Portrait : Elisabet Johannesdottir

Une si belle présence

d'Lëtzebuerger Land du 05.02.2016

Elle arrive en manteau caramel, petite robe noire impeccable dessous. Dans la vie, quand elle pose avenue de la Gare, cigarette provoquante à la bouche, Elisabet Johannesdottir, que ses amis appellent Eli, a quelque chose de Jean Seberg dans À bout de souffle de Godard (1960), cette « gentille fille », ingénue et décidée à la fois, avec ses yeux si bleus et sa coiffure blond platine, un peu punk dans la liberté absolue que dit son regard ouvert. Elle vient de nulle part ; soudain, elle était là, jouant en parallèle au Théâtre national avec Anne Simon et au Centaure avec Sophie Langevin (voir ci-dessus). Enfin, pas vraiment de nulle part. À 29 ans aujourd’hui, elle vient d’Ehnen, à la Moselle, où habite sa famille, mais aussi de New York et de Los Angeles, où elle a appris le métier d’actrice (de cinéma). Elle vient également d’Islande, comme son nom l’indique. « Mon origine, dit-elle, a toujours été un sujet pour moi. Je n’ai jamais rien fait en islandais par exemple, mais c’est quelque chose qui me préoccupe. J’ai toujours eu un rapport abstrait au concept du doheem (« chez soi »), je ne me suis jamais sentie ‘enracinée’ quelque part ». C’est pour cela aussi que le melting pot New York lui allait comme un gant.

Il faut voir Elisabet Johannesdottir en femme fatale, en salopette noire hyper-sexy, jouant de sa féminité, aguichant un Pitt Simon brut de décoffrage dans Illusions au Centaure. Et, en contraste, en Lilly, chez Anne Simon, dans sa soirée Tennessee Williams le mois dernier au Théâtre national, cheveux fuchsia ébouriffés et jupon en crêpe. Ou alors en garçon malade, recroquevillé sur soi sur les marches de ce décor impossible de la soirée Williams, frêle corps souffrant. Elle a appris à jouer devant la caméra, à ignorer la technique qui l’entoure, et de jouer pour les gros plans. Mais la vie, un enchaînement de hasards et de rencontres, l’a menée plutôt sur les planches au Luxembourg. Il y eut surtout, comme pour beaucoup d’acteurs de sa génération, Anne Simon et son énergie débordante, sa confiance dans le talent des jeunes qu’elle rencontre. Anne lui a donné une chance dès ses premiers pas au grand-duché, la faisant jouer dans My name is Rachel Corrie, en 2011 à la Kulturfabrik, puis, en 2015, dans Killer Joe de Tracy Letts au Capucins. « C’est incroyable d’être sur scène et d’avoir à gérer cette intensité de la relation au public, leur retour » – Eli a un grand sourire quand elle raconte son expérience dans cette petite salle qu’est le Centaure, où les acteurs sont à un mètre du public, qu’ils ressentent leurs moindres réactions. « Au théâtre, tu prends un autre risque qu’au cinéma, tu ne peux rien cacher. »

Alors elle expérimente, se laisser guider par ses pairs, apprend d’eux. Comme de Steve Karier, avec lequel elle a joué au Théâtre national, dont elle a admiré l’énergie, l’usage du corps, le professionnalisme, la malléabilité et la concentration. Et parlé de théâtre islandais : Karier avait monté les contes nordiques d’Edda, remontant au XIIIe siècle, il y a des années. Peut-être qu’un jour, ils travailleront ensemble sur ça, ces racines d’Eli.

Et elle n’a pas peur d’échouer. Formée en anglais, elle n’a pas hésité à jouer en français pour la première fois au Centaure. Elle a un accent à couper au couteau, est parfois hésitante dans son usage de la langue, mais on s’en fout, tout notre quotidien est fait de changements de langue et d’accents. Illusions ne parle-t-il pas du pouvoir de la langue ? « J’ai toujours l’impression de grandir avec les défis que j’accepte, et qui parfois semblent me dépasser. C’est comme ça que j’avance, dit-elle. D’ailleurs je ne sais jamais ce qu’une pièce va devenir avant d’avoir rencontré les autres acteurs. » Alors chaque production lui apporte de nouvelles connaissances sur elle et le métier, sur la fragilité éphémère du théâtre, sur son corps, sa langue, son aptitude à être présente sur scène. C’est ce qui la démarque dans beaucoup de productions : cette présence incroyable sur les planches, cette ouverture généreuse au moment. « J’ai eu beaucoup de chance. Anne Simon et Sophie Langevin ont été géniales avec moi, elles m’ont ‘partagée’ et m’ont fait profiter de leur expérience dans le métier », se réjouit Eli.

Ses projets ? Elle aimerait jouer Shakespeare ici, mais aussi Sam Shepard, ou Cindy Lou Johnson par exemple. Elle écrit un scripte pour une série appelée Princess Problems, avec son amie Gintare Parulyte. Et elle voudrait s’impliquer davantage sur la scène locale, « on a une autre responsabilité ici, c’est un petit monde au Luxembourg. » Cela fait dix ans qu’Eli joue. « ‘It takes 20 years to be an actor’ m’a-t-on appris à l’école. J’en suis donc à mi-parcours ». Il faudra la suivre, Eli.

josée hansen
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