Impôts sur l'exploitation d'une clinique

Boomerang

d'Lëtzebuerger Land vom 17.07.2008

Les héritiers d’une célèbre maternité de la route d’Arlon, dont les services ont été transférés à l’Hôpital du Kirchberg il y a deux ans, sont en conflit avec l’Administration des contributions directes (ACD). Le fisc leur réclame des impôts sur l’exploitation de la clinique jusqu’en 2005 et refuse catégoriquement, malgré les promesses contraires tenues par le gouvernement, de déduire de leur bulletin d’impositions les subventions injectées dans l’établissement. 

L’État le fit au titre d’une réglementation de 1996, qui fut l’une des étapes clefs de la réforme hospitalière engagée sous l’empire du ministre socialiste de la Santé de l’époque, feu Johnny Lahure. Le règlement grand-ducal fut adopté dans l’urgence, donc sans le feu vert du Conseil d’État, qui « décrétait » implicitement que ces subventions ne constituaient pas des revenus imposables, aussi longtemps que la clinique serait en exploitation. Or, tout ce qui a trait aux impôts est un domaine sacré qui requiert l’intervention du législateur. À cette époque, le pouvoir exécutif crut pouvoir s’en passer. Personne ne doit s’en étonner. La procédure parlementaire aurait probablement fait barrage à une réglementation qui violait le principe de l’égalité devant l’impôt. On ne peut pas traiter Paul plus favorablement que Pierre. Le retour de boomerang s’est produit la semaine dernière. L’affaire lève aussi le voile sur les petites combines de l’époque.

On peut s’interroger, avec douze ans de recul, sur les raisons qui ont poussé le gouvernement d’alors à soutenir financièrement une clinique privée aux affaires aussi florissantes. Son bénéfice commercial s’établissait à 2,162 millions d’euros en 2002 et 792 311 euros en 2003. Ce fut d’ailleurs bien le seul établissement dans le paysage hospitalier privé d’alors à faire des bénéfices, ce que la budgétisation des hôpitaux a désormais rendu impossible. Les autres cliniques privées montraient des pertes importantes que l’État avait donc dû compenser lors de la réforme hospitalière, pour « mettre les compteurs à zéro ». Le règlement grand-ducal de 1996 apurait ainsi les créances qui existaient au 31 décembre 1994.

Pour résumer, parce que ses affaires tournaient bien, la clinique de la route d’Arlon a touché une sorte de « prime » en gage de ses performances. Dans le jugement du tribunal administratif, ses co-exploitants – qui n’étaient d’ailleurs pas des médecins – indiquent qu’ils avaient négocié avec l’État une compensation pour les subsides que les autres hôpitaux avaient perçus par le passé, payable sous forme d’amortissement à verser jusqu’à la fin de l’exploitation de l’établissement fin 2005. Les valeurs à prendre en considération et les amortissements étaient payés tous les ans par l’Union des caisses de maladie. À chaque fois, il s’agissait d’un montant de 238 407 euros. 

Johnny Lahure a accordé des passe-droits, mais il n’a pas eu le courage d’assumer politiquement ce choix. Son lointain successeur a hérité d’un dossier empoisonné. En août 2006, le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Mars di Bartolomeo, a dû ainsi reconnaître que le règlement de 1996 n’avait pas pu préciser le traitement fiscal de la clinique « sous peine de se heurter aux normes supérieures du droit fiscal et de dépasser sa base habilitante ». L’affaire, qui a abouti la semaine dernière à un premier jugement du tribunal administratif, témoigne d’une conduite très approximative avec les principes du droit et de l’égalité des citoyens devant la loi qu’a menée le gouvernement dans les années 1990.

Au nom de la loi, le bureau d’imposition Luxembourg 1 de la section des personnes physiques de l’ACD a tenu compte des subventions annuelles encaissées par la clinique pour établir le bénéfice commercial. Les agents du fisc prennent même en compte les subventions touchées entre 1995 et 2001 pour l’imposition des années 2002 et 2003. Pour une partie, il y aura toutefois prescription. Les bulletins d’impôts sont aussitôt contestés par les co-propriétaires et co-exploitants, qui demandent l’arbitrage du directeur de l’ACD, lequel évidemment soutient l’opinion de ses agents. L’affaire atterrit alors devant le tribunal administratif. Les juges n’ont pu que conforter le directeur de l’ACD en rappelant deux principes constitutionnels de base : le premier inscrit à l’article 101 de la Constitution disposant qu’« il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi » et le second selon lequel « aucun impôt au profit de l’État ne peut être établi que par une loi ». La sentence, qui pourrait être frappée d’appel,se passe de commentaire. 

Véronique Poujol
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