Mudam

Donner une chance au Mudam

d'Lëtzebuerger Land vom 20.12.2013

d’Land : Après sa réunion du 16 novembre, le conseil d’administration de la Fondation Musée d’art moderne grand-guc Jean affirme, dans un communiqué de presse, que le Mudam est un « musée d’art contemporain ». La discussion sur l’orientation, moderne ou contemporaine, est-elle enfin terminée avec cette profession de foi ?

Enrico Lunghi : Cette discussion n’a jamais été essentielle au sein du Conseil d’administration. J’ai plutôt l’impression qu’opposer art moderne et art contemporain était une manière réductrice de débattre du Mudam. Le président, Jacques Santer, l’a rappelé à maintes reprises : en 1989, le gouvernement avait décidé la construction d’un « centre d’art contemporain », parce qu’à l’époque déjà, il était clair, que le Luxembourg ne rattraperait jamais son retard en matière d’art moderne. En revanche, l’idée de sauter dans le train en marche de l’art contemporain et de participer activement à son développement était une réponse opportune et intelligente à notre situation artistique et culturelle.

Le projet du musée, une fois lancé, n’a jamais été populaire et il y a eu les polémiques que l’on sait. La transformation du nom en Musée d’art moderne au cours de l’été 1996 n’a fait qu’ajouter à la confusion, mais je suis heureux qu’elle ait permis l’acronyme Mudam, bien plus joli et original que Mudac !

En prolongeant votre contrat de directeur pour cinq années supplémentaires, le CA vous charge également de « consolider les progrès réalisés au courant de [votre] premier mandat notamment en termes de fréquentation, de visibilité et d’identité du musée ». Où en êtes-vous au niveau de la fréquentation ? Vous êtes-vous fixé un objectif ? Et n’y a-t-il pas un danger de ne plus s’orienter que sur le fait de faire du chiffre ?

J’ai été confronté à la réalité des chiffres dès ma prise de fonction en janvier 2009. Après l’ouverture en juillet 2006 et l’année culturelle en 2007, la fréquentation avait beaucoup baissé. J’ai hérité d’un jeune musée encore incompris par une bonne partie de la population, qui n’avait entendu sur lui que des choses négatives pendant 17 années ! Avec mon équipe, nous avons dès lors entrepris de transformer l’identité générale, nous avons aussi assigné une   place fixe à la Mudam Boutique et adapté l’offre du Mudam Café à notre fonctionnement et à l’expérience du musée. Il en résulte que la fréquentation, en augmentation constante depuis 2010, a atteint 76 500 visiteurs en 2012. Or, souvenons-nous que dans le projet initial, voté au Parlement en 1998, l’estimation haute en matière de fréquentation était de 70 000 à 75 000 visiteurs. Nous avons donc atteint l’objectif maximum visé à l’origine ! Nous savons maintenant que notre musée peut accueillir davantage de monde encore, et nous sommes très déterminés à y parvenir dans les prochaines années.

Le conseil vous demande aussi de « rechercher l’équilibre financier » durant votre deuxième mandat. Est-ce que cet équilibre n’est pas atteint actuellement ? Pourquoi ?

Le budget du Mudam souffre d’un déficit structurel important depuis l’année d’ouverture, parce que les coûts techniques du bâtiment avaient été fortement sous-estimés. Par exemple, en raison des seuls postes des fluides et électricité et des réserves extérieures (non prévues dans le budget initial alors que la collection ne fait que croître), il manquait chaque année plus de 750 000 euros ! L’exaltation de l’ouverture et de l’année culturelle avait occulté le problème, mais dès mon arrivée, nous avons dû fonctionner à l’économie : dans le budget 2009 qui m’avait été remis, nous avons économisé près de 900 000 euros sur les dépenses prévues, afin d’éviter une catastrophe financière dès l’année suivante. Et depuis, nous n’avons cessé d’économiser sur tous les postes et d’accroître nos recettes propres. Celles-ci dépassent aujourd’hui quinze pour cent de notre budget global et couvrent l’entièreté de notre programmation artistique et culturelle. Il faut savoir qu’à part les tout grands, qui ont des millions de visiteurs par an – Tate, Centre Pompidou, Guggenheim, Louvre, Rijksmuseum, etc. –, il n’y a guère d’autres musées qui peuvent en dire autant en Europe. Il nous faudrait maintenant, de la part des pouvoirs publics, un rééquilibrage du budget prenant en compte les frais réels du bâtiment : grâce aux efforts que nous avons fournis, ils ne représentent plus aujourd’hui que quelque 350 000 euros.

Il y a une certaine pression pour que vous mettiez le musée à disposition d’entreprises privées, qui seraient prêtes à payer des sommes conséquentes pour tenir des fêtes de fin d’année ou recevoir des clients dans ce cadre exclusif. Vous y êtes toujours réticent, pourquoi ?

Concernant le Mudam, la question de la privatisation des locaux mérite une réflexion approfondie afin de ne pas prendre des décisions contre-productives. Souvenons-nous d’abord que le projet initial prévoyait plus de 6 000 mètres carrés de surface d’exposition, alors que le bâtiment actuel n’en compte que 2 7001 : cette réduction s’est faite au prix d’énormes concessions sur la fonctionnalité de l’édifice. D’une part, l’imbrication des voies de circulation est invraisemblable pour un bâtiment de cette nature, et d’autre part, l’entrée est commune pour le public, le personnel, les œuvres d’art, les livraisons, le café et la boutique... Cela impose pour le moins quelques restrictions, et pas seulement d’ordre déontologique.

Cela étant, nous privatisons nos locaux, mais dans le respect des missions et de l’intérêt réels du Mudam. Nos mécènes par exemple, sont très heureux des possibilités de privatisation qui leur sont offertes dans le cadre de notre partenariat : le fait qu’ils soient de plus en plus nombreux et qu’ils s’engagent en grande majorité pour une durée de trois ans témoigne de leur confiance. Nous construisons avec eux une relation très précieuse sur le moyen et le long terme, et nous ne demandons pas mieux que de la partager avec d’autres.

Par ailleurs, pendant les heures d’ouverture, nous accueillons les groupes constitués, associations ou sociétés, qui souhaitent visiter le musée avec un guide et y déjeuner à midi ou y prendre l’apéritif le soir. Cela nous permet d’augmenter nos recettes propres tout en honorant la mission première qui nous est confiée, celle d’exposer et de faire comprendre l’art d’aujourd’hui.

Vous ouvrez le musée le vendredi soir (une fois par mois), vous prolongez les soirées du mercredi et du jeudi, vous venez d’avoir un grand succès avec le Marché des créateurs, qui s’est tenu cette année sur cinq jours... Autant d’initiatives pour accueillir des visiteurs nouveaux, qui ne viennent pas forcément pour les expositions. Est-ce la bonne stratégie, le musée comme lieu événementiel ? Ne faudrait-il pas davantage miser sur une programmation d’expositions plus large ?

Ce sont là des initiatives visant à faire découvrir notre musée et nos expositions ! Nous accompagnons chacune de ces activités par des visites guidées, des conférences ou des performances artistiques. Par ailleurs, en sensibilisant le public à la jeune génération de designers, nous travaillons à établir des ponts entre les disciplines purement artistiques et les créatifs d’autres domaines. Il faut tenir compte de notre contexte si particulier : Luxembourg est une petite ville où la grande majorité des gens ne vient que pour travailler. Nous n’avons pas les masses de touristes ou d’étudiants qui, dans d’autres capitales, fournissent aux musées leur flux de visiteurs. Nous sommes engagés dans un travail sur le long terme pour familiariser le public avec le musée en lui proposant de multiples raisons de s’y rendre, mais en mettant toujours l’art et notre mission en avant. Par exemple, l’année dernière, Philippe Claudel nous avait demandé d’utiliser le musée comme coulisse pour une scène de son beau long-métrage Avant l’hiver, qui passe actuellement dans les salles de cinéma : nous avons refusé, en précisant qu’il serait le bienvenu le jour où il envisagerait de tourner dans le Mudam en tant que tel. Du coup, il a modifié son scénario pour que le personnage interprété par Daniel Auteuil dise bien qu’il était « au Mudam ».

Il faudrait aussi s’entendre sur ce que veut dire une « programmation d’expositions plus large » : nous réalisons, dans notre domaine, tout le spectre des possibles, en faisant des monographies, des expositions thématiques ainsi que des rétrospectives à caractère historique qui témoignent des changements intervenus ces dernières décennies dans notre paysage culturel (Lady Rosa of Luxembourg de Sanja Ivekovic, The Venice Projects 1989-2011 et bientôt NY-LUX : Edward Steichen Award 2004-2014), en plus des projets consacrés spécifiquement au design. Tout ceci est beaucoup pour un musée de cette taille, doté d’une équipe restreinte et de moyens limités par rapport aux musées auxquels on le compare le plus souvent ! Par ailleurs, nous allons montrer, l’été prochain, Damage Control : Art & Destruction since 1950, en collaboration avec le Hirschhorn Museum de Washington et le Kunsthaus Graz, qui font tous les deux partie d’institutions plus que centenaires, le Smithsonian Institute et le Universalmuseum Joanneum. Pour 2015, nous avons en chantier un merveilleux projet réunissant art contemporain et histoire des objets techniques, en collaboration avec l’un des plus importants musées français et en association avec des organismes de recherche français et luxembourgeois. Ces projets mettent entre trois et quatre ans à se mettre en place, et le Mudam n’en compte que sept à son actif jusqu’à présent ! Ce jeune musée a vécu sous une pression extrême depuis son ouverture : ne faudrait-il pas commencer à l’apprécier pour ce qu’il est et lui donner une chance de se développer sereinement ?

Cet entretien a été réalisé par courriel.
1 Voir l’article de Henri Entringer : « Un fait du prince aux implications incertaines », d’Land, 23 mars 2000 (www.land.lu/2000/03/23/un-fait-du-prince-aux-implications-incertaines)
josée hansen
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