Régulation du marché locatif

Le désarroi de Marc Hansen

d'Lëtzebuerger Land vom 17.02.2017

Prudentia et constantia Coincé entre les domaines de compétence du ministère des Finances, du ministère de l’Intérieur, du ministère du Développement durable et de 105 communes, le ministre du Logement Marc Hansen (DP) apparaît comme un ministre au pouvoir réduit. « Je veux que tous puissent entrer sur le marché avec des informations correctes : le vendeur autant que l’acheteur », déclarait-il en 2016 au Land. Si la phrase peut être lue comme un credo politique, elle témoigne également d’un certain idéalisme libéral faisant abstraction du pouvoir de marché et des rapports de force réellement existants.

Le ministre veut bien subventionner les locataires, mais réguler le marché locatif, c’est plus compliqué. Il se plaint de ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’ait songé à rassembler des données fiables : « Plus longtemps je suis au ministère, plus je me rends compte que nous n’avons pas de données chiffrées. À une foule de questions que je pose, il n’y a pas de réponse. Même si nous instiguons des études, les résultats ne seront pas disponibles du jour au lendemain. »

Mietspiegel En 2013, le LSAP, déi Gréng et le CSV revendiquaient dans leurs programmes électoraux l’introduction d’un cadastre des loyers. La proposition d’un meilleur encadrement des loyers trouva son chemin jusque dans le programme gouvernemental dans lequel la coalition promettait que « des statistiques fiables sur les loyers réellement payés seront établies ». Mais, en 2016, le ministre Marc Hansen tempérait : « Le Mietspiegel n’est pas un outil évident, même si dans la location les prix annoncés sont beaucoup plus proches de la réalité que dans la vente, puisque les locataires négocient moins. » Une année plus tard, le ministre se disait confronté à des « problèmes juridiques dans la collecte et le traitement des données ».

Le Royaume-Uni a mis son land registry en ligne (les HNWI ont trouvé la parade en se réfugiant derrière des sociétés-écrans offshore), les Allemands ont leur Mietspiegel, un indicateur des loyers par quartier. Au Luxembourg, dont les habitants ont su développer des stratégies pour gérer l’intimité forcée, un tel degré de transparence reste difficilement envisageable. En résumé, le problème serait le suivant : le Luxembourg est trop petit. Malgré l’anonymisation des propriétaires qui perçoivent les loyers, on pourrait souvent déduire la personne dont il s’agit, explique Hansen. Du moins dans les petits villages ou dans les rues et quartiers où habitent très peu de locataires. Ce problème de protection des données personnelles devra d’abord été résolu, estime Hansen. « Sinon nous sortirions des informations qui ne regardent pas tout le monde ». Pourquoi dès lors ne pas commencer par les principales villes où, de toute manière, habitent la plupart des locataires ? Les réponses du ministre : le problème de fond resterait le même ; et il faudrait d’abord recueillir des données « plus fiables ».

Frais d’agence Le 15 novembre 2016, le député David Wagner (déi Lénk) a déposé une proposition de loi visant à réduire le montant des garanties locatives (de trois à un mois) ainsi qu’à faire porter les frais d’agence par le bailleur plutôt que par le locataire (selon le « Bestellerprinzip »). Déclarée recevable, la proposition a atterri dans la Commission du Logement où elle languit en attendant l’avis du gouvernement, auquel devra suivre celui du Conseil d’État, avant de revenir à la commission parlementaire. Marc Hansen dit « étudier la question de manière très intensive ». Pour avoir plus d’éléments, il a chargé le Liser de rassembler des données sur les pratiques du marché : « J’entends des déclarations venant du secteur comme quoi uniquement une minorité demanderait trois mois de garantie ; apparemment, la plupart n’en demanderait qu’un mois ou deux. »

D’un point de vue tactique, c’est surtout la deuxième proposition de déi Lénk qui semble habile. On voit en effet mal déi Gréng ou le LSAP s’opposer au « Bestellerprinzip » pour les frais d’agence. D’autant plus que la proposition de déi Lénk se situe dans la tendance européenne. Sur les derniers huit ans, la Belgique (en 2009), la France (en 2014) et l’Allemagne (en 2016) ont décidé que les frais d’agence seront imputables au bailleur et non au locataire. Marc Hansen reste pourtant circonspect. Sans vouloir se prononcer face à la presse avant qu’il ne l’ait fait devant la commission, il pointe les problèmes potentiels : « Quel sera l’impact sur le fonds de commerce des agences qui emploient beaucoup de monde ? Et qu’arrivera-t-il si les bailleurs décidaient de chercher eux-mêmes un locataire, sans passer par une agence ? Ne vont-ils pas finir par improviser leurs propres baux à loyer ? »

Mais peut-être qu’un assainissement du marché des agences sera-t-il une bonne chose. Chaque année, une centaine de nouvelles agences naissent (et une centaine dépérit). Rien qu’en 2016, 640 personnes étaient inscrites à la formation « accès aux professions de l’immobilier » que propose le House of Training. La filière intéresse un public de plus en plus hétérogène ; on y trouve notamment de plus en plus de Luxembourgeois qui viennent de prendre leur retraite. Dans cette horde de « mini-Becca », chacun doit se différencier, se montrer plus agressif que le concurrent, et suivre les vœux les plus farfelus des propriétaires. C’est un des éléments qui expliquent le décalage, variant entre cinq pour cent en Ville et dix pour cent en périphérie, qui sépare les prix de vente annoncés des actes notariés.

Bernard Thomas
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