Catherine Gaeng, archéologue

Shadow fixing

Portrait d'Catherine Gaeng, archéologue
Photo: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land du 30.11.2018

« Si seulement ils avaient écrit ! » Catherine Gaeng est archéologue et une adepte de livres, de traces écrites1. Cela tombe mal, parce qu’elle est conservatrice au Centre national de recherche archéologique (CNRA), département protohistoire – de cette civilisation qui n’écrivait pas « Les Gaulois et les Trévires sont des ombres pour moi. Ma seule source, c’est César… » C’est des Commentaires sur la Guerre des Gaules de César (publiée entre 57-43 avant JC) qu’elle peut tirer beaucoup de conclusions sur son champ de recherche. Comme cette notice que les marchés romains étaient installés dans les oppida (pluriel de oppidum, agglomération protohistorique fortifiée) : « Je me souviens, j’étais à Rome quand j’ai lu cette phrase et je me suis dit : ‘mais bien sûr, c’est ça !’ ».

Mais dans l’ordre. Catherine Gaeng est franco-luxembourgeoise, originaire de Strasbourg, où elle a fait ses études en histoire et rencontré Enrico Lunghi, qui allait devenir son mari et qu’elle suivra au Luxembourg. « À partir de là, mon parcours professionnel est une suite de coups de chance », raconte-t-elle, assise dans son incroyable bureau rempli de caisses en plastique vert pomme regorgeant des centaines, de milliers d’objets historiques, bien proprement emballés dans de petits sachets annotés. Arrivée au Luxembourg avec un diplôme d’archéologue en poche, elle travaille d’abord comme stagiaire pour Jean-Luc Mousset et le département des arts et traditions populaires du Musée national d’histoire et d’art, « on a bossé sur les meubles, j’ai passé mes journées aux Archives nationales et j’ai adoré ça. » C’est au MNHA qu’elle rencontre Jeannot Metzler, responsable du département protohistoire au musée (c’était bien avant la scission entre musée et archéologie, intervenue en 2011) « Jeannot s’est toujours intéressé au Titelberg ». Les recherches sur ce très important site, dont les plus anciennes traces remontent aux Trévires, à la fin du IIe siècle avant JC, avaient commencé dans les années 1960-70, mais de façon plus ou moins aléatoire. Lorsque la Deutsche Forschungsgemeinschaft lance un grand projet de recherche sur la romanisation de la région, incluant les sites de Goeblange-Nospelt, de Dalheim et du Titelberg, Jean Krier et Jeannot Metzler participent au projet – et engagent Catherine Gaeng en tant qu’assistante. Ce poste à durée déterminée débouchera sur d’autres missions en freelance, toujours sur le même sujet. Un procès engagé par tous les précarisés dans la même situation au MNHA (et dont le musée ne pouvait se passer) se terminera par leur régularisation en des postes fixes. Aujourd’hui, après le départ à la retraite de Metzler, Catherine Gaeng est cheffe du département.

« Les Gaulois n’ont longtemps intéressé personne », regrette Catherine Gaeng. À part Napoléon III et les fouilles du site archéologique d’Alésia qu’il a fait faire au XIXe siècle, puis, plus tard, Mitterrand pour le Mont Beuvray, dans le massif du Morvan. Donc au Titelberg, la vérité historique se révèle encore chaque année, avec les nouvelles découvertes, les recoupements, les fouilles, les photographies aériennes ou des levés géomagnétiques. Chaque année, durant douze semaines, Catherine Gaeng et son équipe – les assistants du CNRA, des étudiants et des ouvriers de sociétés spécialisées – travaillent sur le terrain, au Fonds-de-gras, à retourner la terre à la recherche du moindre tesson d’amphore, de monnaies, d’ossements, d’armes, d’outils et de briques. On ne parle pas de dizaines d’objets, mais de centaines, de milliers. Rien qu’en amphores, Catherine Gaeng estime le mobilier à un millier d’exemplaires différents, qu’elle fait analyser par une experte pouvant aider à les dater et à les classifier. « On a trouvé beaucoup d’amphores d’importation, avec du vin, de l’huile d’olive, surtout italiens ». Ce qui facilite leur datation, puisque les Romains, eux, ont écrit. Il y avait aussi de la vaisselle en bronze, trop chère pour le peuple, probablement pour les riches familles de Goeblange-Nospelt. Conclusion : le Titelberg était un endroit de commerce. Les nombreux ossements trouvés sur place et que le CNRA a fait analyser par des experts en archéozoologie indiquent qu’il y avait aussi une foire aux bovins dans l’oppidum.

En 2016, Catherine Gaeng et Jeannot Metzler ont publié deux tomes résumant les révélations obtenues en vingt ans de travaux au Titelberg2 : mille pages pour soutenir leur hypothèse que l’agglomération du Titelberg comprenait certes une zone d’habitation d’un millier d’habitants – « attention ce chiffre, c’est piffométrique » met en garde Catherine Gaeng dans un sourire–, mais aussi un lieu de culte, servant en même temps à la prise de décision politique. Et ce bien avant la fin de l’âge du fer. Pour le commerce, le site est bien situé géographiquement et économiquement, notamment grâce au minerai de fer. L’apogée du site était à l’époque gallo-romaine, « on pense que les Romains s’y seraient installés plus tard, on vient de tomber dessus », explique Catherine Gaeng, et ce seraient aussi les Romains qui y auraient développé l’idée de la place publique.

La grande Histoire est loin d’être écrite, elle continue à se découvrir par petits fragments. Que Catherine Gaeng et ses confrères et consœurs partout en Europe révèlent dans un travail de bénédictin. Les objets dans les petits sachets sont photographiés, décrits, inventoriés un à un, ajoutés à une base de données électronique qui vient confirmer ou infirmer d’autres hypothèses quant à la culture gallo-romaine. Comme le ferait un inspecteur sur une enquête judiciaire. À écouter Catherine Gaeng, c’est au moins aussi passionnant qu’une série policière. Mais à la fin, c’est toujours la vérité qui doit gagner.

1 D’où son livre Lynchage médiatique et abus de pouvoir – Chronique de l’affaire Lunghi/RTL/Bettel, qui est épuisé dans sa version papier, mais disponible en version augmentée d’un chapitre sur le démontage de la Chapelle de Wim Delvoye en format Kindle sur Amazon.fr.

2 Jeannot Metzler, Catherine Gaeng, Patrice Méniel et alii. : L’espace public du Titelberg, tomes 1 & 2 ; Les dossiers d’archéologie du Centre national de recherche archéologique, Luxembourg, 2016 ; 978 pages ; ISBN 978-2-87985-341-3

Pour plus d’informations sur le CNRA : cnra.lu

josée hansen
© 2023 d’Lëtzebuerger Land