Le ministère d’État s’est immiscé dans les ressources humaines de la Maison du Grand-Duc
après un signalement de mauvais traitement sur une membre du personnel de la Grande-Duchesse

Rechute

La Grande-Duchesse Maria Teresa lors de la remise du prix Grand-Duc Adolphe en juin
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2022

Selon les informations du Land, un cas de mauvais traitement a été signalé au sein du personnel de la Grande-Duchesse Maria Teresa. L’affaire est remontée jusqu’au Premier ministre. Xavier Bettel (DP) s’est entretenu début novembre à ce sujet avec le Maréchal, Paul Dühr. Le représentant de l’État au Comité de coordination de la maison du Grand-Duc, Jacques Flies, s’est saisi du dossier. Il parle de « vif échange ». Interrogé sur d’éventuelles injures proférées par l’épouse du chef de l’État à l’encontre de cette employée de la Cour, Jacques Flies répond qu’il n’a pas « le verbatim » en sa possession. Le secrétaire général du gouvernement ajoute néanmoins que « ces manières d’agir avec le personnel n’étaient pas acceptables ». Mercredi soir, la Cour répond « qu’il y a effectivement eu un incident isolé, fait regrettable et absolument inacceptable ».

Une réunion avec les membres du personnel au service de la Grande-Duchesse a été organisée, informe Jacques Flies. « Pour établir les faits », complète la Cour. La semaine passée, Jacques Flies et Paul Dühr ont rassemblé le personnel de Berg où le couple grand-ducal réside. A été rappelé que depuis l’instauration de la Maison du Grand-Duc le 9 octobre 2020 et en tant qu’employés de l’État, ils bénéficient des droits liés au statut des fonctionnaires. Selon les dispositions protégeant ces agents, leurs supérieurs hiérarchiques, ont l’obligation « de faire en sorte qu’il soit mis fin immédiatement à tout traitement inacceptable à leur égard », explique le secrétaire général du gouvernement. Sont ici compétents le directeur des ressources humaines Gillio Fonck, le chef de l’administration Paul Dühr et le ministre du ressort représenté par le Comité de coordination.

« Concrètement », les trois responsables ont tour à tour expliqué que « face à tout traitement ne correspondant pas aux règles de bienséance communément admises, les personnes concernées sont invitées à quitter immédiatement leur poste et à signaler à leurs supérieurs hiérarchiques les agissements dont elles sont victimes », détaille Jacques Flies. Il revient ensuite aux supérieurs hiérarchiques de faire en sorte que des relations de travail apaisées puissent avoir lieu », poursuit-il. L’Organisation internationale du travail (agence spécialisée des Nations unies) définit la violence et le harcèlement au travail comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique. »

Le représentant du gouvernement tente de minimiser, prétextant un regain d’activité après l’accalmie liée au Covid-19, contexte dans lequel les fondations de la Maison du Grand-Duc ont été jetées. Le calendrier aurait provoqué un accroissement de la tension. Depuis début octobre, la Grande-Duchesse a participé à 22 des 73 évènements publics publiés sur le compte Twitter de la Cour. Celui-ci reprend l’activité du couple grand-ducal et celle du couple héritier. Figure notamment l’organisation à Biarritz le 15 octobre du gala pour soutenir les survivantes de viol de guerre, une cause qui est chère à la Grande-Duchesse.

« On continue de suivre de près », prévient Jacques Flies. Or, toujours selon les informations du Land, deux collaboratrices de la Grande-Duchesse se sont mises en retrait de leurs fonctions. Le bureau de l’épouse du chef de l’État ne compte plus de conseillère ni d’assistante personnelles. Seule l’aide de camp demeure. La Maison du Grand-Duc répond que « dans le cadre des responsabilités qui lui incombent, elle a pris la décision d’affecter deux collaboratrices de SAR la Grande-Duchesse, avec leur accord, à d’autres tâches au sein de la Maison du Grand-Duc ». Pas de réponse à la question de savoir si les deux postes seront à nouveau pourvus. Le départ de la conseillère Alice Gallant s’ajoute à ceux d’autres collaborateurs proches de la Grande-Duchesse. Les départs de Véronique Poujol, Guy Schmit, Isabelle Faber, Roger Nilles ou encore Simone Beck ont alimenté la chronique depuis 2010. L’une de ces personnes évoque « la pression, la brutalité et le mépris » qui rendent le travail « insupportable, voire impossible ». « Ses humeurs changent et ses exigences sont souvent contradictoires. Un jour elle vous charme, un autre elle est irrespectueuse », nous rapporte-t-on dans un témoignage qui converge avec d’autres. Dans son rapport publié en janvier 2020, le super-auditeur Jeannot Waringo relève que 51 personnes ont quitté la Cour entre janvier 2014 et juin 2019 (hors retraite), alors que 110 y étaient employées en moyenne. « Dès les premiers jours de ma présence au Palais, j’ai senti une certaine anxiété auprès des collaborateurs, comme l’anxiété d’être réprimandé ou de perdre leur emploi. J’ai senti une certaine peur du blâme, sans que les collaborateurs aient eu besoin d’exprimer ouvertement leurs sentiments », a ainsi écrit l’ancien inspecteur général des Finances. Il a en outre souligné l’omnipotence de la Grande-Duchesse sur toutes les décisions d’importance en matière de ressources humaines.

En 2015, une femme de chambre à la Cour avait porté plainte pour harcèlement et licenciement abusif. En 2016 dans un entretien à l’AFP, la Grande-Duchesse, forte du soutien de son mari, préférait « faire confiance à la Justice plutôt que de céder à des demandes exorbitantes ». « Il n’est pas éthique de régler nos problèmes avec l’argent du contribuable », estimait-elle. Le procès ne s’est jamais tenu. La Cour venait de revoir son organisation, mettant en place des règles « de bonne gouvernance dictées par un souci de transparence et d’authenticité », ainsi que des « règles d’éthique », avait expliqué l’épouse du chef de l’État. Accusée en février 2020 sur RTL par un journaliste (au Land) pour des violences physiques, la Grande-Duchesse s’était vue blanchie le 1er octobre. Les auditions menées par la police judiciaire n’avaient pas confirmé les affirmations du journaliste et le parquet avait classé l’affaire sans suite pénale.

Il s’agit maintenant de la première crise ouverte depuis la mise en place de la Maison du Grand-Duc. La question de la protection du personnel est aujourd’hui au cœur de la gouvernance de l’institution. Le maréchal y joue un rôle primordial. Or certains écueils émergent depuis l’arrivée de Paul Dühr en avril dernier, en remplacement de Yuriko Backes, qui a quitté la haute administration publique pour la politique et le ministère des Finances au début de l’année. Interrogée sur d’éventuelles divergences au sein du comité de direction, lequel rassemble le maréchal Paul Dühr, Yves Arend, Gilio Fonck, Marc Baltes et le colonel Robert Kohnen, la Maison du Grand-Duc répond : « Le Comité de direction et le Ministère d’État ont géré cet incident en étroite concertation, et il n’y a à aucun moment eu des divergences quant à la réaction appropriée à y apporter. »

La semaine passée, l’annulation du déplacement de la Grande-Duchesse à Londres pour la conférence-phare Preventing Sexual Violence in Conflict Initiative (PSVI) a attiré l’attention. Un court message publié quelques heures le dimanche sur le compte Instagram de la Maison du Grand-Duc justifiait le renoncement par « des raisons familiales ». Or, Maria Teresa, 66 ans, était descendue de l’avion avant son décollage à Paris. La cause ? Peut-être la phobie des transports aériens de l’épouse du chef de l’État. Elle avait été révélée en 2015 par Chantal Selva, sa conseillère privée. Un autre ancien collaborateur de la Grande-Duchesse indique toutefois au Land que la phobie de l’avion de la Grande-Duchesse « dépend de ce qui l’attend à l’arrivée ». Visite d’État en Chine ou au Japon, non. Voyages en Afrique ou à Cuba (où les motivations sont plus personnelles), oui. À Londres, la semaine dernière, Maria Teresa a annulé sa participation à la PSVI où elle devait accompagner Jean Asselborn. Le ministre socialiste des Affaires étrangères avait expliqué (d’Land, 3.12.2022) que Maria Teresa était invitée au titre de présidente de Stand Speak Rise Up!, association qu’elle a fondée à la suite du forum (« mon » forum, dit-elle chez Sud Radio la semaine passée) organisé en 2019 pour soutenir les survivantes de viols de guerre. Paul Dühr a parlé de « mission officielle ». La Grande-Duchesse devait rejoindre le 29 novembre les VIP féminines de la lutte au palais de Buckingham. L’hôte, la reine consort Camilla, a notamment posé aux côtés de la reine Mathilde de Belgique, de la reine Rania de Jordanie ou encore d’Olena Zelenska, épouse du président ukrainien. Manque Maria-Teresa sur la photo.

Une chape de silence se pose à nouveau sur Berg et le Palais. Plusieurs collaborateurs expliquent ne pas parler pour épargner Henri et par crainte de représailles. Jacques Flies réaffirme « la volonté du Premier ministre » de faire appliquer les préconisations du rapport Waringo de janvier 2020. « Il faut que les collaborateurs se sentent de nouveau à l’aise, qu’ils n’aient plus peur d’être réaffectés à un autre poste ou d’être licenciés. Il faut réformer le fonctionnement de notre monarchie sur ce point essentiel », avait-il écrit. La réforme de la monarchie est l’un des succès de la mandature de Xavier Bettel. Ce revirement menace d’ébranler l’accomplissement et de polluer la course du libéral vers son troisième mandat.

Ce nouvel épisode rouvre aussi le débat sur la succession. Lorsque la Grande-Duchesse a été mise en cause en marge de la publication du rapport Waringo, le Grand-Duc avait renouvelé son engagement pour la nation, mais il avait du même coup laissé entendre que la question du départ s’était posée : « Nous allons continuer à vous servir, à être là pour vous et pour le Luxembourg. » Un calendrier était aussi dessiné à gros trait alors que le couple héritier commençait « une vie de famille » : « Il est impératif pour nous en tant que parents de leur permettre de profiter de ces belles années en tant qu’héritiers. » Le prince Charles est né le 10 mai 2020. Son petit frère ou sa petite sœur est attendu(e) en avril.

Pierre Sorlut
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