En ce matin du 7 juillet, il fait gris et maussade dans le département du Vaucluse qui, plus que jamais, porte bien son nom de vallée close. Un temps à foutre le cafard à ses habitants qui vont être d’autant plus enclins, tout à l’heure, à glisser un bulletin RN dans l’urne, fermant ainsi un peu plus encore leur vallée aux étrangers et aux idéaux républicains. Et puis, ô miracle, vers midi, le ciel se dégage et le peuple vauclusien refuse le grand chelem au RN qui, comme en 2022, doit se contenter, si j’ose dire, de quatre députés sur cinq. À Gordes, Ménerbes et Bonnieux, les autochtones ont dû estimer qu’il y a trop d’étrangers belges, luxos et parisiens sur leurs terres, alors que la circonscription d’Avignon a sauvé l’honneur en écoutant ses artistes et en envoyant à Paris Raphaël Arnault, le député LFI, pourtant clivant et parachuté.
Contrairement à Aix, l’autre ville festivalière, qui a voté pour le RN, la députée macronienne sortante et sortie Marie-Laurence Petelesplombs ayant fait le choix antirépublicain d’une triangulaire fatale à la démocratie. Yvan continuera donc à faire ses courses uniquement chez des commerçants FN… pour la simple raison qu’il n’y en a pas d’autres. Mais à part le Sud-Est méditerranéen et le Nord-Est mosellan, les Français, dans leur très grande majorité, se sont montrés plus sages et plus responsables que leur président. Ils ont choisi l’honneur, plutôt que l’horreur. Et ils se sont rappelés que, contrairement à ce qu’on veut leur faire croire, ils ont déjà essayé l’extrême-droite : dans les années 1940, avec le maréchal Pétain. Dès le premier tour, d’ailleurs, les jeunes jusqu’à 34 ans ont voté majoritairement pour la gauche. Ce qui est plutôt encourageant pour l’avenir.
La nation a ainsi pris sa revanche sur le peuple, et la solidarité du contrat social l’a emporté sur la haine des réseaux sociaux. Le soulagement, cependant, ne doit pas nous leurrer. N’oublions pas en effet que ce que votre serviteur continue à appeler le Front National reste, qu’on le veuille ou non, le vainqueur de ce scrutin, passant de 89 députés en 2022 à 126 en 2024. Il a certes perdu la seconde étape du scrutin, mais il a bel et bien gagné au classement général, comme on dit en ce moment-même sur les routes du Tour de France. Il est vrai qu’en obtenant 59 sièges contre 31 seulement en 2022, le Parti Socialiste fait mieux en termes de pourcentage et peut ainsi légitimement prétendre au poste de Premier ministre. A condition, bien sûr, que La France Insoumise se soumette à ces combines arithmétiques, ce qui est loin d’être acquis. Mais il est probable que le pouvoir de nuire du père Mélenchon est devenu inversement proportionnel à celui de la mère Le Pen, face à un PS qui est en train de faire avec LFI ce que Mitterrand a fait, en d’autres temps, avec le PCF : une déconstruction.
La Cinquième République a échappé (pour l’instant) au Troisième Reich, mais risque d’évoluer vers une Sixième Chose Publique. L’instauration du quinquennat en a été, on s’en rend compte maintenant, une première étape, en alignant plus ou moins le calendrier de la présidentielle sur celui des législatives. Et en renforçant ainsi, déjà, le Parlement qui est redevenu, après la « bombe dégoupillée » du président, le maître des horloges et du jeu politique. La Quatrième République vous salue bien, elle qui ne mérite peut-être pas d’être tellement décriée aujourd’hui. En attendant, Macron a réinventé, mine de rien, le septennat, car les trois années qui lui restent le verront amputé, quoiqu’il arrive, d’une grande partie de ses pouvoirs. En dissolvant l’Assemblée, il a, d’une certaine façon, imité notre Grand-Duc qui, en refusant de sanctionner la loi sur l’euthanasie, a forcé le gouvernement à lui enlever une part de ses prérogatives. À l’Euro, on appelle cela : marquer contre son camp.
Après les passages à l’acte impulsifs, on semble, désormais, à l’Élysée, prendre son temps, hésiter, tergiverser avant de nommer un nouveau Premier ministre. Et la gauche de s’écrier, avec raison, que le président lui vole sa victoire, quand l’extrême-droite, à tort, accuse le système de lui avoir volé la sienne. Il incombe maintenant aux responsables politiques, mais aussi aux forces civiles, de troquer ce vol pour un envol afin que le sursaut de dimanche dernier ne soit pas un simple sursis, et que le boulevard que la dissolution macronienne a ouvert devant Bardella ne se transforme pas en autoroute pour Le Pen en 2027. (Ceterum censeo : Pim Knaff doit démissionner.)