Sur le rôle d'un musée

Du fond des temps pour stupéfier les masses

d'Lëtzebuerger Land vom 11.05.2000

L'objet ou la documentation on line du passé ? Est-ce que cela aide ou gène la conservation ? Bouteille à la mer, fausse réalité évanescente, triomphe de l'illusion ? Telle la peinture abstraite qui se dégageait elle-même du devoir de dire la vérité en se débarrassant du monde extérieur ? C'était en substance le propos d'un colloque les 3, 4 et 5 mai intitulé Une histoire sans limites ? Organisé par le Musée d'Histoire de la Ville de Luxembourg, c'était ici au bâtiment Jean Monnet, le troisième symposium des Musées de ville.

À l'attendrissant esclavage de l'objet l'on proposait d'exceller à l'écran

Et voilà pourquoi votre fille est muette. Une centaine de participants venus du monde entier de Dakar à Saint-Pétersbourg, de Jérusalem à Canberra, en passant par Zagreb, Ljubljana et Sion. Historiens mués en managers, les enjeux et les points de départ sont multiples. Mais à part la Russie, le financement des musées et des expositions est encore à résoudre. 

Un musée doit-il être rentable ? Quel rapport avec les sponsors ? Redoutant son influence sur le contenu. Pas les cigarettes, mais oui à la bière ? Donner l'argent à une personne précise, par confiance, sympathie et puis si une ville soutient son musée à cent pour cent, les sponsors, en plus des impôts qu'ils paient, pourquoi soutiendraient-ils le musée ? Mécénat permanent ou mécénat  à l'occasion d'une exposition ? Le mécénat devient-il une source de pression ? Quel rapport entre les sources publiques ou privées de financement et la politique générale du musée ? Le musée doit-il réaliser du merchandising ? Est-il légitime de vendre des collections ?

Les pays d'Afrique, dira Abdoulaye Camara, ont souvent à peine cinquante ans d'âge. Les frontières ne tiennent pas compte des migrations. La pensée unique, les marchés internationaux, l'uniformité aplanissent l'ethno-paysage. Comment participer sans perdre son âme, sachant que l'électricité  reste un luxe et que par conséquent être on line comme porte-bannière, poussée fidèle du passé, paraît acrobatique, mais non exclu.

Alexandra Semonova du musée de Saint-Pétersbourg évoquera le destin d'un personnage, Fredric Cederborgh, qui fut un des auteurs les plus populaires de son temps (1784-1835), mais aussi un des précurseurs du réalisme en Suède. À travers cet auteur, il a été possible de réunir plusieurs mythologies des pays du Balkan (l'Estonie, la Finlande, la Russie et la Suède). Il en est résulté un CD Rom et surtout l'occasion d'échanger des informations en trois langues, mais le musée virtuel, en Russie, n'est pas prêt à remplacer le musée in situ.

L'Australie, représentée par Darryl Mac Intyre  propose un dialogue on line avec les aborigènes, mettant la machine au coeur de la révolution informatique. La Toile pour 25 pour cent des ménages, donc le musée une source de savoir, un temple et un forum à la fois, abolissant la tyrannie de la distance.

Aussi, que faut-il conserver ? Quels peuvent être les critères de sélection d'un musée d'histoire ? Est-il légitime de donner ou de détruire des collections en surabondance ? Que penser de l'évidente préservation, de la notion de patrimoine mondial de l'Humanité, de la muséification du monde ?

Kevin Moore, directeur du futur English National Football Museum (ouverture en décembre 2000) a fait une analyse très fine. Les musées sont en train d'accéder à un rôle qu'ils n'ont jamais eu auparavant. Ils deviennent relevants par toutes les sections de la société. Même le National Trust a investi des fonds dans la maison natale de Paul Mac Cartney. Est-ce que le football mérite un musée ? « Le pouvoir n'est que trop heureux de faire porter la responsabilité diabolique au football de stupéfier les masses, » disait Baudrillard. Basé sur une collection privée qui englobe des arts décoratifs, des anecdotes cachées, des documents historiques, les femmes, les noirs et les écossais face à l'identité britannique. « Tout ce que je sais de la morale et des devoirs, je le dois au football, » disait Camus. Bref, une histoire comportementale.

Le musée de la Bible d'Amsterdam, présenté par Janrense Boonstra, avait misé sur l'éloquence des chiffres. Mais aussi, comment unir Internet et l'envie d'écouter des histoires, celles racontées d'une génération à l'autre ? À Jérusalem, le musée n'a pas de collection. Comment raconter le passé d'une ville sans parler de ses frontières ? Quel héritage choisir ? En faisant des choix qui essaient de surpasser les frontières, Shosh Yaniv jongle avec des concepts brûlants.

La question du financement des collections vue par Nanna Hermansson de Stockholm met le doigt sur les données 

Les archéologues avaient découvert des vestiges d'un bâtiment, une usine de tabac, incendiée en 1753. Des pipes en argile, jamais utilisées, certaines brisées, découvertes dans la cave ont été sujets à discussion. Les politiciens ont suggéré de les vendre pour venir en aide au musée. Non, fut la réponse, car une loi déclarait ces pipes propriétés de l'État. Un autre cas, celui d'un navire naufragé, chargé de porcelaine a été traité un peu différemment. On a vendu des pièces endommagées pour aider l'extraction marine. Faire l'antiquaire est une autre profession. Un tiers des salaires est payé par l'État. À Stockholm il y a soixante musées pour moins d'un million d'habitants, entretenus (mostly) par l'État. Une taille du budget de vingt pour cent du musée de la ville a engendré le départ 18 personnes sur 120 postes, alors que normalement la retraite était à 65 ans. Seuls les grands musées font du bénéfice avec leur cafétéria 

Comment, en Suisse, Jacques Hainard, ethnologue, mène son monde

Comment considérer son public ? Ça, vous voyez, je vous le cache ! Disons qu'une collection est ce qu'on veut bien en faire. Et que les objets sont un dictionnaire et non un garde-fou, c'est un amas de propositions.

Ce colloque a été encadré par l'intervention de Raymond Weber, Directeur de la culture et du patrimoine culturel au Conseil de l'Europe. Citant Heidegger, «  le chemin de moi à moi passe par l'Autre », il dira par après, si l'altérité devient ainsi une façon de décrire l'extraordinaire diversité du jeu social, elle s'impose, en même temps, comme mode d'interprétation du comportement des individus. L'Histoire et son enseignement ne sont pas apparus par hasard dans les programmes  et activités du Conseil de l'Europe.

Viviane Reding, membre de la Commission européenne, chargée de l'Éducation et de la Culture, dira pour conclure : la construction de l'Europe prendra de plus en plus appui sur une relecture et une compréhension nouvelle de son histoire. Encouragé par le projet Euroclio, « les musées Europe » devraient voir le jour à Bruxelles, Berlin, Bonn, Turin, Marseille, Paris, Strasbourg. 

C'est à Adeline Rispal, architecte du musée de la Ville de Luxembourg, qui avait choisi de défendre la mise en scène, des objets que nous aimerions approcher. Tenter de favoriser cette rencontre (entre l'objet, le passé et le public) en créant les conditions dans lesquelles et l'homme et l'objet (ou la ville) peuvent s'exprimer. Prônant, l'intelligence en mouvement.

Le rôle d'un musée est de faire partager un regard. Ne pas singer le savoir des Zoulous, mais essayer d'élaborer un discours autour.

 

Anne Schmitt
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