Très chers tricheurs

d'Lëtzebuerger Land du 04.02.2022

En ce jour d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, difficile de ne pas avoir une petite pensée pour les sportifs de haut niveau qui ont dû développer, bien avant le reste de l’humanité, un niveau d’excellence dans l’art délicat d’enfreindre les règles sans en avoir l’air. L’important ce n’est pas de gagner, c’est de ne pas se faire chopper. D’ailleurs, gagner honnêtement c’est facile, il suffit de respecter les règles et d’être le meilleur. Gagner malhonnêtement, par contre, cela demande un véritable talent : il faut non seulement être meilleur que les autres, mais aussi trouver un moyen de contourner les règles, éviter les trahisons, savoir mentir et avoir de la chance.

En termes de mésaventures sportives, Novak Djokovic a placé la barre assez haut en ce début d’année. Fait assez inédit, le talentueux tennisman n’avait pas besoin de tricher pour gagner l’Open d’Australie, mais simplement pour avoir le droit d’y participer. Pas de chance pour lui, au terme d’un parcours jalonné d’une exemption médicale, un test positif déclaré tardivement et un formulaire mal rempli, il n’a pas pu disputer un tournoi qui lui semblait pourtant promis. Difficile de ne pas compatir, même si l’honnêteté du personnage semble discutable. C’est la marque d’un vrai champion de combiner mauvaise foi éhontée, accusation vis-à-vis de son entourage, excuses maladroites, puis de s’en sortir la tête haute, en prenant le rôle de la victime, alors qu’on s’est fait pincer la main dans le pot de confiture. Sur l’échelle des tricheurs, on doit se situer pas loin du podium, quelque part entre un maillot jaune de Lance Armstrong et un mémoire universitaire de Xavier Bettel.

D’ailleurs, en parlant de notre Premier ministre, on s’attend à une certaine indulgence vis-à-vis de toute tromperie dans un pays dont la réputation est durablement associée, dans l’imaginaire collectif, à la fraude (fiscale). Ici, on ne traverse pas quand le petit bonhomme est rouge, mais rien de plus normal qu’un milliardaire ou une multinationale qui paie moins d’impôt qu’un particulier lambda. Ce n’est pas de la fraude, c’est de l’optimisation. Que celui qui n’a jamais « optimisé » ses révisions en jetant un petit coup d’œil à la copie de son voisin nous jette la première heure de colle. Que celui qui n’a jamais « optimisé » son temps de trajet nous jette la première contravention pour excès de vitesse. Que celui qui n’a jamais « optimisé » sa partie de Monopoly en confondant un billet de 500 et un billet de 50 000 nous jette la première carte « chance ». Inventer un mot au Scrabble, regarder le jeu de son voisin pour savoir s’il coupe à trèfle, prendre la part de galette dans laquelle on a vu la fève, se glisser dans une file d’attente pour gagner quelques minutes font partie des petits plaisirs de la vie qui transforment l’enfant, innocent et pur, en futur citoyen râleur et incivique, convaincu que, de toute façon, les autres font pire.

Car oui, aujourd’hui, pas besoin d’être un champion olympique pour éveiller le soupçon. Plagiat, tromperie, tricherie, mensonge ou corruption, le doute est permanent. À l’ère du Covid-Check, des injections à fréquences régulières et des tests à répétition, difficile de ne pas avoir l’impression que nous sommes tous soumis à un régime comparable à celui des sportifs de haut niveau. La multiplication des règles développe forcément, en réaction, la propension de l’être humain à développer des stratégies pour les esquiver. Le système de QR-Code rend le certificat difficilement falsifiable, il faut donc ruser. La palme revient sans doute à cet Italien qui, en décembre dernier, a présenté une prothèse en silicone à la place de son bras ! Parmi le commun des mortels qui n’ont pas de faux bras sous la main (l’image est osée), une pratique assez courante consisterait à trouver quelqu’un qui aille se faire vacciner en votre nom. Bon courage pour expliquer à votre conjoint pourquoi vous avez installé Tinder sur votre smartphone : « Pour trouver quelqu’un qui me ressemble, au moins du haut du visage »…

Pourtant, à l’heure où chirurgie esthétique et filtres Instagram ont rendu toute beauté suspecte, à l’aube du temps du « deep fake » où l’on ne pourra même plus croire à ce que l’on voit, il reste un domaine où il faudrait que, dans un sursaut collectif, nous mettions tous fin à un comportement malhonnête vraiment répréhensible : les personnes qui empruntent les caisses rapides des supermarchés avec douze ou treize articles au lieu de dix. Vous croyez qu’on ne vous a pas vus ? Si vous êtes pressés, reposez ce sachet de chips et cette bouteille de Coca ou alors n’achetez pas les pots de yaourt à l’unité mais dans un unique paquet. On peut tricher quand on fait la course ou pour remporter un match, mais pas quand on fait les courses ou qu’on va chez Match.

Cyril B.
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