu’en 2014), il en a en revanche revu à la baisse le montant, de 4,5 à trois milliards d’euros. 

Le soutien à la croissance, en maintenant à un niveau élevé les investissements publics, met à peu près tout le monde d’accord. Les signes de reprise économique, la confiance des ménages, les carnets de commande des entreprises et les flux de capitaux dans les banques restent trop faiblards pour que le gouvernement renonce à ses interventions plus ou moins musclées dans l’économie. Bien qu’à y regarder de près, les transferts de capitaux aux entreprises s’affichent à la baisse, alignés sur le niveau de 2008 : 52,8 millions l’année prochaine contre 70,7 cette année.

Les dépenses de fonctionnement de l’État, a souligné Luc Frieden, ne vont augmenter que de 1,5 pour cent. C’est parler hors salaires et loyers. Les traitements des fonctionnaires ne suivront pas le même rythme. Pas vraiment de diète pour eux, puisque les salaires dans la fonction publique feront une poussée fièvre de quelque quatorze pour cent, alors même que l’embauche y est pratiquement gelée. L’explosion de plus de trente pour cent des traitements des instituteurs (120 millions supplémentaires), qui ont vu leur fonction revalorisée et qui sont désormais payés en intégralité par l’État, est sans doute pour quelque chose dans ce « dérapage » des rémunérations dans le secteur public.  Il faut y ajouter aussi le reclassement des carrières, qui a considérablement renchéri la masse salariale. Les salaires et charges sociales coûteront ainsi 1,886 milliard d’euros en 2010, soit 220 millions de plus qu’en 2009.

À l’exception de mesures à l’impact chirurgical, essentiellement imposées par la Commission européenne, le paysage fiscal luxembourgeois ne va pas bouger fondamentalement. Si ce n’est que les contribuables vont désormais pouvoir déduire de leurs fiches d’impôts les dons et contributions qu’ils font à des œuvres caritatives ou fondations étrangères, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’à présent le faire que pour les ONG nationales. L’Administration des contributions a déjà publié une circulaire à ce sujet (juillet 2009). 

Le gouvernement s’est par ailleurs octroyé une marge de manœuvre pour augmenter les droits d’accises sur tous les carburants. Une option qu’il pourrait ne pas lever. Par contre, le relèvement des accises sur les tabacs n’est pas en option. Les taxes vont être relevées à partir du 1er janvier, ce qui n’est pas une surprise. Le prix de vente d’un paquet « populaire » de 25 cigarettes passera ainsi à 4,60 euros. Le niveau d’accises actuellement très bas (37 pour cent) du tabac à rouler des cigarettes  va également être relevé. Idem pour les cigarillos. Finauds, les fabricants de tabac avaient trouvé une parade à la hausse des prix des cigarettes en commercialisant des cigarillos au « goût cigarette », sans payer les taxes qui grèvent les « blondes ». Ce qui avait fait fureur auprès des fumeurs fauchés, le prix des cigarillos Canada dry défiant toute concurrence. 

Le secteur « maritime » luxembourgeois, au sens très large, aura une mauvaise surprise l’année prochaine. Le gouvernement, sous l’aiguillon encore une fois de la Commission européenne – qui jugeait son interprétation élastissime de la directive du 12 février 1979 TVA un peu osée –, est obligé de renoncer au régime d’exonération qu’il avait accordé jusqu’ici aux bateaux affectés à la navigation fluviale. Les exceptions, a dit Bruxelles, ne s’appliquent qu’à la navigation en haute mer, et non pas aux péniches fréquentant les canaux. Aïe ! Certains opérateurs, qui avaient « sauté » sur la niche qu’offrait la fiscalité à taux zéro à la navigation fluviale en commercialisant cet avantage pour y immatriculer des bateaux, en seront pour leurs frais. Mais il est bien connu que désormais les entreprises ne viennent plus s’installer au Luxembourg pour des raisons fiscales. Bienvenue dans l’économie durable.

Véronique Poujol
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