Fiscalité

L’envoûtement suisse

d'Lëtzebuerger Land vom 28.10.2010

La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont annoncé, les 25 et 26 octobre respectivement, l’ouverture de négociations bilatérales avec la Suisse dans le domaine fiscal. La France et l’Italie pourraient leur emboîter le pas. Mais la Commission européenne veille au grain : pour la gardienne des traités européens, il est hors de question que les États membres de l’Union cèdent à toutes les avances de Berne sous prétexte de devoir regarnir leurs caisses.

La Suisse a proposé à Londres et Berlin d’instaurer un impôt libératoire à la source qui permettrait non seulement de régulariser la situation des Britanniques et des Allemands qui ont dissimulé des fonds sur son territoire, mais également d’assurer l’imposition des revenus de leurs placements, tout en préservant leur anonymat et donc le secret bancaire. La Suisse se limiterait en effet à fournir à la demande des informations sur des cas d’évasion fiscale aux administrations étrangères, suivant les prescriptions de l’OCDE. Les trois pays devraient entrer en négociations au début de 2011 afin de peaufiner le dossier.

Le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, n’a jamais caché son incrédulité à l’égard du projet helvétique, qui vise clairement à court-circuiter à l’avance toute tentative de l’UE d’imposer à la Suisse l’application du système de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales. Pourquoi l’Allemagne, par exemple, s’acharnerait-elle encore sur Berne alors que, selon certains médias, elle pourrait récupérer 30 milliards d’euros sans coup férir ?

Algirdas Semeta, un grand contempteur du secret bancaire, soutient au contraire que le système de l’échange automatique d’informations constitue « la meilleure approche » en vue de garantir que les États perçoivent correctement tous les impôts qui leur sont dus. Elle a été homologuée dans la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne – seuls le Luxembourg et l’Autriche appliquent encore le mécanisme de la retenue à la source au sein de l’UE – et sortira sans doute renforcée des tractations que les 27 ont lancées sur la coopération administrative dans le domaine fiscal. « Les États de l’Union sont habilités à négocier des accords fiscaux bilatéraux, pour peu qu’ils respectent le droit européen », a récemment déclaré le commissaire européen. Le droit dérivé est bien connu, le droit primaire pas toujours.

Ainsi, l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, qui établit le « principe de coopération loyale » entre l’UE et ses États membres, souligne que les 27 « s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union », dont, selon la Commission, la généralisation du système de l’échange automatiques d’informations fiscales fait partie.

Bref, estime-t-elle, Londres et Berlin sont pieds et poings liés. Ils pourraient certes s’arranger avec la Suisse pour régulariser en tout anonymat les fonds du passé non déclarés par leurs ressortissants, mais pas l’autoriser à percevoir uniformément un impôt libératoire sur les revenus de ces avoirs aux taux en vigueur en Grande-Bretagne et en Allemagne. À partir du 1er juillet 2011, il devrait inévitablement être porté à 35 pour cent (contre 20 actuellement) sur les intérêts (de comptes bancaires, d’obligations, etc.) couverts par la législation européenne sur la fiscalité de l’épargne, dont le champ d’application devrait par ailleurs être étendu à de nouveaux produits (contrats d’assurance-vie, etc.) et aux personnes morales.

La Commission estime également que les pays courtisés par la Suisse ne pourront pas renier leurs « engagements » en faveur de l’échange automatique d’informations et, partant, ne pourront pas garantir à Berne la pérennisation d’un mécanisme d’imposition sauvegardant le secret bancaire.

Ces restrictions rendront-elles le projet suisse, qui prévoit également le prélèvement d’un impôt à la source sur les dividendes ou encore les gains en capitaux des non-résidents, moins attractif ? À moyen terme, pas nécessairement. Mais elles compliqueront assurément les négociations annoncées, qui risquent également d’achopper sur une revendication suisse : l’octroi aux institutions financières helvétiques du droit de prester des services en Allemagne et en Grande-Bretagne sans devoir au préalable y ouvrir une filiale ou une succursale.

Alors qu’après une longue période de déréglementation, l’UE est rentrée dans une phase de régulation sans précédent du secteur financier et se plaint d’un manque de coopération des autorités de supervision suisses, en raison d’une législation très restrictive, ce ne sera pas évident.

Tanguy Verhoosel
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