Tendre vers la neutralité carbone à l’horizon 2050

Et si la sidérurgie était une des solutions pour combattre le changement climatique ?

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2019

Au plus tard depuis la COP21 de Paris fin 2015, le monde a pris conscience que le changement climatique constitue le grand défi de notre époque. Plus important encore, il s’agit d’un problème global qui nécessite une réponse multilatérale : le « tous pour un (objectif) » est désormais la solution, alors que le débat mené dans la plupart des pays s’assimile d’avantage à un « moi tout seul pour régler mon problème ».

Ainsi, au Luxembourg, un des moyens pour atteindre l’objectif de réduction des émissions vise à baisser les ventes de gasoil aux camions en transit. Or, au lieu de s’interroger sur comment affecter les accises générées par ces ventes pour financer des projets de réduction qui coupent réellement les émissions, par exemple via l’isolation des maisons ou la mise au point de projets industriels innovants, on les déplace chez le voisin. De même, au niveau européen, la perversion du régime des certificats d’émission appliqué à l’industrie sidérurgique a comme effet de favoriser l’importation d’aciers en Europe, fabriqués par des usines beaucoup plus polluantes en Chine ou ailleurs. Et ces produits se substituent à des aciers produits par exemple au Luxembourg, en Allemagne, en Espagne, en France ou en Pologne, avec comme corollaire que l’émission de gaz à effet de serre diminue statistiquement en Europe mais augmente globalement dans le monde.

L’objet ici n’est cependant pas de se livrer à des considérations politiques ou à l’art de la comptabilité des émissions, mais d’expliquer à l’aide d’un cas pratique comment une industrie – la sidérurgie – avec six pour cent des émissions globales d’émission de CO2 et première branche industrielle dans notre pays, répond à ce défi dans le but de devenir COP-compatible et de tendre vers la neutralité carbone à l’horizon 2050.

L’enjeu est de taille, non seulement pour Arcelor-Mittal et les autres producteurs sidérurgiques dans le monde, mais également pour l’avenir de l’acier, dont les propriétés mécaniques et le coût en font le matériau de référence pour les grandes infrastructures, les modes de transport, la construction ou encore la production d’énergie (les éoliennes sont en acier tout comme les panneaux solaires contiennent bien plus d’acier que de silicium). Et, contrairement au ciment, à l’aluminium ou même au carbone, dont les bilans en matière de consommation d’énergie et d’émissions sont autrement plus négatifs que ceux de la sidérurgie, l’acier a en sus la qualité unique qu’il est éternellement recyclable, soit par la réutilisation (principe du cradle to cradle), soit par la transformation de la ferraille en de nouveaux produits dans l’aciérie électrique1. Et pour autant que l’électricité consommée dans le four électrique soit verte ou exempte de CO2, le recyclage de ferraille permet aujourd’hui déjà de produire de l’acier vert, c’est-à-dire pratiquement exempt d’émissions de gaz à effets de serre.

Alors que l’acier est recyclé à environ 90 pour cent du fait de ses propriétés magnétiques lui permettant aisément d’être collecté, la croissance de la consommation d’acier fait que seulement 22 pour cent de l’acier produit dans le monde l’est par le recyclage de ferraille. La raison en est que l’utilisation de l’acier est en croissance continue – surtout dans les pays en développement qui ont besoin d’infrastructures modernes (la production et la consommation ont plus que doublé depuis l’an 2000 passant de 850 millions de tonnes à 1 808 millions de tonnes en 2018, la Chine en produisant à elle seule plus de la moitié) et que la durée de vie moyenne d’un produit en acier peut varier de quelques mois (capsule de bière, boîte de conserve), à dix (voiture) ou plus de cent ans (pont, immeuble, ...) voire plus (la Tour Eiffel), avec comme conséquence qu’on recycle aujourd’hui l’acier produit au siècle dernier. Le monde a donc encore besoin d’acier produit directement par le biais du minerai de fer dont les réserves sont quasiment inépuisables et réparties sur tous les continents. À long terme, et au fur et à mesure que le retard en infrastructures modernes sera comblé dans les pays en développement, il est probable que la croissance de l’utilisation de l’acier baissera ce qui augmentera le taux de recyclage qui pourrait approcher cinquante pour cent à l’horizon 2050.

Cependant, la production d’acier primaire, qui est aujourd’hui à la base de la plupart des émissions de CO2, restera importante dans le long terme ce qui pose les producteurs tout comme les constructeurs d’installations sidérurgiques tels que Paul Wurth SA devant le défi de changer de modèle et d’imaginer des procédés susceptibles d’éliminer ou du moins de drastiquement réduire les émissions. Or depuis plusieurs millénaires, à savoir depuis l’âge du fer, il était connu que pour transformer le minerai (dont la composition chimique comprend du fer (Fe) et de l’oxygène (O), il fallait un combustible contenant du carbone (C), d’abord le charbon de bois puis le coke. Ce procédé de réduction généré dans le haut fourneau permet de produire la fonte liquide transformée ensuite en acier dans l’aciérie, et émet également du CO2, aujourd’hui un peu moins de deux tonnes par tonne d’acier produite dans les installations les plus performantes.

La sidérurgie demain : une industrie propre qui devient un acteur majeur dans la bataille contre le réchauffement climatique

Sacré challenge qui est aujourd’hui à l’ordre du jour de tout sidérurgiste et constructeur d’équipements, avec comme enjeu de produire de l’acier avec un minimum d’émission de CO2 et de participer ainsi activement à l’émergence d’une économie neutre en carbone.

La première approche consiste à développer des solutions permettant d’améliorer l’efficience énergétique et à réduire la consommation d’énergies fossiles dans le processus de production traditionnel. Ainsi, l’usine d’Arcelor-Mittal Belval a inauguré l’année dernière un récupérateur de chaleur au niveau du four de réchauffage du laminoir à palplanches, permettant à Sudcal d’utiliser cette chaleur pour alimenter le réseau de chauffage urbain du nouveau quartier de Belval et d’éliminer presqu’entièrement la combustion de gaz naturel dans sa chaudière. Au niveau de la technologie des hauts fourneaux, des projets sont en cours ou à l’étude pour substituer le coke par d’autres combustibles. Arcelor-Mittal développe ainsi un projet dans son usine de Gand visant à injecter de la biomasse (débris de bois) dans le haut fourneau en substitution à du charbon. De même, une piste poursuivie par Paul Wurth consiste à retraiter les gaz générés par les hauts fourneaux et les cokeries pour les réinjecter ensuite dans le haut fourneau réduisant ainsi le recours à du charbon, alors que ces gaz sont aujourd’hui surtout utilisés pour produire de l’électricité avec un faible rendement.

Une deuxième voie de recherche poursuivie actuellement par la sidérurgie ensemble avec d’autres industries fortement émettrices de CO2, comme le ciment ou la chimie, est de capter le CO2 généré par la production pour le retraiter, le comprimer, le transporter via des pipelines et l’enfouir pour le stocker définitivement sous terre ou sous mer, par exemple dans des anciens puits de pétrole ou de gaz dont l’exploitation a cessé.

Stocker du CO2 sous terre est une solution mais ne constitue pas la réponse à toutes les émissions de CO2 qui sont le fait de l’homme. Il serait préférable d’imaginer des scénarios qui soit permettent de transformer le CO2 en un produit utile et de le substituer à des hydrocarbures, soit d’éviter l’émission de CO2 tout court pendant le processus de production. C’est précisément à de telles solutions qu’Arcelor-Mittal en tant que producteur ou Paul Wurth comme équipementier travaillent. Ainsi, Arcelor-Mittal investit actuellement ensemble avec un partenaire technologique américain (Lanzatech) dans un projet industriel convertissant quinze pour cent du gaz de CO (monoxyde de carbon) généré par les hauts-fourneaux de Gand en du bioéthanol, grâce à l’action d’enzymes, qui pourra être utilisé dans des moteurs à explosion ou comme kérosène pour avions et se substituer ainsi à du pétrole. La production de l’usine de Gand, qui sera opérationnelle en 2020, sera de 80 millions de litres d’équivalent pétrole, soit la consommation annuelle d’un parc de 100 000 voitures. Il s’agit en l’occurrence d’une application des principes de l’économie circulaire au CO2.

Autre exemple avec Paul Wurth qui est devenu en début d’année l’actionnaire/partenaire industriel de la société allemande Sunfire, laquelle a développé un nouveau procédé innovant et à haut rendement permettant soit la production d’hydrogène à base d’électricité verte et de vapeur, soit également la fabrication de fuels synthétiques (non fossils) sur base de CO2 et de vapeur d’eau. L’intérêt de cette technologie appliquée à la sidérurgie est qu’elle permet de substituer l’hydrogène au charbon ou au gaz naturel comme source d’énergie et d’agent réducteur (permettant de lier le facteur O de l’oxyde de fer avec le H pour générer de la vapeur d’eau, à savoir la molécule H2O). Techniquement, l’aciérie, le haut-fourneau et la cokerie seront remplacés dans ce cas par un four à réduction directe et une aciérie électrique et dans ce cas, il sera techniquement possible de produire à une échelle industrielle de l’acier sans émission de CO2.

Les conditions requises pour substituer cette nouvelle technologie au procédé du haut fourneau vieux de plusieurs siècles sont d’une part la production à très grande échelle et à prix de revient compétitif d’électricité verte (capacité de 600 mégawatt installée pour une filière de production d’un million de tonnes) et d’autre part la mobilisation de moyens financiers substantiels pour réaliser les investissements requis (sachant que la sidérurgie est très intensive en capital et qu’il faudra remplacer des centaines de hauts-fourneaux actifs dans le monde). En d’autres termes, cette technologie ne pourra être mise en œuvre que progressivement, et entretemps le traditionnel haut fourneau pourra être adapté à l’injection partielle d’hydrogène. Finalement, une dernière piste qui est actuellement encore à un stade de recherche, est d’utiliser la technologie de l’électrolyse pour extraire le fer du minerai avant de l’affiner en acier, mais ici aussi le besoin en électricité est considérable.

Les implications politiques

Partant de la prémisse que les caractéristiques de l’acier en font le meilleur et le plus utile des matériaux pour le développement d’une société moderne et soutenable, il est important de se poser la question quelles sont les prérequis en termes d’accompagnement politique lui permettant de jouer ce rôle ?

Sans acier, pas d’infrastructures ferroviaires, pas de transports en commun, pas de constructions d’envergure complètement recyclables, pas d’éoliennes, ni de panneaux solaires ou de barrages hydrauliques qui sont les fondements de l’énergie verte. L’Europe, dont la sidérurgie est actuellement techniquement la plus évoluée et la plus respectueuse de l’environnement, devrait donc tout entreprendre pour qu’elle réussisse sa transformation en termes d’émissions de CO2.

La première recommandation est que les pouvoirs publics ont intérêt à promouvoir systématiquement des solutions acier pour les constructions et grands ouvrages d’infrastructures. Ce faisant, ils utilisent un matériau très versatile et recyclable à l’infini, ce qui n’est pas le cas des constructions en béton dont le bilan énergétique et environnemental est bien plus défavorable. Voilà pourquoi, Arcelor-Mittal a lancé récemment au Luxembourg sa division Stelingence (www.steligence.com) qui donne aux maîtres d’ouvrage et aux architectes des solutions innovantes permettant d’optimiser une construction sous ses aspects environnement, coût et rapidité d’exécution.

Comme l’a dit le Professeur Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie, lors d’une conférence publique organisée par la BCL le 17 septembre, la solution la plus rationnelle serait d’introduire au niveau mondial un prix unique pour l’émission de CO2 suffisamment élevé afin de permettre au marché de financer le plus efficacement les mesures de son élimination. De cette façon, chaque émetteur serait mis à un pied d’égalité et l’innovation et l’introduction de nouvelles technologies seraient promues.

Or, dans le louable but d’être le précurseur « écologique », les gouvernants de l’Union européenne ont mis en place unilatéralement le système des quotas d’émission dont l’effet est qu’il augmente le coût de production en Europe tout en en exemptant les importateurs qui polluent davantage alors qu’eux ne sont pas exposés aux mêmes contraintes. Il faudrait dans ce cas imposer aux frontières de l’UE une taxe à l’importation du CO2 qui s’appliquerait également aux aciers importés. En même temps, l’UE devrait encadrer avec les moyens substantiels récoltés de la vente des quotas d’émission le
développement, le financement et la mise en place des nouvelles technologies expliquées ci-dessus.

En deuxième lieu, la condition sine qua non pour une transformation environnementale radicale est la génération à très grande échelle d’électricité verte à bon marché qui deviendra notre énergie primaire et se substituera aux énergies fossiles du XXe siècle. Le coût de l’énergie sera un enjeu stratégique et les régions ou les pays qui seront les meilleurs et les plus efficaces en ce domaine seront les plus compétitifs. L’éolien offshore et l’implantation des processus industriels intensifs en énergie à proximité des sources d’énergie abondante sont des pistes à mettre en œuvre. Dans tous les cas, une politique visant à renchérir le prix de l’électricité au motif d’en freiner la consommation va dans la mauvaise direction. Appliquée à l’industrie une telle politique accélérerait la désindustrialisation de la « vieille Europe » alors que le souci premier est de réussir le passage à l’« Industrie 4.0 » et de réussir les premiers la transition écologique pour en faire un atout pour le leadership européen.

L’histoire des émissions de la sidérurgie luxembourgeoise

En 2016, les émissions totales de CO2 au Luxembourg (Tanktourismus compris) ont atteint 10,1 millions de tonnes alors que le record des émissions date de 1974 avec 14,4 millions de tonnes dont un peu moins de douze tonnes pour la seule sidérurgie. À l’époque, les émissions directes représentaient deux tonnes par tonne d’acier produite. Elles ont diminué de 80 pour cent aujourd’hui à 300 kilogrammes par tonne, ceci à la suite du changement technologique opéré après 1997, à savoir le remplacement des hauts fourneaux par des aciéries électriques recyclant la ferraille. Et encore, cette valeur pourrait être drastiquement réduite à moins de cent kilogrammes pour autant que l’énergie électrique utilisée soit verte ou exempte de CO2. La consommation énergétique des sites de production luxembourgeois exprimée par tonne d’acier (pour neutraliser l’effet de réduction de la production), est aujourd’hui inférieure de 75 pour cent à ce qu’elle était en 1974. Par ailleurs, par rapport aux années 1970, les émissions de dioxines ont baissé d’un facteur 50, les émissions de plomb de 99 pour cent, celles de zinc de 97 pour cent et celle des poussières d’un facteur dix. En d’autres termes, le changement de filière et le progrès technique ont fait de l’industrie sidérurgique luxembourgeoise une industrie bien plus vertueuse qui vend à ses clients des solutions acier qui sont écologiques et durables.

Source : Arcelor-Mittal Luxembourg

Michel Wurth est président du Conseil d’administration d’Arcelor-Mittal Luxembourg et de Paul Wurth. Il s’exprime ici à titre personnel. Son article fait partie d’une série consacrée à la politique climatique. Les contributions précédentes ont été publiées dans les éditions du 19 juillet ainsi que du 2, 9, 23, 30 août et du 6 et 20 septembre 2019. Le lecteur les retrouve dans nos archives sur land.lu, sous la rubrique Environnement et aménagement du territoire/Climat.

1 Climate Action Report 1, Arcelor-Mittal, mai 2019. www.arcelormittal.com

Michel Wurth
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