Michel Erpelding, chercheur en droit international à l’Université de Luxembourg, replace le conflit israélo-arabe dans un contexte juridique. Une série d’atteintes graves au droit international pourraient précipiter le Moyen-Orient qu’il connaît bien1, dans le chaos. Il s’agit ici d’un point de vue de juriste (le droit étant l’ensemble des règles, définies au fil de l’histoire, auxquels les agents d’une communauté sont tenus de se plier).

« Les portes de l’enfer pourraient s’ouvrir »

Vue sur la bande de Gaza depuis la ville israélienne de Sderot après un bombardement, le 25 octobre
Foto: Ronaldo Schemidt / AFP
d'Lëtzebuerger Land vom 27.10.2023

d’Land : Monsieur Erpelding, cette semaine au conseil européen des ministres des Affaires étrangères à Luxembourg, Jean Asselborn a réaffirmé « sans équivoque le droit d’Israël à la défense légitime », mais insiste sur « le plein respect du droit international ». Cela sous-entend qu’’il n’est pas respecté ?

Michel Erpelding : Le ministre a raison d’insister sur le respect du droit international, en l’occurrence le droit de la guerre ou droit international humanitaire, qui lie toutes les parties au conflit et qui exprime le respect de notre commune humanité. Ce n’est pas parce que le Hamas a piétiné de manière absolument abjecte les fondements de ce droit qu’Israël serait désormais justifié à assimiler à des combattants du Hamas tous les Gazaouis qui ne suivent pas ses sommations d’évacuation, en leur coupant l’eau et les vivres et en les soumettant à des bombardements d’une ampleur aussi terrifiante que meurtrière. Quant à la référence au droit de légitime défense, je comprends ce que veut dire le ministre, à savoir que personne ne conteste qu’Israël a le droit d’attaquer des cibles militaires du Hamas, mais c’est un peu moutarde après dîner.

Pourquoi ?

D’un point de vue strictement juridique, l’invocation de ce droit suppose qu’un nouveau conflit vient d’éclater. Or ce n’est pas le cas ici : le conflit israélo-palestinien peut être considéré comme un conflit armé international en cours au moins depuis 1967, c’est-à-dire depuis l’occupation par Israël de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza. On a parfois tendance à l’oublier en Europe, mais pour beaucoup d’habitants d’Israël-Palestine, la guerre est une réalité quotidienne depuis des décennies. L’explosion de violence à partir du 7 octobre 2023 – les massacres de civils israéliens, suivis des attaques toujours en cours sur Gaza et d’une détérioration de la situation en Cisjordanie – est le dernier épisode en date d’un conflit beaucoup plus vaste et ancien, même si c’est vers Gaza et ses abords que convergent aujourd’hui les regards.

Quel est justement le statut de la bande de Gaza ? Peut-on vraiment l’assimiler au reste de la Palestine ?

Gaza doit être considérée comme faisant partie intégrante des territoires palestiniens occupés, même si sa situation est atypique à certains égards. Il est vrai qu’après avoir pris le pouvoir par la force en 2007, le Hamas y exerce une autorité de fait. Mais cette autorité n’est pas constitutive d’une entité politique distincte du reste de la Palestine. Tout d’abord, les Gazaouis se considèrent toujours comme Palestiniens. Ensuite, Israël continue d’exercer un contrôle déterminant sur la bande de Gaza, par les terres, dans les airs et même sur les mers. Les pêcheurs gazaouis se font tirer dessus dès qu’ils approchent la limite des eaux territoriales, et parfois même au sein de celles-ci. Pour la majorité des juristes internationaux, l’occupation de Gaza n’a pas cessé avec le retrait partiel israélien de 2005. Le contrôle effectif exercé auparavant sur place par l’occupant a simplement cédé le pas à un contrôle effectif à distance. Le fait de pouvoir couper l’eau et les vivres aux Gazaouis du jour au lendemain en constitue l’exemple le plus frappant. Pour l’ONU aussi d’ailleurs, Israël n’a pas perdu son statut acquis en 1967 de puissance occupante à Gaza – et reste donc liée par les obligations qu’implique ce statut, notamment celle de répondre aux besoins essentiels de la population civile.

Est-ce que la volonté de libérer les otages confère une légitimité à l’intervention militaire à Gaza?

La prise d’otages parmi la population civile constitue un crime de guerre. Je note au passage que doit être considérée comme civile toute personne non combattante, ce qui inclut les militaires démobilisés. Le Hamas a l’obligation de les libérer. Le fait qu’Israël pratique également à grande échelle la détention arbitraire de civils palestiniens ne constitue pas une excuse à cet égard, étant donné qu’il est interdit de répondre à une violation du droit de la guerre par une autre violation du droit de la guerre. J’insiste sur cette dernière observation. Elle vaut pour chacune des deux parties. Car même si le Hamas libérait rapidement tous les otages, ce qui semble peu probable, l’horreur des crimes du 7 octobre pousse beaucoup de gens à réclamer une intensification des opérations militaires israéliennes. Or une telle intensification s’accompagnerait nécessairement de multiples violations graves du droit international humanitaire.

En droit international on doit veiller à la proportionnalité des moyens engagés, non ?

Absolument. Et il faut bien comprendre de quoi il s’agit. La proportionnalité ne s’apprécie pas par rapport à la violence de l’attaque antérieure. Ce n’est pas parce que le Hamas a commis des atrocités dans des kibboutzim qu’il faut faire quelque chose du même genre. Ce serait la négation même du droit de la guerre, dont le but est précisément d’éviter l’escalade de la violence. La proportionnalité s’apprécie en fonction du but militaire à atteindre. Si des infrastructures ou des combattants du Hamas sont visés, il ne faut pas que cela donne lieu à un nombre « disproportionné » de victimes civiles. Évidemment, la proportionnalité n’est pas une règle très claire et les États tout comme leurs juristes ont des conceptions divergentes à ce sujet. Par exemple, le spécialiste israélien du droit de la guerre Yoram Dinstein estime qu’on ne peut pas détruire tout un village en causant des centaines de victimes civiles pour éliminer un seul sniper, mais qu’on peut le faire pour supprimer une batterie d’artillerie. C’est là une conception de la proportionnalité que ne partagent pas la plupart des auteurs européens, qui ont tendance à davantage favoriser la vie des civils par rapport à l’atteinte d’un objectif militaire donné.

Avec la guerre de la communication et le flou autour des chiffres des victimes, comment juge-t-on de la proportionnalité ?

Pour un maximum d’objectivité, le mieux est de diligenter une enquête internationale après les faits. Il y a déjà eu des commissions d’enquête à Gaza. Le problème c’est que par principe Israël refuse les commissions d’enquête sur son territoire.

Est-ce que ce qu’il se passe en Israël depuis le 7 octobre n’est pas une négation du droit international ?

Ce sont des événements extrêmement choquants. Les combattants du Hamas ont violé toutes les règles possibles et imaginables du droit international humanitaire. Un principe majeur a été bafoué. Il faut toujours distinguer les civils des militaires. Le Hamas était déjà connu pour envoyer des missiles vers Israël sans trop s’intéresser où ça allait tomber. Mais là, des civils ont été ciblés de manière systématique. Ils les ont torturés, violés, brûlés… Le crime de guerre est certain. Il est aussi presque sûr que ces crimes ont été perpétrés dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique. Ce qui veut dire qu’il s’agirait d’un crime contre l’humanité. Et si une intentionnalité de détruire tout ou partie de la présence juive en Israël-Palestine était prouvée, cela équivaudrait à un acte de génocide. Il faudrait creuser pour savoir quelle était l’intention avant l’attaque.

Celle-ci relève de l’ignominie

Cette attaque remet complètement en cause la prétention du Hamas à devenir un acteur reconnu sur la scène internationale. Pour le devenir, il faut montrer un minimum de respect pour les règles les plus élémentaires du droit international. Les mouvements de libération nationale ont toujours violé les règles de droit humanitaire : le FLN algérien, par exemple, commettait régulièrement des massacres – et l’armée française aussi d’ailleurs. Mais il n’y avait pas cette volonté de sortir délibérément du cadre du droit international.

Qu’est-ce que les militants du Hamas risquent ?

D’abord la marginalisation politique pour l’organisation tout entière. Légalement, les militants impliqués doivent toujours être considérés comme des combattants. S’ils se rendent, ils ne doivent pas être tués, mais traités avec humanité. Israël a le droit de les juger. Vous avez le droit de juger un prisonnier de guerre qui a commis des violations graves du droit international humanitaire, comme celles que j’ai mentionnées. Théoriquement, les Palestiniens aussi pourraient les juger. D’ailleurs, contrairement à Israël, l’État de Palestine a adhéré au Statut de la Cour pénale internationale (CPI). Cette dernière pourrait aussi évidemment les juger, à condition qu’ils trouvent le chemin de La Haye et qu’ils ne soient pas tués ou jugés avant par les Israéliens.

Mais la CPI est-elle vraiment mobilisée ?

Elle était déjà censée enquêter aussi sur les crimes de guerre commis en Palestine, tant israéliens que palestiniens. Mais elle s’était donnée tout son temps. Maintenant, comme il y a plus de crimes de guerre du Hamas, le Procureur a mis ce dossier sur le haut de la pile. Le Procureur actuel, Karim Khan, britannique et réputé préféré par les Américains à sa prédécesseure, aurait tendance à montrer plus de diligence dans certains dossiers que dans d’autres. Pour l’Ukraine, tout était possible tout de suite. Le dossier palestinien, lui, a pris la poussière pendant des années. Maintenant que le Procureur semble à nouveau s’activer sur la Palestine, est-ce qu’il va examiner en même temps des dossiers qui concernent des dirigeants israéliens ?

Israël bafoue le droit international depuis 1967 et davantage encore depuis Oslo en 1995 ?

Israël est un cas très particulier en la matière. Le pays viole deux règles fondamentales. D’une part, c’est un des très rares États qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, annexe des territoires. Avant que la Russie n’annexe la Crimée, Israël avait annexé Jérusalem-Est et le Golan et s’était lancée dans un processus d’annexion de facto de la Cisjordanie. Cela remet fondamentalement en cause l’ordre international. J’ai déjà dit que la guerre contre la Russie avait été indirectement encouragée par l’administration Trump qui, en acceptant l’annexion du Golan par Israël, avait fait comprendre aux Russes que des annexions étaient acceptables dans certaines situations (d’Land, 25.02.2022). Violer ouvertement un certain nombre de fondements du droit international génère naturellement des ressentiments dans d’autres États, notamment dans le Sud global. L’autre règle qu’Israël viole de manière persistante c’est le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. Or le droit à l’autodétermination des peuples est aussi une règle fondamentale de la Charte de l’ONU. La colonisation, qui en elle-même est un crime de guerre, est étroitement liée à la violation de ces deux principes. Car si vous transférez votre population en territoire occupé, c’est pour préparer son annexion et empêcher le peuple occupé à y établir ou y maintenir son propre État.

D’aucuns dessinent des parallèles entre les deux conflits, Ukraine et israélo-arabe...

Je suis assez choqué quand j’entends des décideurs politiques occidentaux dire, Israël et Ukraine, même combat. C’est exactement l’inverse. Qui occupe et colonise ? Israël et la Russie. Qui se fait coloniser ? Les Palestiniens et les Ukrainiens. Il y a une forme de campisme. L’Occident n’est pas le club des États qui défendent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme ce qu’ils ont dit pour l’Ukraine. En réalité, c’est totalement à géométrie variable. Nos amis, on les laisse violer le droit autant qu’ils veulent (comme les États-Unis en 2003 en Irak). En revanche, on est très à cheval sur le droit quand il s’agit des autres. Évidemment cela ne consolide pas cette autorité morale que les États occidentaux veulent se donner. Et cela nuit au droit international.

Le droit international se meurt-il en ces heures sombres ?

Vous savez, depuis que l’ONU existe, on dit que le droit international se délite. À chaque guerre on le répète. Mais ce n’est pas parce qu’une règle est violée qu’elle n’existe pas. Après, en assurer le respect effectif est une autre chose.

Est-ce que ce mépris du droit international par le monde occidental n’entraîne pas une bipolarisation face au Sud global ?

C’est très clair. Dans mon métier, je parle souvent à des collègues originaires du Sud global. Ils voient le droit international comme une invention occidentale. Ils soulèvent qu’énormément de dispositions jouent en faveur du Nord ou perpétuent des stéréotypes d’antan. Par exemple, on parle encore de « nations civilisées » dans la Charte de l’ONU. Alors, si en plus on respecte pas les règles que nous-mêmes on a écrites… On n’a plus aucune crédibilité. C’est la question du double standard, du deux poids, deux mesures. Les Africains constatent que la CPI s’intéresse surtout à l’Afrique. Quand les dirigeants occidentaux doivent être jugés, comme les Américains en Afghanistan, elle traîne des pieds.

Comment se matérialise l’application du droit international ? Les condamnations à la CPI se comptent presque sur les doigts des deux mains.

Le grand internationaliste américain Louis Henkin disait « almost all nations observe almost all principles of international law and almost all of their obligations almost all of the time ». Si vous achetez un billet d’avion, dans le commerce international, ou dans d’autres domaines techniques, les règles du droit international sont généralement respectées et il existe surtout davantage de procédures pour en assurer l’effectivité. Pour les questions de guerre et de paix, c’est un peu plus compliqué. La CPI a condamné une dizaine de personnes. Elle a examiné une trentaine de dossiers. Elle a ses limites, mais c’est une voie possible. Il en existe également d’autres. Il est par exemple envisageable de créer un tribunal hybride ou mixte (avec des juges israéliens, palestiniens et internationaux) pour juger les personnes des deux côtés, comme on l’a fait au Cambodge pour les Khmers rouges. Impliquer les deux sociétés dans le processus judiciaire peut aider à revenir à la paix. Car, on le voit en Bosnie-Herzégovine, ce n’est pas évident de recouvrer la paix après des crimes de ce genre. Plus le Hamas commet ce type de crime épouvantable, plus Israël tue des civils, moins il y a de chance de pacifier la région.

Quelle voie diplomatique est privilégiée ou privilégiable pour sortir de ce conflit ?

Il faudrait, comme le disent Jean Asselborn et toutes les personnes sensées, que le Conseil de sécurité prenne en charge le processus de paix. Et là une partie bloque : ce sont les États-Unis. Si les Américains n’avaient pas brandi leur veto, le Conseil aurait pu imposer un cessez-le-feu à Gaza et on pourrait pu passer à l’étape suivante, y compris en prévoyant comment appréhender et faire juger les coupables.

Les États-Unis adoptent une posture étonnante, non ?

Sous Bill Clinton, ils ont poussé pour que le processus de paix avance, menant notamment aux accords d’Oslo en 1995. Ils se sont ensuite lassés et, depuis vingt ans, ils font comme si le conflit israélo-palestinien n’existait pas. Puis ils interviennent à nouveau. Le discours aujourd’hui tenu par Joe Biden est un discours manichéen à la George W. Bush. Le bien contre le mal. On se croirait dans le Seigneur des anneaux. Le Proche-Orient n’est pas une superproduction hollywoodienne. Ce sont des peuples coincés entre des criminels des deux côtés.

Le massacre commis par le Hamas a-t-il interrompu le processus de normalisation des relations d’Israël avec ses voisins arabes qui aurait pu mener à la paix ?

Alors oui mais non. Il serait totalement erroné de penser que l’on pourrait résoudre le problème israélo-arabe en ne traitant pas le conflit en son coeur. Israël ne connaîtra jamais la stabilité tant qu’il n’y aura pas de perspective pour le peuple palestinien. Selon la feuille de route adoptée en 2003 par les États-Unis, l’UE, la Russie et l’ONU, la solution à deux États aurait dû être effective en 2005. Presque vingt ans plus tard, les Palestiniens attendent toujours. En acceptant le compromis historique avec Israël, en renonçant à
78 pour cent de la Palestine mandataire pour une paix pas totalement garantie, les responsables de l’OLP ont pris des risques énormes, qu’on a parfois du mal à mesurer en Europe.

Yitzhak Rabin aussi…

Oui. Il l’a payé de sa vie et l’idéologie de son assassin a fini par intégrer le gouvernement israélien. On est dans l’irrationnel. Après les attaques horribles du Hamas, plein de gens ont dit « soutenir inconditionnellement » Israël. Je ne dirai jamais « je soutiens inconditionnellement le peuple palestinien ». Comme la plupart des internationalistes, je dirai « je soutiens le peuple palestinien dans ses aspirations légitimes ». C’est dangereux de parler de « soutien inconditionnel » et cela alimente une spirale.

Est-ce que les cinq Etats occidentaux qui soutiennent militairement Israël dans son pilonnage de Gaza se rendent coupables ou complices de crimes de guerre ?

La question se pose à la fois pour le côté palestinien, parce qu’on sait que le Hamas est soutenu par les Iraniens, et pour le côté israélien. Selon la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, deux conditions doivent être remplies pour établir la complicité. Un élément matériel : fournir un soutien à la commission du crime, par des armes ou un soutien logistique. Ça, c’est assez facile à constituer. Un élément moral : il faut savoir que la partie à laquelle le soutien est fourni a l’intention de commettre un crime. Si les États-Unis donnaient des armes dont ils savaient, par aveu d’Israël, qu’elles serviraient à expulser les populations de Gaza vers l’Egypte, alors les États-Unis se rendraient complices de crimes contre l’humanité.

Voilà des spéculations d’une certaine gravité...

On comprend que les Israéliens soient bouleversés par l’atrocité des actes commis par les miliciens du Hamas. Mais certains discours tenus du côté israélien peuvent faire craindre le risque d’une escalade de type génocidaire. Différents responsables paraissaient ne plus faire de distinction entre civils et militaires. Pour justifier le recours à des tactiques d’affamement, déjà en elles-mêmes illégales, le ministre israélien de l’Énergie et des Infrastructures a ainsi affirmé que les Gazaouis restés dans le nord de la bande de Gaza « will not receive a drop of water or a single battery until they leave the world ». Des juristes en droit international ont prévenu que le risque de génocide n’était pas exclu. Ce risque n’est pas sans précédent : En 1948, il y a déjà eu des exécutions de masse dans des villages palestiniens, tout comme il y a eu des massacres de civils juifs. Les États liés à Israël ont l’obligation de prévenir les génocides. La Cour internationale de Justice a par exemple dû se prononcer sur la complicité alléguée de la Serbie dans le génocide commis par les autorités de l’entité serbe de Bosnie, qu’elle a fini par écarter. Il vaut donc mieux rester vigilants et prévenir, car les situations peuvent s’emballer.

Quel regard portez-vous sur la sommation donnée par Israël à un million de Gazaouis de migrer vers le sud de la bande de Gaza pour éviter les bombardements ?

Comme l’ONU et le ministre Asselborn, j’estime que cet ordre n’aurait jamais dû être donné et aurait dû être retiré. Dans les conditions du siège de Gaza, où même l’approvisionnement en eau n’est pas assuré, donner un tel ordre, c’est provoquer une catastrophe humanitaire. En tant que punition collective, il s’agit au moins d’un crime de guerre. Certains juristes estiment qu’il pourrait même s’agir d’un crime contre l’humanité, vu le caractère généralisé et systématique de la mesure et le fait qu’il puisse s’agir d’une forme de déplacement forcé ou de persécution. Il faudra sans doute que le Procureur de la CPI se prononce sur cette question. Quoi qu’il en soit, je tiens à souligner que les civils Gazaouis qui ont choisi de ne pas se plier à cette sommation – ce qui est leur droit le plus strict – ne peuvent en aucun cas être considérés comme ayant perdu leur statut protégé de civils.

Comment caractériseriez-vous cette crise ?

Il pourrait s’agit d’un moment de bascule. J’ai très peur. Le risque est très grand. Les portes de l’enfer pourraient s’ouvrir. On peut aller vers un nouveau nettoyage ethnique ou un conflit généralisé dans la région qui pourrait se terminer très mal. Pour toutes les parties. Il faut qu’on soit tous prudents dans ce qu’on dit et ce qu’on fait. Même nous, civils ordinaires, on doit veiller à ne pas alimenter l’emballement. Les gens sur les réseaux sociaux deviennent totalement dingues. Certains rêvent d’une guerre avec l’Iran. Pour enfin en découdre. Ils ne savent pas ce qui les attend.

1 En sus de son doctorat en droit international, Michel Erpelding a obtenu un diplôme de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Il enseigne aussi à l’Université du Caire.

Pierre Sorlut
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