Arts plastiques

Les palettes de Helmut Dorner

d'Lëtzebuerger Land vom 19.06.2020

Le hasard veut que le mot convienne doublement en l’occurrence : de façon tout attendue, il désigne la plaque sur laquelle le peintre prépare ses couleurs, par extension l’ensemble des couleurs qu’il utilise ; ensuite, en changeant radicalement de registre, un plateau de manutention, support en bois pour transporter des marchandises. Et dans l’exposition de Helmut Dorner, sa première à la galerie Nosbaum-Reding, si le visiteur saisit dès son entrée la richesse de la palette des couleurs, il avance, jette après un coup d’œil de côté sur les peintures, leur support justement, construit de la sorte en bois, ce qui en fait ce que le mot allemand rend le mieux, des Bildobjekte. Helmut Dorner, à tous égards, est un artiste porté on ne peut plus fortement vers l’expérimentation.

Je passe sur le fait qu’il a travaillé la sculpture pour commencer, à Düsseldorf, auprès de Gerhard Richter. C’est loin déjà, autour de 1980. Côté peinture, pas d’immobilisme non plus. Les supports d’abord, la toile bien sûr, l’abandonnant ensuite, ou lui préférant momentanément le plexiglas, pour sa qualité lumineuse, où l’artiste joue tantôt sur la limpidité, tantôt la varie en lui donnant une certaine opacité. Et puis il y a ces panneaux de bois qui font que les peintures se détachent davantage du mur, et leurs motifs (on y reviendra) n’en ressortent que plus nettement et s’imposent au regard. Autre variété de choix de médium, de l’huile, épaisse ou diluée, de la laque, de l’acrylique, comme dans notre exposition. Et souvent, à tout cet art multiple, il faut ajouter encore les arrangements auxquels procède Helmut Dorner avec ses tableaux, et de taille très différente en plus, pour en faire des polyptiques. Tous ces moyens aboutissant à une poésie de belle expression, une tension, souvent faite de va-et-vient entre ordre et chaos.

La vingtaine de peintures exposées à la galerie Nosbaum-Reding, d’une certaine façon, s’avèrent dans cet ordre d’idées (ou de visions) d’une plus grande sagesse. On est de suite devant un mur par exemple, à gauche de l’entrée, d’une rangée ou série de cinq tableaux, de près de deux mètres de hauteur, où des formes, figures, plus ou moins abstraites viennent animer, dynamiser la surface ; et entre elles et le fond de la peinture, il s’établit une relation harmonieuse, qui n’est pas non plus mise en question là où les pièces tiennent plus du puzzle, moins simples, plus imbriquées. Il est un certain air, le terme allemand de Stimmung serait plus juste, dans ces peintures, quelque chose de retenu, d’assagi (au meilleur sens), et en même temps d’espiègle, et cela se répand dans toute l’exposition. Et fait le charme, l’attrait de l’expérience visuelle du visiteur.

Il en va de même des petits formats dans l’autre salle de la galerie, avec cet autre paradoxe, prenez tel tableau, de moins de 50 centimètres sur quelque 60, avec sa forme bleue comme gonflée sur un fond ocre orangé, pris dans l’arc de l’architecture : cela fait solennel, mais ne manque pas d’humour non plus, d’autant plus en en considérant le titre de Blaue Hantel. On en lira d’autres, de titres, un sourire aux lèvres, en s’attachant toutefois davantage au geste pictural ; autrement, on pourrait être amené à faire la part plus belle à une quelconque proximité figurative, même esquissée seulement. Ou des fois réduite à rien qu’un extrait. Voire à quelque chose de passager, de fuyant, s’appelant alors Randnotiz.

Ah, les titres, Helmut Dorner en joue avec plus ou moins de raison, toujours avec un esprit tant soit peu malicieux. Et je ne résiste pas à la taquinerie de vous donner celui de l’exposition : Zwischen Tor und Torschrei, c’est vrai pour la légèreté (à côté de la solidité, de la stabilité), la vivacité de son art ; mais le pauvre homme, je ne sais quel club de football il supporte, Düsseldorf (en souvenir de sa jeunesse, de ses études) ou Karlsruhe (où il vit et enseigne à son tour), mais ni l’un ni l’autre, menacés tous deux de relégation, ne donnent à pousser un cri de joie. Mieux vaut se replier sur la peinture.

L’exposition Helmut Dorner, Zwischen Tor und Torschrei, dure jusqu’au 5 septembre chez Nosbaum-Reding ; nosbaumreding.lu

Lucien Kayser
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