Chronique Internet

Facebook a payé pour dénigrer George Soros

d'Lëtzebuerger Land vom 23.11.2018

Mark Zuckerberg s’est démené comme un diable ces dernières années pour convaincre l’opinion que son entreprise avait tout fait pour enquêter en profondeur sur l’utilisation abusive de ses services par Cambridge Analytica et des agences de propagande au service du Kremlin lors de la campagne électorale américaine de 2016 et qu’il avait fait ce qu’il fallait faire pour que de tels abus ne se répètent pas. Or, une enquête détaillée du New York Times montre qu’en dépit de ses gesticulations, Facebook a non seulement réagi très mollement en interne à ces accusations graves, mais a chargé une agence de relations publiques de noircir George Soros, un de ses critiques. Or, il ne faut pas s’y tromper, de la Hongrie de Viktor Orban aux États-Unis de Donald Trump, les attaques contre le milliardaire d’origine hongroise relèvent désormais d’un antisémitisme à peine voilé. Comment Facebook, une des entreprises les plus puissantes au monde, en est-elle arrivée là ?

Dans un mémo interne publié par TechCrunch, l’ancien lobbyiste de Facebook Elliot Schrage prend tout sur lui. Il affirme avoir pris l’initiative de faire appel aux services de l’agence Definers Public Affairs fin 2017 alors que Facebook était dans la tourmente causée par les révélations sur Cambridge Analytica, mais nie l’avoir payée pour qu’elle publie de fausses nouvelles. Selon Schrage, il s’agissait de promouvoir une couverture négative des concurrents de Facebook dont Google, suivant la technique éprouvée de ce que les Anglo-Saxons appellent « opporesearch ». Jamais, jure Schrage, Facebook n’a eu l’intention de faire circuler des thèses antisémites sur George Soros.

Le problème, c’est que Schrage met sa tête sur le billot alors qu’elle est déjà coupée – il a annoncé dès juin qu’il allait quitter Facebook – et que son affirmation que ni Mark Zuckerberg, le fondateur et CEO, ni Sheryl Sandberg, son bras droit, n’étaient au courant, est à peine crédible. Sheryl Sandberg a allumé un contrefeu en affirmant assumer la responsabilité de principe du contrôle de l’activité du département communications de Facebook. Mais on a du mal à croire qu’en plein maelstrom, alors que Zuckerberg mentait – très mal – devant le Congrès, le duo dirigeant du réseau social pouvait ignorer le détail de ce que tramaient ses communicants et lobbyistes.

« Schrage est bel et bien en train de se précipiter sur la grenade », a commenté TechCrunch. Ses efforts pour minimiser l’importance des révélations du New York Times quant au rôle de Definers, suggérant que Facebook avait aussi engagé une agence de relations publiques proche des démocrates, sonnent creux. Il reconnaît avoir demandé à Definers d’enquêter sur Soros après que celui-ci eut attaqué Facebook à Davos, l’appelant une « menace pour la société ». « Nous n’avions pas entendu de telles critiques de sa part jusque-là et voulions établir s’il y avait une quelconque motivation financière », écrit Schrage. Il ajoute qu’après que des attaques ont émané d’un groupe nommé « Freedom from Facebook », Definers a, à la demande du réseau social, enquêté sur le financement de ce groupe et constaté que Soros finançait plusieurs de ses membres. Ces informations ont ensuite été distribuées à la presse pour démontrer ce groupe n’était pas « grass-roots » (né de manière spontanée).

On peut être tenté, face à ces explications laborieuses, de défendre Facebook sur le mode « à la guerre comme à la guerre ». L’entreprise se faisait attaquer de toutes parts à cette époque sur sa complaisance à l’égard des fake news et des factures payées en roubles sans que quiconque dans l’entreprise ne se fût donné la peine de vérifier de quoi il retournait. De même, affirmer, comme le fait Schrage, que Facebook n’a pas demandé à Definers de publier de fausses nouvelles, est parfaitement hypocrite : qui était mieux placé à ce moment-là que les dirigeants de Facebook pour connaître la facilité avec laquelle se propagent les contrevérités ?

Jean Lasar
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