Paris et sa périphérie transmués, les Jeux font s’interroger sur l’histoire des terrains sportifs

Des stades et des arènes

d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2024

On s’en voudrait d’inviter à une visite de Paris en ce moment, la personne ne reconnaîtrait pas la capitale surnommée ville lumière. Elle peinerait à aller dans les lieux que les touristes s’empressent de visiter, des rues sont carrément fermées, ailleurs l’accès est difficile, des gradins ont été construits, et pour la photo des monuments, prière de revenir. Si déjà l’arrivée du Tour de France comme le défilé du Quatorze Juillet ont dû s’exiler et abandonner la place de la Concorde, les Champs-Élysées, la place Charles de Gaulle. Il n’y en a que pour les anneaux multicolores accrochés à la Tour Eiffel.

Ces endroits, les voici transformés en terrains sportifs, de breakdance ou beachvolley, jusqu’au Grand Palais pour l’escrime et le château de Versailles pour l’équitation. Aucun site valant le détour ou le déplacement en temps normal, n’a échappé à la mainmise des Jeux. C’est qu’on les voulait urbains, proches des gens (quitte à déplacer les sans-logis), et il avait même été question d’enlever les boîtes traditionnelles des bouquinistes des bords de la Seine, cette colonne vertébrale fluctuante qui servira pour la cérémonie d’ouverture, peut-être pour les épreuves de triathlon et natation en eaux libres, la ministre des sports a payé de sa personne pour témoigner que le fleuve baignable. Ces Jeux, soyons justes, engloberont aussi une périphérie (au nord) souvent délaissée, le Stade de France y est implanté, on y a construit la gare Saint-Denis-Pleyel, projet phare du Grand Paris Express, et parmi les rares équipements sportifs durables le Centre aquatique, à Saint-Denis. Autre investissement dans le temps dans cet espace, le village olympique.

Plus largement, les Jeux profiteront des terrains récemment (ré)aménagés en province, notamment pour le football à Marseille, Lille ou Bordeaux. Et ils se feront ultra-marins, à l’île de la Réunion, attirés par la douceur du climat, à l’île de Tahiti, pour les vagues fracassantes sur le spot de Teahupo’o, alors que les habitants redoutent à leur tour, après tant de pays et de ville d’Europe, le surtourisme.

Les chances comme les aléas des Jeux, et difficile en plus de prévoir ce qu’il en sera des finances. Un regard sur le passé et le présent, au contraire, permet plus ou moins, d’induire à partir des terrains sportifs, de leur évolution, quel rôle le sport a joué dans la société, quelles en ont été la place et la fonction. L’image du stade remonte au stadion grec, l’arène est davantage associée aux combats des gladiateurs, à l’Espagne et à la tauromachie aujourd’hui vilipendée. Pour faire court, le premier se donne plus ouvert, la seconde comme un espace clos. Et il semble qu’on soit justement passé de l’un à l’autre, dans la même ville, exemplaires le stade olympique de Munich et l’Allianz Arena des Bayern, avec en plus directement l’étroit lien au commerce, à la finance.

Il était une fois les stades, le titre de l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, sonne en l’occurrence comme remontant d’un temps lointain. Où le sport, l’exercice physique en général, visaient la santé publique ; il est vrai qu’en 1916, la date importe, une publication de Vie au grand air identifiait « Bon sportsman et bon soldat ». Nous vivons quant à nous à l’époque d’une société de spectacle, pour citer Guy Debord, le situationniste, et le sport y prend sa bonne part. Il est loin, et pour un peu on se lettrait à le regretter, le temps des capitaines d’industrie du vieux capitalisme, prenant soin de leurs ouvriers, par intérêt bien sûr, leur construisant des maisons, créant des équipes de football ; aujourd’hui, les fonds d’investissement voient le sport autrement, et clubs comme joueurs (qui en profitent quand même, du moins certains) sont réduits en objets de spéculation, sources de profits. Toutefois, les ludi circenses sont bien restés.

Un dessin, parmi la pléthore des documents, a particulièrement retenu l’attention dans l’exposition au Trocadéro : Jeu Ville radieuse, on l’a deviné, de l’architecte Le Corbusier, de février 1939, « dessin en plan du parcours du jeu » reproduit à l’occasion. Avec cet harmonieux agencement qui promet le résultat annoncé dans le titre. Et Le Corbusier, une petite trentaine d’années plus tard, à Firminy, s’en est sans doute souvenu. Un stade vieille manière, avec sa piste d’athlétisme, dans un espace urbain bien vert. Et non pas ces écrins architecturaux (qualificatif pour ne pas négliger leur qualité, et les plus grands noms s’y sont mis) où l’on enferme les joutes qui de toute façon atteignent leur public par les images qui rapportent gros.

Lucien Kayser
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