Au CRP Gabriel Lippmann, neuf personnes travaillent sur le biogaz. Leur objectif affiché : améliorer la rentabilité des unités de biogaz

Extraire un maximum d‘énergie

d'Lëtzebuerger Land du 21.10.2010

Les énergies fossiles sont finies. De pétrole, on en aura pour une soixantaine d’années encore. C’est pourquoi les chercheurs du Centre de recherche public Gabriel Lippmann travaillent au quotidien pour des voies alternatives qui soient plus durables. Ainsi, le département Environnement et Agro-biotechnologies veut promouvoir et optimiser la biométhanisation qui est le processus biologique de dégradation de la matière organique en biogaz constitué majoritairement de méthane (CH4) qui peut à son tour être converti en énergie.

On a tous entendu parler du problème de l’énergie, de sa rareté et donc de son coût croissant. Même s’il y en a qui ne se posent pas de questions, qui consomment de l’essence au jour le jour, il y en a aussi qui ont une opinion forgée sur les énergies dites vertes. Souvent on s’attriste sur le fait que « ce n’est pas rentable ». Mais selon les chercheurs du CRP-GL, ceci n’est pas une fatalité. Au total, neuf personnes travaillent sur le biogaz, leur objectif affiché étant d’améliorer la rentabilité des unités de biogaz.

Pour Philippe Delfosse, chercheur au CRP-GL, le biogaz est une filière à développer : « Elle ne présente que des points positifs ». La matière organique qui n’est plus propre à l’alimentation humaine ni animale peut être recyclée. Ce processus complexe offre des alternatives aux sour­ces d’énergies fossiles traditionnelles. Alors que ces dernières se caractérisent par leurs effets néfastes sur l’environnement et leur disponibilité limitée, le biogaz quant a lui, contribue à assainir des déchets, à diminuer les émissions de CO2 ainsi que les émanations de CH4 en provenance des effluents animaux et humains. Comme la matière organique qui sert de substrat à la formation de biogaz provient in fine de la photosynthèse, et donc de l’énergie solaire, le biogaz est de surcroît renouvelable.

« Le cycle se ferme » avance Philippe Delfosse. Les sous-produits des productions végétales et animales ou des industries agro-alimentaires sont valorisés en énergies et en matière fertilisante. Les digestats, la matière organique non digérée lors de la biométhanisation, et à haute valeur agronomique fertilisante (NPK et autres éléments), peuvent remplacer les engrais azotés minéraux. Cette substitution permet l’économie d’une tonne de pétrole (utilisée par tonne de nitrate synthétisé chimiquement).

« Si on développe la biométhanisation, on pourra aboutir à l’autonomie énergétique et en engrais de nos fermes, il n’y aura plus besoin de pétrole dans l’agriculture » selon Philippe Delfosse. « Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, on continue à épandre environ 150 kg/ha/an d’azote chimiquement synthétisé à partir de l’azote de l’air et ce à grand renfort d’énergie fossile, alors que cet azote est sous nos yeux dans les déjections animales et humaines, et dans les sous-produits des industries agro-alimentaires », déplore Philippe Delfosse. Au CRP-GL, on vise l’optimisation du processus de biométhanisation pour permettre d’extraire un maximum d’énergie de ces « déchets » tout en les assainissant (odeurs et agents pathogènes), et en préservant les fertilisants qu’ils contiennent pour leur valorisation en agriculture. Alors que les critiques avancent que l’épuration du biogaz est trop coûteuse, les chercheurs du CRP-GL répliquent que même le gaz naturel qui contient jusqu’à seize pour cent d’H2S toxique et corrosif, doit aussi être traité à la source avant d’être envoyé dans les gazoducs. On peut appliquer le même principe avec le biogaz et c’est ce qui va se faire au Luxembourg au sein de coopératives destinées à traiter les poubelles vertes. Le biogaz sera épuré, odorisé à des fins de sécurité, et finalement injecté dans le réseau de gaz naturel.

Le but de la recherche au CRP-GL est de trouver des voies plus équilibrées et durables. Les analyses se font à différents niveaux. Au niveau des entrants, les chercheurs évaluent le potentiel méthanogène d’une quantité donnée de matière organique. Comme l’être humain, le digesteur a besoin d’une alimentation variée optimale. Ainsi, on suit le métabolisme des digesteurs en mesurant la quantité, la qualité et la composition du biogaz produit afin de mettre au point la ration alimentaire optimale qui permet d’obtenir un maximum de méthane.

Il faut un suivi rapproché pour pouvoir intervenir rapidement sur le niveau et la qualité de l’alimentation des digesteurs pour « prévenir l’indigestion ». Le temps de séjour dans le digesteur appelé temps de rétention hydraulique, ainsi que la température et le mélange sont aussi déterminants par la bonne digestion. Finalement, les chercheurs doivent veiller à ce que les différentes espèces de bactéries vivent en bonne symbiose.

Dans le laboratoire, quatre digesteurs à mélange continu permettent de réaliser des essais d’alimentation. Philippe Delfosse témoigne : « On les sous-alimente, on les suralimente. On leur fait subir des chocs. On produit des accidents. Bref on les torture. » Ces expérimentations permettent aux chercheurs d’observer les effets au niveau de la composition du gaz et du digestat, ce qui ne peut être envisagé au niveau des unités de biogaz réelles, car les conséquences économiques seraient désastreuses. Également, un laboratoire mobile permet de se déplacer sur les sites afin d’effectuer des diagnostics rapides. Ainsi, le CRP-GL propose un service de conseil aux unités de biogaz.

Six projets de recherche scientifique appliquée dans le domaine du biogaz sont actuellement en cours. Les études portent entre autres sur le potentiel de production et de valorisation de différentes plantes énergétiques au sein de la Grande Région (Projet Interreg IVA – ENERBIOM), sur le potentiel méthanogène de différents substrats, sur l’optimisation de la transformation de la biomasse en méthane par une gestion assistée et sur l’évaluation de l’impact environnemental (Projet Interreg IVA – OPTIBIOGAZ).

Fondamentalement, les chercheurs au CRP-GL pensent vers l’avenir. On y regrette qu’il n’y ait pas plus d’ouverture dans la diversification des substrats comme, par exemple, les stations d’épuration qui ne mettent pas en valeur les éléments nutritifs azotés et l’énergie. Il faudrait aller plus loin. De même pour les tonnes de déchets alimentaires qui sont souvent incinérés alors que ces déchets pourraient être utilisés pour la production de biogaz et d’engrais organiques.

Il faudrait changer notre façon de percevoir ce qu’on appelle aujour­d’hui encore un « déchet ». Philippe Delfosse regrette que l’on considère un pot de yaourt, dont la date de péremption est dépassée, ou les graisses de friture qui hier encore étaient consommées avec des frites savoureuses, comme des déchets. Les essais réalisés au CRP-GL sur de tels substrats ont démontré leur haut potentiel méthanogène et donc énergétique. L’Allemagne le sait, les huiles de friture du Luxembourg y sont exportées et utilisées. Selon Philippe Del-fosse, il serait peut-être utile de revoir la définition des déchets, certains méritant plutôt la dénomination de matière première pour la biométhanisation.

Le secteur de la biométhanisation aurait le vent en poupe au grand-duché ; les mesures incitatives du gouvernement ont permis son expansion et en termes de nombre d’unités par kilomètre carré, le Luxembourg est le champion européen. Néanmoins tout n’est pas rose : il faut beaucoup de courage et de persévérance pour se lancer dans la biométhanisation qui est un procédé relativement complexe. Le poids de la bureaucratie ralentit le cours des choses ce qui fait qu’il faut compter cinq ans à qui veut se lancer dans le biogaz. Néanmoins, le Luxembourg présente déjà 30 unités de biogaz et bientôt six coopératives. Aussi, les gestionnaires d’unité sont souvent exposés à des disfonctionnements dont les causes biologiques ne sont pas faciles à identifier. C’est sur ce terrain que les chercheurs du CRP-GL s’attèlent à trouver des solutions pratiques et réalistes, adaptées à la production luxembourgeoise, mais aussi avec une envergure qui s’étend au-delà de la Grande Région.

Nathalie Oberweis
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