Roumanie

« Projekt Maramures »

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2019

Viseu de Sus, petit bourg situé au nord de la Roumanie dans le Maramures,  est réputé pour ses paysages paradisiaques, une civilisation paysanne authentique et un mode de vie lié au cycle des saisons que l’on ne retrouve pas ailleurs en Europe. « C’est ici que bat le cœur de notre projet », pouvait-on lire sur le site de « Projekt Maramures », un projet d’insertion de mineurs délinquants allemands mené en Roumanie depuis 2002. Les créateurs du projet promettaient un traitement respectueux des enfants allemands. Toxicomanes, suicidaires ou délinquants en rupture familiale âgés de 12 à 18 ans ont été accueillis à Viseu de Sus pour être réinsérés dans la société grâce à un programme fondé sur le travail, l’éducation et un encadrement psychologique.

Mais depuis le 27 août le site de « Projekt Maramures » est fermé. Une équipe de procureurs s’est rendue sur les lieux et a découvert une réalité bien différente des promesses affichées sur le site du projet. « Des enfants humiliés comme des esclaves, soumis à des méthodes barbares et à des traitement dégradants », peut-on lire dans le communiqué du Parquet roumain. D’après les témoignages des mineurs allemands, Viseu de Sus n’était pas le petit coin de paradis promis par « Projekt Maramures », mais plutôt un goulag pour enfants. « Esclavage, traitements humiliants et dégradants et violences graves… », c’est ainsi que le communiqué des procureurs décrit la réalité cachée derrière le projet idyllique « Projekt Maramures ».

L’aventure a commencé en 2002 lorsqu’un ancien assistant social allemand, Bert Schumann, est venu en Roumanie avec son épouse Babett afin de mettre en place un projet à dimension sociale. Les enfants délinquants, dépendants de drogues ou d’alcool, qui avaient fait l’objet d’enquêtes pénales en Allemagne avaient le choix entre un centre de détention pour mineurs dans leur pays ou le programme de réinsertion sociale grâce au travail dans la Roumanie profonde. Des centaines d’enfants délinquants avaient choisi la deuxième solution et s’étaient retrouvés à Viseu de Sus. Pour chaque enfant inscrit dans ce programme de réinsertion l’État allemand versait au « Projekt Maramures » de 4 000 à 6 000 euros par mois.

Cependant une partie des enfants étaient dirigée vers des familles de paysans de la région de Maramures où ils devaient participer aux travaux de la ferme. Chaque foyer de fermiers recevait environ 600 euros par mois pour accueillir un enfant. Un montant bien supérieur au salaire minimum en milieu urbain qui était de 500 euros. Lors des perquisitions qui ont eu lieu le 27 août au domicile de Bert Schumann, les procureurs ont découvert 137 450 euros en liquide dont le directeur du « Projekt Maramures » n’avait pu justifier la source. Cinq individus, dont Bert Schumann, ont été placés en détention provisoire pour une durée de trente jours, accusés d’avoir créé un groupe criminel coupable de trafic et de séquestration de personnes. Trois autres individus, dont l’épouse du directeur, Babett Schumann, ont été placés sous contrôle judiciaire. Quatre des 21 enfants accueillis dans le « Projekt Maramures » qui s’étaient plaints de traitements abusifs ont été pris en charge par le centre local de la protection de l’enfance.

L’affaire « Projekt Maramures » a choqué l’opinion publique et semé le trouble en Roumanie. « Nous n’en revenons pas a déclaré Vasile Coman, le maire de Viseu de Sus. Je ne crois pas que l’État allemand confie des enfants à une association qui fait du trafic de personnes. J’ai vu passer beaucoup d’enfants inscrits dans ce projet, mais ils étaient bien encadrés par des professeurs et des psychologues. En principe les enfants restaient dans ce centre jusqu’à 18 ans puis repartaient en Allemagne. Une partie d’entre eux avaient appris le roumain et ne voulaient plus repartir car ils s’étaient habitués à vivre en Roumanie. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. »

La direction de la protection de l’enfance du Maramures décline elle aussi son implication dans le projet allemand. « Ce centre était surveillé par les autorités allemandes car ces enfants étaient envoyés en Roumanie sur la base de décisions prises par les instances juridiques allemandes, affirme Adrian Mandru, directeur du Centre pour la protection de l’enfance du Maramures. Ce projet est géré par une association privée et nous ne sommes pas habilités à contrôler ce type d’établissement. » Quant au ministère des Affaires étrangères allemand, on assure que l’ambassade d’Allemagne à Bucarest et le consulat allemand de Timisoara, situé à l’ouest du pays, suivent de près cette affaire et offrent leur soutien administratif en cas de besoin. Derrière les bonnes intentions affichées par le « Projekt Maramures » cette collaboration allemande et roumaine risque de s’inscrire dans la mémoire publique comme une affaire d’esclavage moderne au sein de l’Europe.

Mirel Bran
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