Ticker du 6 octobre 2023

d'Lëtzebuerger Land du 06.10.2023

La belle aubaine

Signature in extremis d’un succès de la politique industrielle (photo : Meco). Telle est en tout cas l’ambition affichée ce jeudi par le gouvernement avec en tête d’affiche les libéraux, Xavier Bettel et Yuriko Backes, ainsi que le socialiste Franz Fayot. A été signé en marge de l’Automotive Day, un protocole d’accord (MoU) portant sur l’installation au Luxembourg du QG européen d’une start-up productrice de batteries automobiles responsables (sans nickel, ni cobalt, ni manganese) : Lyten. Selon le communiqué du gouvernement, la jeune pousse établie en Californie (et qui a ouvert sa première chaine de production il y a quelques semaines) envisage en sus d’implanter au Grand-Duché des services de R&D et « analyse la possibilité » d’installer une « usine pilote ». Avant tout cela, cette signature est du pain béni pour le gouvernement à qui l’on reproche (à tort ou à raison) des échecs dans la politique industrielle (Knauf, Fage et Google). Le Premier ministre aurait débusqué cette pépite lors de sa visite dans la Silicon Valley en mars dernier. Ce qui lui permet de s’afficher dans le plan comm’ au moyen d’une photographie de la balade organisée mercredi sur la Corniche avec le patron de Lyten, Dan Cook. Le ministre de l’Économie est le ministre de tutelle du secteur automobile. La ministre des Finances a autorité sur la SNCI et le Luxembourg Future Fund 2, des outils qui pourraient intervenir dans le financement de l’entreprise. pso

L’ACD et ses soupçons de Cumex

Le fisc luxembourgeois soupçonne la Société Générale d’avoir tenté une manipulation dite « CumEx » à ses dépens. C’est ce qu’ont révélé mercredi les plaidoiries au tribunal administratif où la banque française conteste la décision de l’Administration des contributions directes de ne pas procéder au remboursement de la retenue à la source sur un versement de dividendes. Pour les avocats du groupe bancaire français, le fisc aurait dû y accéder dans le cadre d’un montage financier via un prêt de titres sur des comptes de Société Générale et Parel (une filiale prestataire de services en compensation) auprès de Clearstream.

Une associée du cabinet Elvinger Hoss Prussen, Nadège Le Gouellec, a insisté sur le fait que le montage cochait toutes les cases pour bénéficier de l’exonération. Il aurait été réalisé via un compte ad hoc ouvert chez Clearstream, en plus de son compte trading, pour détenir 100 000 actions de SES, prêtées par un tiers.

Yves Prussen, associé fondateur du cabinet EHP et sommité du Luxembourg juridique, s’est lui-même déplacé au Kirchberg pour lever « la confusion » autour du dossier. Il a retracé la genèse de la chambre de compensation, baptisée Cedel à sa fondation en 1970, « une association de banques pour concurrencer Euroclear créée par J.P. Morgan ». Sous le regard médusé et les sourcils froncés des juges administratives, Yves Prussen est revenu sur la manière de considérer en droit la propriété des « titres et instruments fongibles ». « J’ai écrit un article à ce sujet dans la revue des juristes de banque en 2004. J’ai eu une longue conversation avec André Prüm (professeur de droit), mon premier lecteur, qui n’était pas du même avis ». A été évoqué la logique des prêts de titres par des tiers pour effectuer des opérations de couverture, ce qui expliquerait les changements de mains. Puis la plaidoirie a viré sur le cadre légal des titres dématérialisés. « Je ne suis pas parvenu à convaincre la Commission sur la loi sur la dématérialisation. Philippe Dupont (Arendt & Medernach) a réussi à faire deux lois alors que moi j’en voulais une », a confié Yves Prussen avant de tenter une explication sur le « compte pertinent qu’il faut regarder » et sur ce qui a pu « créer la confusion ». « L’administration a soulevé des interrogations sur CumEx etc., mais ce n’est pas la question », a tenté de balayé l’expérimenté limier.

En vain. Le délégué du gouvernement a mis en lumière le manque « de fiabilité des pièces versées par la partie adverse pour expliquer le remboursement des dividendes ». « Toutes ces pièces sont truffées d’incohérences », a-t-il martelé en montrant des tableaux d’enregistrements comptables des différents comptes concernés. Le fonctionnaire a évoqué « des débats contradictoires » pour comprendre les différents éléments apportés au dossier par la banque durant la procédure : « Cela a nécessité beaucoup de ressources des services. » Puis le représentant de l’ACD assure que la position de la banque a changé après les perquisitions opérées dans des grandes banques françaises, dont la Société Générale, par le Parquet national financier.

Des descentes policières ont été organisées en mars dans cinq sièges de banques à Paris. Celles-ci sont soupçonnées de blanchiment et de fraude fiscale. D’autres perquisitions ont été organisées en Allemagne, notamment chez la filiale de Clearstream, avec qui la France mène l’enquête sur les manipulations CumCum et Cumex. Le montage Cumcum consiste en l’établissement d’un contrat de prêt d’actions « quelques jours avant le versement du dividende, afin de transférer momentanément la propriété juridique de l’action à une banque française, pour sa part quasiment exonérée d’impôt. L’action est ensuite restituée à son propriétaire quelques jours après le paiement », et la banque et le client se partagent les gains d’impôts, explique Le Monde. La manipulation CumEx consiste elle en un échange d’actions à haute vitesse entre plusieurs établissements bancaires pour permettre aux fraudeurs de récupérer plusieurs fois la retenue à la source.

En juin 2022, la ministre des Finances Yuriko Backes (DP) avait informé que différents dossiers comportant des éléments relatifs à « des remboursements de la retenue sur revenus de capitaux et susceptibles de constituer des cas de fraude CumEx ont été dénoncés par les autorités fiscales aux autorités judiciaires aux fins de poursuites pénales ». La rue de la Congrégation distingue les cas où aucun remboursement de la retenue sur revenus de capitaux « a été refusé au préalable au contribuable alors que les conditions légales n’étaient pas remplies et les cas où le remboursement indûment obtenu a été annulé après avoir été constaté lors d’un contrôle ultérieur ». Contactée par le Land mercredi au sujet d’un éventuel signalement pour le cas d’espèce et d’éventuelles perquisitions au siège de Clearstream à Luxembourg, l’administration judiciaire n’avait pas encore répondu jeudi après-midi. pso

Chou blanc

L’étude Plurimedia qui paraît tous les ans pour mesurer l’audience des médias luxembourgeois, radio, TV, internet et presse écrite n’a pas paru en septembre comme prévu (voir page 7). « Les résultats n’ont pas été validés » par trois de ses co-financeurs (CLT-Ufa, Mediahuis et Editpress) qui se trouvent aussi être les principaux médias scrutés. Un problème de méthodologie est avancé. Plusieurs sources concordantes parlent de résultats particulièrement en baisse. Contactés, les trois éditeurs ne nous ont pas communiqué l’étude 2023. Le Service des médias et communications, qui finance le sondage à hauteur de dix pour cent, nous informe que les résultats « ne sont pas publics ». « Les droits d’auteur sont exclusivement réservés aux mandants et le SMC n’a pas de droit de publication », nous informe-t-on au ministère d’État. L’étude Plurimédia 2023 aurait donné une idée de l’efficacité du nouveau régime d’aides à la presse (notamment une contribution de 30 000 euros par an pour chaque journaliste et une aide forfaitaire par titre de 200 000 euros), appliqué pour la première fois en 2022. pso

Conseil lecture

Quand il ne travaille pas pour la fondation Idea, Samuel Ruben écrit des ouvrages sur des thèmes traités par le think tank de la Chambre de commerce, mais de manière plus destroy et plus personnelle. Dans Wunnen : Tout reste affaires, l’économiste remet à plat les discussions sur le logement, qu’il estime éminemment biaisées. « C’est que les 251 000 habitations que compte le Luxembourg valent un gros paquet d’argent et qu’avec autant d’euros en jeu, pas tout le monde parvient à être franc », écrit-il dans un style caractéristique. Samuel Ruben dynamite les idées reçues et les concepts critiquables. Il ne laisse en revanche pas dire que rien n’a été fait au cours des dix dernières années. Bien au contraire. L’auteur (à qui il faut s’adresser pour commander le livre via
samuel.ruben@outlook.fr) propose donc des solutions, comme celle inspirée par les patrons historiques de l’Arbed, à savoir aider les entreprises à loger leurs collaborateurs ou même appliquer la loi, comme celle des bails à loyer, dont la mise à l’épreuve devant les tribunaux lui a personnellement coûté. En quatrième de couv’, Samuel Ruben souhaite « bon courage » à celui qui aura la lourde tâche dans le prochain gouvernement d’appliquer la Constitution (qui en son article 40 indique que l’État veille à ce que « toute personne puisse disposer d’un logement approprié »). pso

Marc Niederkorn

À peine treize mois après en avoir été nommé directeur, Marc Niederkorn vient d’être viré de la SNCI, a révélé Radio 100,7 cette semaine. Les motifs du licenciement seraient « précis, réels et sérieux », a fait savoir la banque publique spécialisée dans le financement des entreprises. Niederkorn est rapidement passé à la contre-offensive médiatique. Dans le Wort, il se fait citer : « Ich wurde vom Präsidenten des Verwaltungsrates [Vincent Turmes, haut fonctionnaire aux Finances] daran gehindert, die internen Reformen umzusetzen, mit denen ich von den Ministern Backes und Fayot beauftragt worden war ». La gouvernance de la SNCI serait restée coincée dans les années 1990 et ne correspondrait plus aux exigences européennes, estime Niederkorn. Avant de se faire recruter par la SNCI, il était « senior partner » chez McKinsey. Très actif dans les structures patronales, il a ainsi rédigé en 2022 un rapport pour la Chambre de commerce (dont il est membre élu) sur le « potentiel d’automatisation » dans la fonction publique. Dans l’éducation, celui-ci s’éleverait à 26 pour cent grâce à la « scalability » offerte par les « virtual classrooms ». bt

Bernard Thomas, Pierre Sorlut
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