Azimut

De la voûte céleste aux parcours les plus fous

d'Lëtzebuerger Land du 20.12.2013

Découvert en 2005 lors de son premier passage à Luxembourg dans Plus ou moins l’infini, à la géométrie redoutable et à la croisée des diverses disciplines artistiques, Aurélien Bory a présenté mi-décembre Azimut, sa seconde création en dix ans avec le Groupe acrobatique de Tanger. Deuxième passage de l’année pour ce créateur, après Plexus joué en novembre et interprété par Kaori Ito.

C’est en 2000 que le chorégraphe et metteur en scène découvre la spécificité de l’acrobatie circulaire. Le Groupe acrobatique de Tanger est fondé avec Sanae El Kamouni et « Taoub » qui résulte de cette collaboration en 2004 est représentée plus de 300 fois. En 2010, le Groupe acrobatique fera sa première apparition devant le public Luxembourgeois interprétant Chouf Ouchouf de Zimmermann & de Perrot.

Parcours atypique d’Aurélien Bory, initialement passionné de physique (acoustique architecturale) lequel a choisi de s’éloigner de la « voie » tracée pour l’interrompre au profit d’une vocation artistique. Cette rupture passe par les arts de la scène, la dextérité des jongleurs et la question du rapport entre la gravité et l’objet. Cependant, ainsi que précisé lors de notre entretien téléphonique avec le chorégraphe : « L’intérêt pour le phénomène scientifique est revenu dès le premier spectacle (la trilogie sur l’espace et l’infini) dans la façon d’aborder la scène comme un lieu physique et de mathématiques et la relation homme-espace avec les lois qui la régissent ». « Sur les trois dernières années, ont été créés, Géométrie de caoutchouc, Plexus et Azimut. J’emprunte une démarche et une mécanique de déduction avec un abord métaphysique et je souhaite laisser de la place au regard de l’autre ». « L’art n’est pas un objet de contemplation mais est une relation. Les idées viennent du plateau. Je travaille en duo pour chaque partie technique de la création (décors, lumières, etc.), puis ayant une vision du détail, le tout est assemblé et prend sens. Azimut vient de l’arabe As-samt, au pluriel Sumūt, qui signifie ‘les chemins’. Azimut est également un terme astronomique, qui mesure l’angle entre les astres et l’observateur. Le postulat de cette création est que le saut de l’acrobate est l’échec d’une tentative de vol. Or, les premières machineries de théâtre sont relatives au vol humain et servent à libérer les acteurs de la gravité ».

Travaillant artisanalement, ce spectacle reprend les techniques de machineries de vol avec les contrepoids humains. Les sacs représentent le poids mort de chaque acteur, marionnette de son sac. Tour à tour, relié à un sac, les acteurs deviennent des marionnettistes. Une structure quadrillée, des fils, du tissu synthétique transparent, de la mécanique et nous voici plongés dans un spectacle de la nuit avec des trouées de jour, un clair/obscur, lors duquel les apparitions et disparitions permettent de s’abstraire de tout référentiel des lois physiques de la gravité. Les éclairages d’Arno Veyrat, présent sur tous les spectacles d’Aurélien Bory, sont simplement époustouflants de précision.

Au début, le noir et des sacs qui descendent doucement puis en une heure, tout s’enchaîne à merveille : des acteurs suspendus en l’air telles des chauves-souris, d’autres marchant à l’envers sur le plafond, difficile de comprendre… Il y a du Harry Houdini et de la magie dans ces scènes difficilement inexplicables tant elles défient nos certitudes. Beaucoup de poésie aussi, lors de ces divers passages de roues en ralenti et en accéléré, figure essentielle ancestrale dans l’acrobatie marocaine et impression de fragmentation du mouvement et de la lumière. Moment de grâce !

Le soufisme berbère du Sud Maroc reste la porte d’entrée, le lien avec le ciel entre l’acrobatie et le spiritualisme. Au XIXe siècle, les acrobates marocains appelés « les enfants de Sidi Ou Moussa » étaient employés dans les cirques traditionnels allemands. Pourtant, l’acrobatie marocaine n’est pas un art spectaculaire initialement. Elle contient une voie mystique notamment dans les figures de base employées. « Il semblerait que les roues rappellent les formes convexes, la cambrure du corps, symbolique de la voûte céleste, » explique Aurélien Bory.

La dramaturgie d’Azimut est imprégnée de cette quête du chemin et de la symbolique de la roue : commencement et fin. Le créateur utilise la métaphore du travail de l’acrobate via l’expérience céleste de Sidi Ahmed Ou Moussa, Saint Patron du Soufisme ayant préféré revenir sur terre. Le public aura vécu une expérience unique temporelle avec la famille Hammich, acrobate depuis sept générations. Visuellement, ces danses ancestrales sphéroïdales sont transcendées en un esthétisme contemporain poétique et l’on perçoit un profond mutuel enrichissement humain. De la terre nourricière, de la terre au ciel, cette roue devenue symbole du destin nous oriente vers la chance ou la malchance au gré des humeurs de la déesse romaine du hasard, Fortuna.

Emmanuelle Ragot
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