Le nouveau film de Jean-Louis Schuller, Hytte, est sorti mercredi en salle.
Un mélange heureux de fiction, improvisation et documentaire

Une cabane au bout du monde

d'Lëtzebuerger Land vom 19.03.2021

Connu comme chef opérateur (Foreign Affairs de Pasha Rafiy, Mammejong de Jacques Molitor…) et réalisateur de documentaires (High Low, The Road Uphill), Jean-Louis Schuller poursuit sa découverte des grands espaces isolés. Après Black Harvest en 2015 (qui lui valut son deuxième Filmpräis du meilleur documentaire) avec lequel il emmenait le spectateur dans le Dakota du Nord, voici Hytte, un voyage étonnant dans l’archipel du Svalbard, dans l’océan Arctique.

Un lieu qui, malgré le débarquement régulier de croisiéristes de passage, semble isolé du monde. C’est « the end of the world » entend-on même dans la bouche d’un guide. Un lieu où tout le monde se connaît et où tout étranger qui décide de rester plus que les quelques heures de l’escale de la croisière est immédiatement repéré. Pas de manière agressive, nous ne sommes pas au farwest, mais avec étonnement et curiosité. D’autant plus si l’on vient d’un pays rare comme le Luxembourg. C’est ce qui va arriver à Luc (Schiltz), un cartographe arrivé à l’âge où la vie quotidienne au Grand-Duché l’insupporte au plus haut point. Il a ainsi décidé alors de passer quelques jours tout au nord de la Norvège pour se changer les idées.

On le découvre dans la solitude d’une chambre d’hôtel impersonnelle pendant qu’il regarde un film porno. Puis, le téléphone sonne. C’est son ex. Un appel lié à l’accord passé entre les deux pour que Luc récupère leur fille Mira. On ne saura pas si c’est ce qui l’a poussé à partir, mais on peut s’imaginer que, si ce n’est pas la seule raison, elle est peut-être la goutte qui a fait déborder le vase du raz-le-bol. D’autant que la relation avec la petite semble tendue.

Peu à peu, les quelques jours de tourisme à découvrir les fjords, l’ancienne base russe et la nature environnante, vont se transformer en un voyage bien plus intérieur. Un voyage fait de boîtes de nuit plus ou moins improvisées, d’alcools divers, de rencontres étonnantes, de dialogues surprenants et de quelques « folies » qu’on laissera découvrir aux spectateurs. C’est en rentrant d’une de ces soirées, que Luc rencontre un autre Luxembourgeois, endormi par terre à côté du chemin. Il va parler à Luc d’une cabane – hytte en norvégien – au bout d’un fjord. Un lieu isolé proche d’une crevasse aux pouvoirs magiques où retrouver ses « instincts primaires ».

Une rencontre et une discussion qui marqueront Luc au point qu’il décide de ne pas rentrer au Luxembourg, mais de s’intégrer à la société locale. Une décision poussée aussi par la rencontre d’Ingrid, avec qui il débutera une histoire sentimentale. Mais la cabane en question ne semble pas vouloir se laisser découvrir. Existe-t-elle vraiment ? En attendant de le découvrir il prendra un travail, intégrera la chorale du coin et répondra à toutes les questions plus ou moins pertinentes sur le Luxembourg, les Luxembourgeois et leurs traditions, tout en s’intéressant à celles des autres.

Présents dans tous les plans, Luc Schiltz se donne corps et âme dans ce projet. Il dévoilera même des pans entiers de sa… personnalité. Intrigant, surprenant, maîtrisé, avec des décors fabuleux… ce Hytte est un film court (1h16), mais qui vaut vraiment la peine. Pourtant, le projet était loin d’être facile à mener. Initié il y a sept ans, avec des premières images tournées en 2016, le produit fini n’a plus grand chose à voir avec le projet de départ. De simple documentaire, il est devenu un mélange heureux de documentaire, fiction et improvisation grâce à de nombreux voyages sur place et un processus « organique » explique Jean-Louis Schuller. Luc Schiltz précise : « Je suis allé là-bas six fois deux semaines sur une année, et à chaque fois, je débarquais sans trop savoir ce qui allait se passer. On passait beaucoup de temps à réfléchir, papoter… au fur et à mesure on rencontrait plus de monde et l’histoire prenait forme ». Il poursuit : « Un jour on décidait de tourner une scène. Il y avait parfois des bouts de script, parfois des situations, parfois des besoins spécifiques pour le scénario, mais on était très libre tout le long ». Une sacrée aventure humaine pour un sacré film.

Pablo Chimienti
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