Pour rester compétitif, le Luxembourg a besoin d’investir dans une société basée sur la connaissance. C’est l’idée qui a été à l’origine de la création du Comité supérieur de la recherche et de l’innovation (CSRI), mardi dernier. Ce projet commun porté par les ministres de la Recherche François Biltgen (CSV) et de l’Économie Jeannot Krecké (LSAP) réunit un groupe de neuf acteurs issus de la recherche, de la société civile et des affaires pour conseiller le gouvernement dans sa politique de recherche. Le comité sera bien évidemment coprésidé par les deux ministres.
Est-ce qu’il s’agit d’une « commission Attali » à la Luxembourgeoise ? Non, pas tout à fait. Pour commencer, la fonction du CSRI est assez limitée par rapport à la version française. Les réunions hebdomadaires de la commission de l’ancien conseiller du Président français François Mitterrand devaient élaborer des recommandations pour relancer la croissance dans l’Hexagone. Le nouveau comité luxembourgeois, par contre, ne se réunira que deux fois par an et aura comme mission de produire des mesures promouvant la recherche et l’innovation. Son mandat est d’ailleurs de trois ans consécutifs, renouvelable une seule fois.
En dépit de ces différences, l’idée reste la même : Rassembler des acteurs avec des compétences multiples, mais complémentaires pour trouver des solutions pragmatiques aux défis économiques du pays. Il s’agit d’une tournure en vogue si l’on considère le « government of all talents » de Gordon Brown, l’autre côté de la Manche. La diversité faisant la force, le CSRI est composé de personnalités comme Germaine Goetzinger, directrice du Centre national de littérature, Marc Hoffmann, Président de la Compagnie de banque privée, ou encore le Professeur Guy Kirsch de l’Université de Fribourg. « Les membres du comité ont été choisis parce qu’ils n’ont pas d’intérêts financiers dans les projets de recherche au Luxembourg », a indiqué François Biltgen lors de la présentation du comité. Ainsi, toute recommandation qui sera faite devrait en principe privilégier les axes de recherche qui contribuent le plus à l’intérêt général, et non pas à l’individu siégeant dans le comité. Il s’agit là d’un principe essentiel à respecter.
Mais, le CSRI doit être considéré dans le cadre d’une politique à long terme de l’État. François Biltgen estime que la formation du nouveau comité est une réponse au rapport de l’OCDE de 2006 sur la politique de recherche du gouvernement. L’organisation basée à Paris avait notamment critiqué le grand-duché pour sa mauvaise gouvernance dans ce domaine, jugeant que l’État luxembourgeois devrait s’impliquer plus directement dans la recherche et aussi en définir les lignes directrices. Il s’agirait de copier le modèle finlandais qui combine efficacement les projets scientifiques et les buts économiques du pays. Le dialogue entre les acteurs des deux côtés est en effet primordial pour accomplir les deux axes principaux de la stratégie de Lisbonne : la recherche et l’innovation. Le leadership du gouvernement serait donc un préalable pour décloisonner les acteurs du monde scientifique et des affaires. D’où aussi la composition hétérogène du CSRI, qui devra assister l’État dans cette tâche.
Jusqu’à la publication du rapport de l’OCDE, l’État pratiquait effectivement une politique de recherche ascendante et ne faisait qu’exécuter les programmes sans trop s’immiscer dans les affaires des instituts de recherche. « Mais aujourd’hui, cette situation est différente », a souligné François Biltgen. Le gouvernement préside désormais sur les agences Luxinnovation et le Fond national de la Recherche, qui à leur tour définissent les projets pour les instituts de recherche : les Centres de recherche publics, le Ceps/Instead et l’Université de Luxembourg. Cette mainmise de l’État sur la recherche se voit le plus ouvertement dans les contrats de performance que doivent signer les instituts pour bénéficier du soutien financier du ministère de la culture, de l’enseignement supérieur et de la recherche (MCESR) de François Biltgen. Ceux-ci fixent notamment les priorités de l’État, que ce soit la formation de nouveaux doctorants ou des projets spécifiques. En termes de hiérarchie, le CSRI se présente en tant que conseiller principal aux côtés du gouvernement. Il aura donc une influence considérable.
Celle-ci ne sera pas négligeable, si l’on jette un coup d’œil sur les dépenses engagées par l’État dans le domaine de la recherche publique. Financée par la manne publique depuis 1987, celle-ci bénéficie d’un budget de plus en plus important. Ainsi, en 2000, l’État versait déjà 28 millions euros dans la recherche, ce qui correspondait alors à 0,13 pour cent du PIB. En 2010, ce montant sera de 250 millions, soit l’équivalent de 0,58 pour cent du PIB. Le comité devra donc aussi conseiller le MCESR dans le financement de nouveaux projets qu’il compte appuyer.
Finalement, que les membres du CSRI soient nommés symboliquement ou pas, au moins les différents points de vue généreront le débat sur les priorités de la recherche luxembourgeoise. Ainsi, le Professeur John Scheid du Collège de France rappelait qu’elle ne devrait pas se limiter qu’à des fins économiques : « L’étude des Lettres est toute aussi importante que les sciences et l’industrie », affirme-t-il volontiers. Il reste à voir cependant si le gouvernement respectera cet engagement. Comme le soulignait mardi François Biltgen : « Il s’agit de trouver l’argent pour le savoir, mais aussi de transformer le savoir en argent ». En d’autres termes, le volet économique reste prépondérant. Cela se comprend, vu qu’il s’agit d’argent public. Mais, dans ce contexte, il est probable que certains secteurs de la recherche risquent de bénéficier de bien moins de coups de pouce que d’autres.