Chroniques de l’urgence

Raidissement

d'Lëtzebuerger Land vom 26.03.2021

De Fridays for Future à Climate Youth, d’Extinction Rebellion au Sunrise Movement, ceux qui se sont engagés physiquement en faveur du climat et de l’environnement ces dernières années dans les pays occidentaux l’ont constaté : les luttes sur le terrain paient. Même lorsqu’elles n’atteignent pas immédiatement leur but affiché, elles contribuent efficacement à faire prendre conscience de la partie serrée qui se joue pour préserver l’habitabilité de la planète. Beaucoup des jeunes qui y participent tenaient pour acquise la liberté de manifester et misaient sur une reprise massive cette année pour remettre la crise climatique au centre du débat. Or, en même temps, une inquiétante tendance s’est faite jour : celle d’un renforcement de l’arsenal répressif et des méthodes de maintien de l’ordre. À la mobilisation croissante contre l’injustice climatique répond un raidissement législatif et policier.

Un exemple flagrant en est venu récemment du Royaume-Uni, avec un projet de loi qui élargirait les pouvoirs de la police pour réprimer les protestations, rendant illégales celles qui causent « un trouble sérieux » et prévoyant des poursuites criminelles contre les manifestants qui causeraient « de sérieuses contrariétés ». La loi créerait de nouvelles restrictions au droit de protester devant le Parlement britannique ; ceux qui défigurent des monuments publics encourraient jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Depuis Stockholm, où elle continue chaque vendredi de camper devant le parlement, Greta Thunberg a saisi la balle au bond et s’est elle-même fièrement présentée comme source de « contrariété ».

Dans le nord du Minnesota, où les fronts se durcissent à propos de la construction de l’oléoduc controversé Line 3, censé acheminer du pétrole d’origine bitumineuse depuis le Canada en traversant la région où naît le Mississippi, ce sont les pratiques policières qui prennent une tournure autoritaire. De nombreux policiers de la zone, payés en direct par le groupe Enbridge, le maître d’ouvrage, interviennent de manière musclée pour étouffer dans l’œuf les protestations contre ce projet climaticide. Le convoi accompagnant Jane Fonda, venue sur place en tant que « water protector », a fait l’objet de contrôles tatillons. Les militants dénoncent une intimidation incessante.

En France, la proposition de loi « relative à la sécurité globale », en voie d’adoption, vise le renforcement des pouvoirs de la police municipale, l’accès aux images des caméras-piétons, la captation d’images par les drones et la diffusion de l’image des policiers. Ses détracteurs y voient une dérive autoritaire caractérisée. Si elle ne vise pas en soi les manifestations pour le climat, il est clair que cette loi les rendra plus difficiles.

Alors que le camp de l’inaction dénonce le risque d’une « dictature écologiste », il n’hésite pas à promouvoir des mesures de type « law and order » destinées à émousser l’efficacité d’actes de désobéissance civile.

Jean Lasar
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