Festival Rainy Days

Du rab de soupe

d'Lëtzebuerger Land vom 30.11.2018

Le second week-end du festival Rainy days démarre le vendredi 23 novembre au soir. Dans la salle de musique de chambre, le quatuor Diotima monte sur scène aux alentours de 20 heures. Yun-Peng Zhao et Constance Ronzatti sont aux violons, Franck Chevalier est à l’alto et Pierre Morlet est au violoncelle. Un quatuor à cordes donc. Au-dessus d’eux, le plafond étoilé où deux ampoules ne fonctionnent pas, elles font tache. Une courte œuvre de Ursula Mamlok précède Unbreathed de Rebecca Saunders. Les archets titillent, caressent puis frappent les cordes des instruments avec une précision chirurgicale. Parfois, les violons fabriquent des sons chamaniques, des sons graves qui font penser à du didjeridoo. Une fraction de seconde, on pense à l’introduction de When you gonna learn de Jamiroquai. Mais les cuivres et la voix de Jay Kay ne viennent pas. Un bref entracte a lieu. Les musiciens remontent sur scène et se déchaussent. Les lumières s’éteignent, la salle est placée dans une obscurité totale. Le violoncelle s’emballe en solo. Après un certain temps, les quatre lampes accrochées aux pupitres des musiciens s’allument lorsque le trio restant rejoint la danse. Les musiciens interprètent Solicitations de Sivan Eldar et la mise en espace est signée Aurélie Lemaignen. Le tout pourrait parfaitement illustrer l’ambiance d’un polar scandinave. Arrive la dernière pièce, Gran Torso par Helmut Lachenman. Les cordes arrivent à créer des sons de parquet qui grince ou de flute de pan.

Plus tard, dans l’espace découverte, l’ensemble Mosaik propose une soirée synthétisée. Neuf musiciens tout d’orange vêtus et neuf synthétiseurs pour 55 minutes de musique non-stop signée Enno Poppe. Une partition sans doute brillante, ultra-référencée, mais honnêtement très difficile d’accès. Rundfunk, le nom de la pièce, s’ouvre sur un dialogue entre les instruments électroniques, un véritable match de ping-pong sonore à base de bips et autres bruitages synthétisés. Des poussées binaurales scotchent les spectateurs à leurs sièges, puis à l’inverse, des moments plus contemplatifs les font somnoler. Quelques personnes quittent la salle avant la fin de la représentation, les risques du métier.

Le lendemain matin, c’est à Neimënster que les amateurs de musiques nouvelles se donnent rendez-vous. Salle Robert Krieps, a lieu le concert de clôture de la Luxembourg Composition Academy. Initiée en 2017 par ‘United Instruments of Lucilin et par l’Abbaye, cette académie éphémère met en avant de jeunes compositrices et compositeurs venant des quatre coins du globe. Ils sont moins d’une dizaine et ont bénéficié une semaine durant de master classes dispensés par Joanna Bailie et Franck Bedrossian, deux pointures dans le milieu. En ce samedi 24, des œuvre signées Nicolas Brochec, Cameron Michel Graham, Andrew Watts, Djordje Marković, Santa Buss, Didem Coşkunseven et Nicolás Medero Larrosa sont interprétées par les musiciens du Lucilin. Tour à tour, les rookies montent brièvement sur scène pour présenter leurs œuvres avec plus ou moins d’assurance. Un brunch est prévu en fin de concert, les connexions se font.

Plus tard, retour à la Philharmonie où Florian Hoelscher va interpréter Erinnerungsspuren, un cycle pour piano composé par Alberto Posadas. Avant le concert, les deux hommes s’entretiennent sur scène avec Lydia Rilling, directrice artistique du festival. Ce dialogue est organisé dans le cadre des résonances, série d’entretiens organisés avant ou après les concerts, et qui offrent aux spectateurs certaines clés pour mieux appréhender des œuvres souvent complexes. La salle de musique de chambre n’est pas bondée, une cinquantaine de curieuses et de curieux ont fait le déplacement. Durant sa prestation, Florian Hoelscher est habité et ne fait qu’un avec l’imposant piano à queue. Il triture l’intérieur de la bête et martèle ses cordes vocales. Son tourneur de page se contorsionne afin de remplir sa mission. S’ensuivent des concerts de l’Orchestre Philarmonique de Luxembourg puis des Noise Watchers Acousmonium.

Dimanche 25 en journée, des concerts et performances ont lieu à travers toute la Philharmonie. En fin d’après-midi, on traverse le pont grande-duchesse Charlotte pour se rendre au Grand Théâtre où se conclut le festival. Cinq minutes après la fermeture des portes, et alors que le spectacle final Third Place n’a pas encore débuté, l’entrée est refusée à trois malheureux retardataires, dont l’auteur de ces lignes. Plus tard, dans le hall, à l’étage se tient le Bal Contemporain, point d’orgue de dix jours de festivités. C’est Sascha Ley qui donne de sa voix, elle est soutenue par les infatigables musiciennes et musiciens de Lucilin. S’enchaînent des morceaux plus ou moins célèbres de Kurt Weill, David Bowie puis Frank Zappa. Il y a du monde, de la bonne musique et de la soupe. Et quoi de mieux que de la bonne soupe chaude en ces jours pluvieux ? Les artistes s’amusent comme des gosses en interprétant un medley de standards du rock’n roll. Le festival fut pointu et l’affluence correcte. Certains demandent du rab de soupe.

Kévin Kroczek
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