chroniques de l’urgence

Le marché du carbone reste poussif

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.2022

L’Union européenne s’est dotée ces dernières semaines d’un marché du carbone actualisé censé la mettre sur la voie de la neutralité carbone. Le marché de quotas, qui avait été officiellement lancé en 2005 et ne concernait alors que l’industrie lourde, va être étendu à d’autres secteurs comme le transport maritime, les vols aériens intracommunautaires, les transports routiers ou le chauffage des bâtiments. Les quotas gratuits distribués jusqu’ici aux industriels concernés vont graduellement disparaître à partir de 2026, et entièrement d’ici 2034. Le prix des quotas, libellé en euros par tonne de CO2 émise, va augmenter afin d’être plus incitatif. Les distributeurs d’hydrocarbures seront assujettis au marché des quotas à partir de 2027, avec toutefois un plafond de 45 euros par tonne jusqu’en 2030 au moins. Objectif : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 62 pour cent au moins d’ici 2030 par rapport à 2005. Les recettes de la vente de quotas, évaluées à 86,7 milliards d’euros, iront à un « Fonds social pour le climat » qui aidera les ménages vulnérables dans la transition énergétique. Pour protéger les pollueurs de l’UE de la concurrence originaire de régions du monde non soumises à de telles contraintes, une taxe aux frontières extérieures de l’Union, dite « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », va être instituée.

En Allemagne, l’économiste Ottmar Edenhofer, directeur du Potsdam-Institut, qui étudie les impacts du changement climatique, a qualifié de « percée » cette réforme, notamment parce qu’elle devrait selon lui permettre d’avancer la date de la fin de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité dans ce pays. Prévue en 2038 seulement dans l’accord dit « Kohleausstieg », ramenée à 2030 pour la Rhénanie grâce à un accord régional, elle pourrait selon lui avoir désormais lieu plus tôt. Il a cependant critiqué que les dispositifs adoptés pour le secteur des transports et celui des bâtiments soient « beaucoup trop mous » et estimé que le fonds social censé amortir le coût de la transition pour les ménages défavorisés n’était « certainement pas opulent ».

Compte tenu du manque d’ambitions qui règne dans le monde en matière d’action climatique, l’UE a beau jeu, au moment d’adopter cette réforme de son marché carbone, de se présenter comme pionnière et exemplaire en matière d’action climatique. En réalité, après avoir permis aux fédérations de l’industrie lourde d’infléchir le marché des quotas en leur faveur au début des années 2000, les dirigeants européens ont encore perdu de précieuses années après la crise financière de 2008, quand le prix déprimé de la tonne de carbone a perdu tout caractère incitatif. Au regard de l’acuité de la crise climatique et de l’indigence des résultats obtenus à ce jour, force est de se demander, vingt ans plus tard, si l’insistance à vouloir inciter à la décarbonation en privilégiant les mécanismes de marché ne relève pas d’un fétichisme ancré dans les dogmes libéraux.

Jean Lasar
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