Dernières tendances dans l’ISR

En recherche de cohérence

d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2012

Les fonds se réclamant de l’investissement socialement responsable (ISR) convainquent de plus en plus d’investisseurs, dont une majorité d’institutionnels et d’individus fortunés, d’après la dernière étude d’Eurosif. Si les institutions financières ont développé ces nouveaux produits en nombre ces dernières années, il est malheureusement toujours aussi difficile pour le non-spécialiste de s’y retrouver entre les fonds qui se sont engagés sérieusement pour une meilleure transparence et dans une méthodologie de sélection des actifs et les autres. Une faiblesse qui profite à l’impact investing (lire aussi en page 32), de plus en plus populaire pour les investisseurs en quête de durabilité.

Les résultats publiés en octobre dernier par la cinquième enquête d’Eurosif sur l’état des lieux de l’investissement socialement responsable présentent une forte progression de l’ISR sur les quatorze pays européens ayant une activité significative dans ce domaine d’investissement. Les fonds basés uniquement sur des critères négatifs ou d’exclusion (élimination dans le portefeuille d’entreprises actives dans la production d’armes controversées, tabac, alcool, etc.) dominent toujours le marché. Ils pèsent un tiers des actifs sous gestion de la totalité des fonds ISR identifiés. Si on ajoute à cette famille celle des fonds dit norm based, c’est-à-dire dont la méthodologie de sélection est fondée sur le respect des normes internationales – comme les « Principles of responsible investing » de l’ONU –, nous arrivons à un volume de 53 pour cent de fonds basés sur des critères d’exclusion, car ceux-ci incluent d’autres contraintes comme la violation du droit international. La domination de ce type d’investissement à la plus-value socio-environnementale minimaliste est logique, dans la mesure où leur gestion n’exige pas l’implémentation d’une méthodologie très complexe. Les deux autres grandes familles sont les fonds d’intégration qui ajoutent dans leur méthodologie de sélection des critères ESG (environnement, social, gouvernance) et représentent vingt pour cent des actifs sous gestion. Enfin, les fonds d’engagement (17 pour cent) impliquent l’usage pour l’asset manager de son pouvoir d’actionnaire pour intervenir dans l’assemblée générale des entreprises qu’il a dans son portefeuille : il peut ainsi orienter les décisions en faveur d’une politique sociale et environnementale plus ambitieuse.

Plus exigeants, les fonds best in class utilisent des critères positifs en sélectionnant les meilleures entreprises dans leur secteur industriel sur une zone géographique. Ils sont malheureusement très en retrait (deux pour cent du volume global). les notions de transparence et de mesure de la performance extra-financière auront une importance cruciale dans la crédibilité des entreprises ayant pour ambition de s’afficher dans cette mouvanceils représentent moins de 0,5 pour cent du volume global des actifs sous gestion. Les secteurs les plus populaires sont la microfinance et les énergies renouvelables, dont l’investissement est actuellement toujours convalescent, suite à la chute brutale du prix des énergies fossiles survenue lors de la crise de 2008. De plus, les puissances européennes sont à la traine par rapport aux pays émergents : la Chine est aujourd’hui le premier investisseur dans les énergies vertes.

Les pays scandinaves, les Pays-Bas et la Suisse sont les pays les plus dynamiques dans le domaine de l’ISR. La France – dont la croissance dans ce type d’investissement est surtout portée par l’épargne salariale – et le Royaume-Uni sont bien placés. La Belgique, qui a longtemps été un pays pionnier dans ce domaine, est aujourd’hui en net retrait par rapport aux chiffres de 2009, victime indirecte de la longue instabilité politique dont a souffert le pays. L’Allemagne reste, quant à elle, discrète sur ce créneau, malgré une forte croissance due à l’application d’un critère d’exclusion lié à la production des bombes à fragmentation.

Il n’existe donc pas à ce jour ni un seul type d’ISR ni une définition claire de l’ISR, rendant difficile de s’y retrouver. De nombreuses organisations se sont spécialisées pour apporter une information complémentaire à celle donnés par les promoteurs de fonds : Ethibel en Belgique, Novethic en France et LuxFlag au Luxembourg proposent des labels pour promouvoir des fonds répondant à un certain nombre de critères méthodologiques et de transparence : publication des critères d’exclusion et d’inclusion, description de la méthodologie de sélection utilisée, présence ou non d’un comité indépendant pour les décisions d’investissement, publication de l’intégralité des actifs contenus dans le portefeuille, etc. La revue Öko-Test – la référence germanophone en information indépendante sur les produits écologiques – publie chaque année une enquête d’évaluation des fonds thématiques verts.  Dans son enquête datée du mois d’octobre dernier, la revue passe au crible 52 fonds verts (dont les deux tiers sont administrés au Luxembourg) distribués en Allemagne : seuls neuf obtiennent la mention « vert foncé » , dont quatre sont promus par la banque sociale Triodos – banque qui a fondé son business-model exclusivement sur l’ISR. Même si elle se félicite que tous les fonds analysés font de très sérieux efforts en terme de transparence sur le contenu des portefeuilles, la revue a relevé de nombreuses points sujet à discussion : non-conformité entre la politique de sélection annoncée et le contenu du portefeuille, présence d’entreprises régulièrement épinglées par les agences de notation socio-environnementale et les ONG pour leurs atteintes graves et répétées aux droits humains, du travail et de l’environnement, processus de décision sur la sélection des actifs opaques etc. Öko-Test rappelle que les performances écologiques et financières des fonds ne sont pas corrélées, mais constate aussi que les fonds ayant dégagé le plus fort rendement sur les trois dernières années sont tous notés parmi les plus faibles en responsabilité socio-environnementale.

Les difficultés liées à l’évaluation de tels produits d’investissement ont profité aux promoteurs de l’impact investing. Ce nouveau type d’investissement consiste à financer des entreprises dont la taille ne permet pas se financer sur les marchés d’actions ou obligataires. La sélection porte non pas sur un portefeuille d’entreprises, mais sur des secteurs ou un nombre d’activités ciblées, car s’inscrivant dans un espace et un temps limité, comme l’exploitation d’une ferme d’éoliennes au Sri Lanka. Dans ce cas, l’investisseur bénéficie d’une relation beaucoup plus directe avec l’objet de son investissement, qu’il peut sélectionner en fonction de ses priorités socio-environnementales ou en fonction du risque qu’il entend assumer. L’impact investing rencontre un intérêt grandissant dans la clientèle de la banque privée. Cette clientèle exigeante est aujourd’hui en forte demande de produits à haute valeur ajoutée socio-environnementale, couplée avec une performance financière acceptable : un sondage conduit en commun entre Eurosif et la Banque Sarrasin et dont les résultats ont été publiés début novembre indique que le secteur de l’impact investing connait la plus forte croissance (un doublement depuis 2009), même si les investissements basés sur l’exclusion, les normes internationales et les best-in-class tiennent encore le haut du pavé. L’impact investing n’est pourtant pas vraiment une nouveauté en soi dans le milieu de la finance sociale, puisque cela fait longtemps que des projets d’investissements citoyens se développent en Europe dans le but de créer de la richesse localement tout en s’affranchissant du secteur bancaire : tel est le cas des coopératives citoyennes d’éoliennes qui éclosent un peu partout, des placements solidaires en terres agricoles pour les louer à un prix accessible à des agriculteurs biologiques, du soutien à la création de micro-entreprises pour des personnes exclues du système bancaire, etc.

Il est bien sur trop tôt pour déterminer quel type d’investissement aura la préférence dans le futur. Une certitude cependant : la forte méfiance envers les marchés financiers qui s’est déclarée après la chute de Lehmann Brothers en septembre 2008 est loin d’avoir disparue : les investisseurs modestes ou fortunés marquent aujourd’hui clairement une préférence pour des produits plus transparents, dont la responsabilité socio-environnementale sera plus facile à évaluer et à contrôler. Une autre tendance majeure émerge en ces temps de grandes tensions sociales : nombre de décideurs comprennent que le secteur des PME – de loin les entités économiques les plus à même de créer de l’emploi – restent toujours fragilisées par la menace d’un credit crunch et qu’il est dans l’intérêt de tous que celles-ci soient de nouveau en capacité d’investir. Des pistes de réflexion qui mériteraient assurément plus de considération de la part des professionnels de la place financière.

Jean-Sébastien Zippert
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