Série

La révolution verte

d'Lëtzebuerger Land du 06.09.2019

On connaît peu, ou de façon très approximative, la culture juive dans toute sa diversité. Pour ne rien dire des Gitans, autre communauté ciblée des nazis, qui ne disposent toujours pas de nation et demeurent si souvent relégués dans des bidonvilles. Lorsqu’elle est consciente de ses enjeux pédagogiques, la télévision, medium démocratique par excellence, constitue l’outil idéal pour favoriser la compréhension entre les hommes. La caméra peut conduire le spectateur dans n’importe quel milieu social, dans n’importe quel étrange pays, à la rencontre des langues et des particularismes culturels du monde. Quelques fictions nous l’ont encore récemment montré, telles que Les Shtisel : une Famille à Jérusalem, qui infiltre une communauté haredim du quartier de Geula, ou tout autrement la première saison de Family Business.

Disponible depuis le mois de juin sur Netflix, la mini-série française Family Business, avec ses six épisodes de trente minutes, ne nourrit pas une telle ambition anthropologique. Elle se contente, au moyen de la comédie, de divertir le spectateur en le faisant pénétrer dans le microcosme de la famille Hazan, où s’exerce de père en fils le métier de boucher. Mais les temps ont changé et Paris, avec la gentrification, est passée de commune populo à capitale de la grande-bourgeoisie. La famille est ici une petite entreprise qui connaît bien la crise. Au bord de la faillite, elle se retrouve isolée au sein d’un quartier huppé – le Marais - où elle n’a plus vraiment sa place. Le fils, Joseph, grand béta attachant interprété par Jonathan Cohen, rechigne à reprendre la succession familiale, tandis que le père, interprété par Gérard Darmon, se refuse à l’idée de vendre sa boutique. Seule Aure (Julia Piaton), la fille, rousse comptable vive d’esprit, semble vraiment tenir la route dans ce monde de mecs un peu paumés. Mais elle-aussi rêve d’ailleurs, du Japon où elle retrouverait sa petite-amie Tomoko. La mère, quant à elle, n’apparaît seulement que sur une photographie. Les scènes de recueillement sur sa tombe donnent à entendre d’émouvantes prières en hébreu. Quand elles n’offrent pas de beaux moments de réconciliations au sein de la communauté israélite.

Comme dans les comédies italiennes, la famille, première organisation politique selon Aristote, est source de tensions, de rires et de larmes. C’est la porte qui ouvre l’entrée dans le vaste monde, avec ses vertus initiatiques censées préparer aux écueils de la vie sociale. Chacun y reconnaitra quelques traits intimes, tant sont familièrement humaines ses diverses manifestations. De secrètes douleurs viennent ainsi ponctuer le fil des épisodes : le deuil, bien sûr, mais aussi les frustrations – professionnelles pour Joseph, et sexuelles pour Aure qui ne parvient pas à dévoiler son homosexualité à sa famille. Avec ces petits drames personnels et la faillite de l’entreprise familiale, ce sont plus largement les structures traditionnelles qui sont mises à l’épreuve de la modernité. Toutes les relations sont entièrement à repenser, et c’est à travers la recherche de nouvelles configurations que cette série tire sa puissance comique et critique. Comme lorsque le commerce de la viande est troqué pour celui de la marijuana, un trafic dans lequel est impliqué la grand-mère Hazan, jusqu’au chanteur Enrico Macias en personne. De multiples aventures bouffonnes surviennent à Amsterdam, entre embrouilles avec des mafieux locaux et fréquentation assidue de coffee-shop… Une révolution verte est ainsi amorcée. En attendant la deuxième saison de Family Business, dont la récolte est prévue ces prochains mois.

Les six épisodes de la première saison de Family Business sont diffusés sur Netflix

Loïc Millot
© 2023 d’Lëtzebuerger Land