Annick Sinner

L’enchanteresse

d'Lëtzebuerger Land vom 11.11.2011

D’elle, on a d’abord vu une photo : assise derrière une table de travail installée dans un broll créatif, elle est habillée d’un bleu de travail plein de taches de couleur, tient un pinceau et affiche un large sourire. C’est dans Dem Karin säin Haus ka fléien (« la maison de Karin sait voler », Ultimomondo, 2004), dans les dernières pages, où sont présentés l’auteur Guy Rewenig et l’illustratrice du livre : Annick Sinner. « J’aime me salir les mains, dit-elle. Je suis une femme artisan. » Le douzième livre qu’elle a illustré, Es regnet Hühner, d’Irma Krauß, le dixième chez Ultimomondo, vient de paraître, l’histoire d’un poussin qui est recueilli par une famille d’aigles et s’y sent prisonnier. Elle ne cache jamais les traces de sa méthode de travail, sur les images scannées, on voit le tracé du pinceau, les collages de différents papiers, sur certaines, il y a même encore l’estampe du papier Canson.

Contrairement à sa sœur cadette Michèle, rédactrice économique au Land, Annick Sinner est une timide, impressionnée par le fait qu’on veuille lui consacrer un portrait. Rendez-vous est donné au Konrad, vieille ville, elle arrive en train et a amené quelques-unes de ses créations emballées dans de jolis tissus, ses derniers livres – en début d’année, elle a publié Lawweli Lulatsch, un recueil d’histoires d’amour de couples décalés, avec Guy Rewenig (Ultimomondo) et ses figurines : Le petit chaperon rouge, dont elle a confectionné les personnages et les décors en bois et qu’elle présente en spectacle depuis plusieurs années à travers le pays. Et un bouchon de champagne qui s’appelle Josiane. « Le décor du Petit chaperon rouge est tellement encombrant que j’ai décidé que le prochain spectacle devait tenir dans un carton à œufs ! » sourit-elle. Josiane à qui il manque quelque chose est née de cette idée-là. Et parce qu’elle s’était rendue compte, en bricolant avec sa fille Anna (qui a maintenant trois ans), que les bouchons de champagne se prêtaient particulièrement bien à la transformation en petits personnages. Le spectacle fêtera sa première ce week-end (samedi 12 et dimanche 13 novembre) au festival Winterfeelings au château de Sanem.

Après des études en section artistique au Lycée Michel Rodange, Annick Sinner (née en 1975) hésitait à l’époque entre devenir prof de dessin ou institutrice, « ou me lancer dans une carrière de graphiste ou d’illustratrice à plein temps, mais ça, je ne l’osais pas... ». Donc son choix s’est porté sur l’enseignement primaire, après l’Iserp, elle est aujourd’hui institutrice du précoce à Tétange. Ce qui lui permet de côtoyer les deux univers : celui des livres et celui des enfants. « J’achète beaucoup de livres pour enfants, mais je n’arrive jamais à en choisir qui soient roses et moches, même si c’est les préférés de ma fille, raconte-t-elle. Je regarde toujours les images aussi, il faut qu’elles soient jolies ».

Interrogée sur les gens qu’elle admire, elle n’hésite pas une seconde : la Tchèque Kveta Pacowská et l’Allemand Rolf Erlbruch, dont La petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête (écrit par Werner Holzwarth) est un des grandss succès populaires en librairies depuis des années. Ces références ne sont pas étonnantes, car elle partage avec eux un côté ludique, presque naïf, qui se permet des escapades vers l’humour, voire même l’humour noir (comme ce lapin qui se fait proprement dépecer dans le nid de la famille des aigles). Ses hommes et ses femmes, qu’elle dessine avec des grands gestes et des aplats de couleurs ne sont pas des top-modèles sur leur trente-et-un, mais de vraies gens avec des surcharges pondérales, des cheveux gras, des boutons ou une calvitie bien développée, mais quand ils trouvent l’âme sœur, ils deviennent beaux, leurs regards changent, les enfants sont espiègles.

Annick Sinner est venue à l’illustration de livres grâce à Jean-Paul Endré aka teacher, chanteur des mythiques Djuju et instituteur, qui lui offrit, en 2002, d’illustrer son histoire Edgar der Rabe (Éditions Kremer-Muller [&] Éditions Phi, 2002). C’est suite à ce livre que Guy Rewenig la contacta, lui demandant si elle voulait travailler avec lui – ce sera Ballo Farfallo. Huit autres livres suivirent depuis. « Il me fait confiance, dit-elle, il m’envoie un texte puis après un certain temps, m’appelle pour savoir s’il peut venir chercher le résultat. J’aime beaucoup travailler avec lui, son humour noir me fait souvent sourire ».

Annick Sinner rêve de transformer son art en métier, « mais je n’imagine pas faire ça seule chez moi. C’est génial de pouvoir émerveiller les enfants ».

josée hansen
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