Politique et réseaux sociaux

Human after all

d'Lëtzebuerger Land du 11.12.2008

Jean-Claude Juncker (CSV) est définitivement un phénomène dans la paysage politique luxembourgeois. La veille de son 54e anniversaire, qu’il fêtait mardi 9 décembre, ses premiers amis virtuels lui envoyaient déjà leurs félicitations électroniques sur Face­book, où il comptait alors plus de 1 200 amis. Or, ce profil est probablement faux, un détournement qu’un petit guignol s’est amusé à fabriquer, comme il y en a déjà un sur Myspace. Il est d’ailleurs bizarre qu’aucun responsable de la communication du Pre­mier ministre, ni au Service information et presse du gouvernement, ni au sein de son parti, n’ait rien entrepris pour supprimer ces faux profils, ou, a fortiori, pour en créer un vrai, pour de bon. Facebook : ridicule ? Régressif ? Pas si sûr. 

Car l’élection de Barack Obama aux États-Unis a un peu changé la donne. La redoutable efficacité de sa campagne électorale doit beaucoup à son recours aux nouvelles technologies et à la multiplication des médias utilisés – à côté des meetings physiques à travers tout le pays, des médias audiovisuels et de la bonne vieille presse écrite, il faisait passer ses messages à travers le web 2.0, dits réseaux sociaux, Twitter, Myspace (un million d’amis) et Facebook (plus de trois millions d’amis en début de cette semaine). « He was the first politician I dealt with who understood that the technology was given and that it could be used in new ways, » affirmait Marc Andreessen, fondateur de Netscape et un des administrateurs de Facebook, plein d’admiration vis-à-vis du New York Times (du 10 novembre 2008). Pour le quotidien, il est clair que « when he arrives at the White House, Obama will have not just a political base, but a database, millions of names of supporters who can just be engaged almost instantly ».

Depuis la campagne Obama, que les politiques luxembourgeois ont tellement admirée eux aussi, Facebook regorge de pages de politiciens luxem­bourgeois. Mais elles sont toutes des initiatives privées, disparates, sans vraie coordination. Tout se passe comme si il y avait ceux qui suivaient le mouvement, soit parce qu’ils voulaient s’afficher « jeune et branché », soit parce qu’Internet fait vraiment partie de leur pratique quotidienne ou pour rester connectés avec ce que font leurs enfants, et ceux qui en sont loin, très loin. Ainsi, parmi les membres du gouvernement, on cherchera en vain les Marie-Josée Jacobs, Claude Wiseler, Jean-Marie Halsdorf, Jean-Louis Schiltz, Octavie Modert, François Biltgen ou Fernand Boden (ainsi qu’un vrai profil de Jean-Claude Juncker) parmi les membres du CSV, ainsi que Jean Asselborn, Lucien Lux, Mady Delvaux et Nicolas Schmit parmi les socialistes. 

Le LSAP toutefois compte deux ministres (Mars di Bartolomeo, Santé, presque 900 amis, et Jeannot Krecké, Économie et commerce extérieur, plus de 230 amis lundi) et un président du parti, Alex Bodry, sur Face­book. Bodry, 50 ans, maire de Dude­lange, deux enfants et plus de 320 amis virtuels, est d’ailleurs d’une franchise déconcertante sur sa page. Ainsi, le 3 décembre à 11h29, en pleine crise institutionnelle, ce spécialiste du droit constitutionnel inscrit sur sa page : « Alex beschäftegt sech mat de Pro­blemer vum Grand-Duc » (Alex s’occupe des problèmes du grand-duc) et récolte immédiatement beaucoup de réactions d’internautes. Une heure plus tard, il ajoute : « Alex gesäit niewend den Grand-Duc och nach Problemer mam Budget an der Wirt­schaft. Et gett net flott » (Alex voit, à côté du grand-duc, également des problèmes avec le budget et l’économie. Ça ne sera pas chouette). Sur la page consacrée à sa personne, il a inscrit dans la rubrique « About Me » : « rien d’extraordinaire » et s’avoue fan d’Oba­ma, de Doctor House et de Mister Bean... Très human touch.

Mais il se pourrait effectivement que de telles inscriptions aient été faites sans réelle arrière-pensée, un soir à Dudelange, sans grande équipe de consultants qui décrètent que la campagne pour les législatives de 2009 se fera sur Internet, par des live chats, comme en organisent désormais tous les grands partis, CSV, LSAP, DP, des films sur Youmaketv de RTL, comme le font Déi Gréng, ou par Facebook, comme le font plein de politiciens, chacun pour soi. Ils se comportent en personnes privées, alors que l’espace est hybride, qu’on n’y est pas anonyme comme sur Myspace. Au contraire, on y figure, en principe, sous son vrai nom et sa vraie identité, le but étant justement de créer des réseaux, des groupes de gens qui s’intéressent aux mêmes choses.

Trois des députés les plus actifs sur Facebook sont ainsi Marc Angel (861 amis lundi) et Claudia Dall’Agnol (plus de 800 amis), tous les deux LSAP, ainsi que le champion toutes catégories, Xavier Bettel (DP). Ce trentenaire fêtard, avocat, député et échevin de la Ville de Luxembourg, actualise son statut plusieurs fois par jour et fait ainsi participer ses 4 200 amis (sic !) à sa passionnante vie quotidienne, entre une journée avec douze mariages à célébrer en tant qu’officier de l’état civil, en passant par ses problèmes de circuler avec une BMW équipée de pneus d’été sur les routes fraîchement enneigées, jusqu’à son agacement face au refus du grand-duc Henri de signer la loi sur l’euthanasie, le 2 décembre. Cette inscription a immédiatement recueilli 91 réactions d’internautes sur la monarchie, l’euthanasie ou la Constitu­tion – qu’on ne dise pas que les gens ne s’intéressent pas à la politique ! 

Parmi ses collègues libéraux, les plus célèbres Facebookiens sont encore Lydie Polfer (502 amis) à qui il arrive de noter des réflexions comme « Lydie pense aux relations internationales et aux médias » et qui publie un album avec une soixantaine de photos de l’ancienne maire de la capitale et ministre des Affaires étrangères avec les grands de ce monde, Arafat, Mitter­rand, Chirac, Annan, Powell ou Bush. Ou l’actuel maire, Paul Hel­minger, qui, bien qu’arrivé que très récemment, compte déjà plus d’une centaine d’amis – dont beaucoup, toutes appartenances politiques confondues, se sont empressés de lui souhaiter un bon anniversaire en octobre. Plusieurs députés et autres mandataires des Verts ont également leur page, tout comme on y trouve certains jeunes de La Gauche ; les CSV et ADR par contre sont plus rares. 

Mais cette plateforme sociale n’est pas uniquement un endroit où des individus peuvent se retrouver – ce qui marche d’ailleurs assez bien – et discuter de manière décontractée, s’envoyer des films et des photos, des cadeaux virtuels ou des liens vers des sites Internet, mais elle permet aussi de créer des groupes auxquels chacun peut adhérer en un clic. Les blagues et déconnades dominent : un millier de gens adhèrent ainsi au groupe « Ett muss mei gesoff ginn !!!! », les groupes contre le CSV, Jean-Claude Juncker ou Luc Frieden (« Wann d’Ilres urifft ‘kennen ech keen’ Luc Frieden » – Si l’institut de sondage Ilres m’appelle, je dis ne pas connaître Luc Frieden) sont légion. 

Or, qui dit forum ouvert et maniement facile, dit forcément aussi risque de dérives : Le racisme est ainsi vite devenu un sujet majeur dans la communauté luxembourgeoise sur Facebook. Un groupe d’intérêt qui proposait par exemple l’introduction d’une vignette payante pour les frontaliers qui, selon eux, encombreraient les autoroutes grand-ducales en venant travailler ici – au lieu de laisser un passage prioritaire aux Luxem­bourgeois, visiblement supérieurs aux yeux de ces signataires – avait vite fait le plein, et comptait plus de 1 500 noms lundi. Plusieurs médias français et belges s’en étaient d’ailleurs inquiétés, craignant une réelle montée de racisme à l’encontre des travailleurs frontaliers. Un autre groupe a réagi en promouvant « Eng Vi­gnette fir d’Idioten » (une vignette pour les connards ; 584 membres). 

Mais les sites à caractère nationaliste et xénophobe fleurissent toujours dans cette communauté virtuelle luxem­bourgeoise : entre ceux qui ne veulent plus parler que le luxembourgeois dans les magasins ; ceux qui se demandent si on ne peut pas interdire aux supporters de football portugais de manifester publiquement leur joie en klaxonnant après que leur équipe ait remporté un match ; ceux qui se disent fiers de leur pays, de leur drapeau, de leur langue, et ceux qui veulent « rester ce que nous sommes », ils sont vite plusieurs centaines de membres, et souvent des très jeunes. Une page intitulée « Nee zu Gruppen wéi ‘Lëtzebuerg de Lëtze­buerger’ » (Non à des groupes comme ‘Luxembourg aux Luxembour­geois’) et regroupant presque 1 200 membres en début de semaine, fait une sorte de veille des contenus publiés au grand-duché et mettent les pages douteuses au ban – au pire, on peut les dénoncer auprès de Facebook, qui peut les bloquer. 

Si donc Facebook est un média puissant – et gratuit ! – qui permet de fédérer toutes les tendances dans la population, on pourrait donc estimer que des groupements politiques proches de telles revendications politiques, comme la fierté pour tout ce qui serait luxem­bourgeois, y seraient très populaires. Or, raté : en deux mois, l’ADR n’a réus­si qu’à fédérer neuf fans sur sa page ! 

Autre échec retentissant : la commissaire européenne Viviane Reding (CSV) a voulu jouer les Obama en créant sa propre page de politicienne : Depuis septembre, lorsqu’elle faisait part au monde du message hautement sexy : « From July 2009 SMS in the whole Europe for max. 0,11 eu­ros. Moreover, call prices should continue to decrease until 2013 by 0,03 euros per year to achieve 0,34 euros/ minute for outgoing and 0,10 euros/ minute for incoming calls :-) », elle a récolté trois réactions et 17 personnes se sont inscrites en tant que fans.  

josée hansen
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