Travaux au MNHA

In situ

d'Lëtzebuerger Land vom 23.03.2000

Au soucis austère du lendemain d'une galerie contemporaine ici, succède une voluptueuse inclinaison vers ce qui a vécu. Divers aspects d'un passé luxembourgeois familial, social, biologique voire d'apparat se cô-toient, tournent autour l'un de l'autre tels des aubiers autour d'une moelle. Les vieilles maisons qui abritent la section Vie luxembourgeoise du Musée National d'Histoire et d'Art du Marché aux poissons avaient été acquises sous Pierre Werner (PCS). Disposant du portefeuille et de la Culture et des Finances, ce qui permettait de prendre des décisions et de les voir se réaliser, Pierre Werner avait quand même émis un doute quant à l'investissement. « Sollen déi al Haiser dat wäert sin ? » alors qu'elles somnolaient dans leur existence effacée. Elles n'avaient pas été chères et se vouaient à une dégradation délicieuse. 

Leur voisine qui accueillait la clinique Saint-Joseph avant que l'administration du musée ne s'y installe sera transformée en appartements. « Fir datt Liewen an d'Stad kënnt ». Des enfants dans les escaliers, plutôt que le lancer d'un jet puissant de pot de chambre bruissant sur le pavé comme de grands coquillages ? L'art opère dans des profondeurs d'avant la morale. Les arts appliqués réussissent parfois à toucher juste - au mieux ils joignent l'utile à l'agréable - au pire ils reflètent une mesquinerie détestable. 

Jean-Luc Mousset, conservateur de la section Vie luxembourgeoise torée pluridisciplinaire : « Cette section se définit comme un musée de territoire. Nous avons des collections du XVIe au XXe siècle qui vont des arts décoratifs aux traditions populaires, alimentée par des achats, des prêts, des dons ou par les fouilles archéologiques. Concrètement l'on y rencontre une collection de meubles, de céramiques, d'argenterie, d'étains. Lors de l'aménagement des maisons nous avons tenu compte de leurs successives occupations. Toutes les couches sociales y ont, à un moment ou à un autre, habité. La fonction est d'exposition, donc nous avons une mise en valeur et un contexte à considérer. 

 

Quel choix faites-vous lors de l'exposition d'un objet, car vous avez forcément plus d'objets que d'espace ?

 

Nous tentons d'être homogènes. Un peu aussi de l'état de la documentation, et combien un objet est spectaculaire. Il y a bien sûr une part de mode, de subjectivité consciente ou non de notre  bain culturel. Notre regard change, ainsi que celui du public. Il y a vingt ans, un conservateur décrétait telle chose et elle était admise. Aujourd'hui nous présentons la chose comme une  approche possible. La petite bourgeoisie est comparable à celle d'une ville voisine. Nous n'avons pas de grande bourgeoisie, pas de chefs d'oeuvre de l'humanité, c'est un art réduit que nous rencontrons.

 

Pas de grands excentriques au Luxembourg ?

 

Non, non. J'avais voulu écrire un article intitulé 'À Luxembourg, il n'y a pas de place pour les fous'. Le Luxembourgeois n'aime pas le risque, je l'ai vu confirmé quand je me suis intéressé à la faïence : Septfontaines, plaque tournante  de la faïencerie (1991) - Les critères de la famille Boch étaient très précis, les consignes pour les artisans : pas trop individualiste, beau pas cher, des objets plus fins, du type Sèvres ne se vendaient pas donc le terre à terre primait.

 

Comment l'expliquez-vous ?

 

Le manque d'argent, le manque de connaissances, pas de débats de fond. Pour chaque projet que l'on débute  le terrain est scientifiquement vierge, nous ne sommes pas en mesure de dater précisément quand le Louis XV a fait son apparition ici. 

 

Quelle est votre politique d'acquisition ?

 

L'objet du mois, par exemple, - le pot a oille, offert à l'occasion d'une visite princière, vu dans une collection privée. Il n'y a pas de doute, nous l'achetons. C'est une décision vite prise. D'un blanc éclatant, signé BL - Boch Luxembourg - une soupière pour le régent ! Sinon un objet bien documenté, fréquemment présent - tel le style Henri II - j'ai le choix, si je sais quand, par et pour qui cela a été réalisé, si la facture existe, cela est intéressant pour nous. Un objet rare est intéressant si nous pouvons le cataloguer dans sa signification.

 

Et les ventes ?

 

Oui, cela nous est arrivé. Par exemple pour un portrait du XVIIIe. Un tableau pour deux chez les bourgeois, dans l'aristocratie, il y a un portrait par personne. C'était important pour nous cette acquisition. Sinon le marché est aux mains des antiquaires qui paient cash. Nous, nous passons par facture, c'est plus long.

Les marchands décident de nous informer pour certaines pièces, mais nous n'avons pas d'influence sur les prix. La provenance cependant ne nous est pas toujours indiquée.

 

Est-ce que vous avez des moyens d'enquêter sur les pièces ?

 

Parfois, si le marchand veut bien, parfois c'est très étanche. Avec certains nous avons un gentlemen's agreement - ils nous indiquent toute pièce intéressante, afin que je puisse, pour le moins, la photographier. La constitution des collections passent par le réseau des marchands.

 

Le musée n'a donc pas de priorité ?

 

Légalement non, nous avons juste un droit de pré-option si le patrimoine national sort du Grand-Duché.

 

Quel sont les critères d'un 'objet' ? Êtes-vous friand aussi de livres, de tissu ?

 

Plutôt les estampes que les livres, quoique nous ayons acquis un ouvrage de référence du XVIIe siècle qui nous a servi de base pour aménager notre salle sur les saints patrons, mais cela reste exceptionnel. Nous n'allons pas faire un musée des tissus, cependant les métrages dans les tiroirs ou dans les rayons autant que les vêtements portés sont des indications précieuses sur le quotidien.

Quelles sont les appréciations qui vous différencient du Musée d'histoire de la Ville ?

Il y a des points communs, forcément. Le Musée de la Ville a un caractère événementiel. Nous considérons plutôt le cadre de vie. Nous montrons les intérieurs ; le gros de notre collection vient de la ville de Luxembourg. L'architecture de nos maisons a la priorité, nous la valorisons, tâchons de meubler avec des équivalents.

 

Quelle est votre époque préférée ?

 

Cela fait vingt ans que je travaille dans ce domaine, ce qui m'a toujours intéressé est la culture luxembourgeoise dans un contexte international. Ce qui me passionne peut-être le plus est la bourgeoisie du XVIIIe siècle qui navigue entre ce qui se fait à la cour et le savoir populaire.

 

Les projets de la Vie luxembourgeoise ?

 

L'orfèvrerie au Luxembourg. Nous avons en tant que musée mission de montrer ce que nous possédons et d'approfondir via une publication substantielle. Rien n'a jamais été écrit sur ce sujet.

 

Allié à la recherche scientifique et recherche appliquée, y aurait-il de nouveaux crédits dans ce domaine ?

 

Non, nous avons un budget exposition, mais qui comprend la possibilité de charger quelqu'un d'une publication. Un poste d'assistant pour un an, par exemple (un à deux millions), à appliquer systématiquement à chaque projet. »

Entrons face au chantier qui promet un musée plus haut, plus fonctionnel, une place avec un bistro ouvert le dimanche. Les murs sont d'un vert aquatique, les carrelages italiens sur fond blanc croisent le même vert à du rouge sang, un lustre aux perles de cristal reçoit le visiteur. Des carrés transparents laissent entrevoir une archéologie à portée de talon. 

Turquoise et un floréal cuir de Cordoue provenant d'Echternach pour les pièces du bas, bleu pâle pour la cuisine à la vaste cheminée où il n'y plus la moindre trace de ces incontournables pots gris. Miel au premier derrière les horloges qui n'ont de cesse que de battre. L'une d'elles a, en plus de son carillon, des lunes qui défilent sur son cadran. Au milieu de la pièce, deux personnes, une noire, une blanche astiquent les balanciers. Finie la Stuff ?

 

Durant la rénovation du Musée National d'Histoire et d'Art, la section Vie Luxembourgeoise, 8, rue Wiltheim, reste ouverte au public, les samedi et dimanche de 10 à 17 heures; visites guidées à 15 heures.

 

Anne Schmitt
© 2023 d’Lëtzebuerger Land