Ticker du 09 avril 2021

d'Lëtzebuerger Land du 09.04.2021

Arnaquer les doigts dans le nez

Le 1er avril dernier, le tribunal correctionnel de Luxembourg a rendu un jugement qui peut faire sourire, mais qui n’est pas une plaisanterie. Jean M., 53 ans, a pris trente mois pour une série d’arnaques commises entre 2017 et 2019 pour flamber devant sa famille, comme il l’a expliqué lors de son audition après son arrestation. Florilège avec notamment des concessions bernées comme des enfants. En mars 2017, Jean M. se présente dans un garage de Livange. Il donne en réparation une Peugeot 508 et loue une Fiat 500 pour la durée des travaux. Il ne ramène pas la petite Italienne. Le garage, qui a entretemps découvert que la voiture qu’il réparait avait été volée, récupérera la Fiat devant le domicile du malfrat quelques semaines plus tard. Rebelote en décembre 2018 chez le réputé Arnold Kontz. Jean M. dit vouloir acheter trois Range Rover pour son entreprise en création. Il passe commande et prend en attendant en location un des prestigieux 4x4 distribués par le concessionnaire. Jean M. n’est jamais revenu au garage et n’a pas payé le loyer de la location. Les employés récupéreront le véhicule rue du Kiem à Luxembourg grâce à son système de traçage intégré. Même procédure dans un garage à Mersch où Jean M. commande en mai 2018 une BMW X3 et une X2 puis part avec un SUV de loc’, prétextant qu’il s’est fait voler sa voiture. Jean M. ne vient (évidemment) pas au rendez-vous de livraison d’une de « ses » voitures le 15 juin. La police retrouve le X2 fin septembre avec une dame au volant qui se présente comme une amie de Jean M. et qui ignore que le véhicule est volé. Chez un autre concessionnaire à Bertrange en février 2019, Jean M. signe un contrat d’acquisition d’une Maserati d’une valeur de 77 000 euros. Et c’est au volant d’une voiture de cette même marque, mais en location, qu’il repart du concessionnaire, le vendeur étant convaincu qu’il a à faire à un client prestigieux. De fait, Jean M. se fait passer là pour un joueur de handball professionnel. Sponsorisé par Apple, il dispose d’iPhones à bons prix et propose d’en vendre au commercial… qui en prend cinq ! Jean M. rendra la Maserati au garage un mois plus tard, mais n’honorera ni la location, ni le contrat de vente, ni la livraison des téléphones. Chez Losch où, en avril 2019, Jean M., décidément féru de SUV, commande une Porsche Macan (d’une valeur de 76 000 euros). Le concessionnaire lui loue une Golf dans l’attente de la livraison. Jean M. ne se représentera jamais. Le garage Losch récupère son véhicule quand la police arrête Jean M., dans le cadre d’une autre affaire, et qu’elle saisit la Golf. Puis il y a ces escroqueries pour accéder à la location d’appartement. Jean M fournit toute une ribambelle de fausses attestations de revenus et de cotisations pour accéder au logement fourni par des particuliers. Ceux-là découvrent plusieurs semaines plus tard qu’aucun centime n’a été versé sur le compte au titre d’acompte ou de loyer. Contraint à l’exil par la découverte de la supercherie, part avec l’aspirateur et la machine Nespresso. Ou encore la police qui intervient dans un hôtel de Stadtbredimus en août 2018 pour constater que Jean M. ne peut honorer sa note de 2 718 euros pour son séjour de plus d’une semaine dans l’établissement. Dans le jugement rendu le 1er avril, toutes les parties civiles ont obtenu gain de cause. Reste à Jean M. à payer. Mais on a compris que telle n’était pas son obsession. pso

Drapeau blanc

En novembre 2020, le directeur de Luxembourg for Finance, Nicolas Mackel, louait Joe Biden comme un « pragmatique », qui connaîtrait « l’importance des hubs financiers comme le Luxembourg, l’Irlande ou le Delaware ». Le nouveau président des États-Unis avait été durant
36 ans le sénateur pour le Delaware, un petit État de la Côte est qui s’était fixé dès le début des années 1980 l’objectif de devenir « the Luxembourg of the United States » et qui compte aujourd’hui plus de sociétés boîtes-aux-lettres que d’habitants. Or, le président Joe Biden, jusque-là réputé comme un démocrate plutôt de droite, fait preuve d’une certaine pugnacité.

Afin de financer son gigantesque plan d’investissements dans les infrastructures et la transition énergétique, son administration vient d’annoncer une hausse de l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 pour cent. Plus inquiétant pour le Luxembourg, l’administration Biden a ressuscité au G20 cette semaine l’initiative d’un « global minimum tax rate » (21 pour cent) qui devrait frapper les bénéfices étrangers des multinationales américaines. Concrètement, les États-Unis pourraient exiger un « top-up » de leurs multinationales, c’est-à-dire demander qu’elles paient la différence entre les taux appliqués en Irlande, aux Pays-Bas ou au Luxembourg, d’un côté, et le taux minimum de 21 pour cent, de l’autre. Ce qui reviendrait à neutraliser tout avantage fiscal obtenu par une structuration passant via des juridictions à imposition light… Et donc à briser le charme fiscal exercé par le Luxembourg sur les multinationales américaines.

C’est en invoquant « a more level-playing field » (le mot d’ordre de Pierre Gramegna) que la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a défendu ce lundi la proposition américaine. Face à RTL-Radio, le ministre des Finances luxembourgeois a affiché ce jeudi sa sérénité et son Zweckoptimismus. Il disait saluer le principe d’un tel impôt minimum global, qui n’allait pas du tout amoindrir l’attractivité du Grand-Duché. Au contraire, un tel impôt pourrait amener « un peu de calme » dans la discussion. Le Luxembourg serait même sorti plus attractif qu’il ne l’était auparavant de l’adoption des nouvelles règles fiscales. Car ce qui compterait vraiment aux yeux des investisseurs, ce serait le « triple A », la prévisibilité, la croissance économique. Même son de cloche apaisant chez Jean-Paul Olinger, directeur de l’UEL et ancien fiscaliste chez KPMG. « On veut des règles claires, de la prévisibilité. Chacun doit contribuer sa fair share en impôts. C’est également un signe du temps et de la crise ». Le Luxembourg continuerait à répondre au besoin du capital d’« une structuration juridiquement propre ». Bref, le message officiel est clair : le Luxembourg hisse le drapeau blanc et promet de passer du tax haven au safe haven.

La place financière luxembourgeoise a compris qu’en matière fiscale, l’Amérique sait se faire obéir. « L’impérialisme juridique » des États-Unis avait fait voler en éclats son secret bancaire avec Fatca. Après la dernière crise, Washington avait unilatéralement forcé les places offshore à communiquer au IRS les informations sur les « fat cats » (ou HNWI, pour le dire plus poliment) qui détenaient un compte. Nouvelle crise, nouvelle initiative, multilatérale cette fois. Et avec une cinquième colonne à Washington. De la Big Tech au Big Pharma, la proposition a provoqué une onde de choc dans les milieux d’affaires américains qui, via leurs groupes de lobbying, préparent leur contre-offensive à Washington.

Craignant un désavantage compétitif, Barack Obama avait traîné des pieds sur la question de l’imposition des champions américains, imposés nulle part mais s’étendant partout. Joe Biden semble, lui, décidé à mettre le paquet. Ce mercredi, les ministres des Finances du G20 (donc également les présidents du Conseil et de la Commission européens) ont applaudi l’initiative américaine, tout comme le FMI. Reste la question du taux, qui pourrait être revu à la baisse, et des déductions admissibles. Mais tout pourrait aller très vite. Selon Le Monde, un accord serait envisageable dès juillet à l’OCDE, « plus sûrement à l’automne ». Le taux plancher ne s’appliquerait alors pas aux seules entreprises américaines, mais à toutes les multinationales du monde.

En 2019, les multinationales américaines ont fait passer 766 milliards de dollars d’investissements directs par le Luxembourg, ce qui place le Grand-Duché en troisième position derrière les Pays-Bas (860 milliards) et le Royaume-Uni (851 milliards) mais devant le Canada (402 milliards). (Ces flux de capitaux ne font évidemment que traverser ces « conduit countries », sinon le Luxembourg ressemblerait à Disneyland.) Dans le cadre de son enquête « Openlux », Le Monde avait relevé en février que, depuis début 2020, « plusieurs centaines » de multinationales (dont les américaines Microsoft, KFC, Exxon-Mobile, Victoria’s Secret, Koch Industries) auraient dissout une partie de leurs structures luxembourgeoises pour les reloger aux Pays-Bas, à Chypre, à Malte, aux BVI ou au Delaware. bt

Fatca vs RGPD

Quand la diligence luxembourgeoise à l’égard de l’Oncle Sam irrite. L’association des Américains accidentels (AAA) a introduit vendredi dernier un recours au tribunal administratif pour obtenir la suspension des transferts de données bancaires vers les États-Unis dans le cadre de la réglementation Fatca (Foreign account tax compliance act en vigueur depuis 2014). L’organisation représentative des personnes disposant de la nationalité américaine par le hasard de la naissance (mais qui n’ont pas de lien tangible avec les États-Unis) considère ces échanges comme contraires au règlement général (européen) sur la protection des données (RGPD). La dimension extraterritoriale de la législation Fatca se matérialise par l’obligation pour les institutions financières du monde entier de communiquer à l’administration américaine « les données de tous leurs clients présentant des indices d’américanité », expliquent Fabien Lehagre, président de l’AAA (qui dit représenter 1 200 Américains malgré eux), et Vincent Wellens, avocat de NautaDutilh, qui défend leurs intérêts au Grand-Duché. L’association invite le tribunal administratif à interroger la Cour de justice de l’Union européenne (dans le cadre de questions préjudicielles) sur la comptabilité des transferts de données, « massifs et automatiques », avec le RGPD. L’AAA relève qu’avant Fatca, le terme d’Américain accidentel n’existait pas, « car la plupart des personnes concernées ne savaient pas qu’elles avaient la citoyenneté américaine et étaient considéré par l’Internal Revenue Service comme des contribuables américains ». pso

Mille milliards au soleil

L’OCDE a livré la semaine passée son étude annuelle sur l’évasion fiscale des multinationales. L’organisation internationale basée à Paris estime à mille milliards de dollars le chiffre d’affaires déplacé d’un pays vers des destinations offshore, ce qui correspond à 200 à 300 milliards de manque à gagner fiscal internationalement. Les économistes auteurs de l’étude constatent une « extrême concentration des profits sans activité économique correspondante » dans quelques « juridictions à la fiscalité basse ». Les firmes basées aux États-Unis et aux Bermudes sont les plus agressives en matière de profit shifting à destination des paradis fiscaux. À l’opposé du spectre, les groupes basés en Inde, en Chine, au Mexique et en Afrique du sud. « Les Îles Caïmans, le Luxembourg, les Bermudes, Hong Kong et les Pays-Bas sont les tax havens les plus importants », tranchent les économistes spécialisés dans la fiscalité. Les données utilisées datent principalement de 2016, mais des informations complémentaires « d’une qualité sans précédent », disponibles depuis juillet dernier et tirées de la nouvelle réglementation country by country reporting (CBCR pour les entreprises qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel) du plan Beps de l’OCDE, permettent d’affiner les résultats. L’étude de l’OCDE montre par ailleurs que les pays les plus pauvres souffrent le plus de l’évasion fiscale des multinationales. pso

Chômage partiel

Depuis le début de la pandémie, six plaintes ont été déposées par l’ITM au Parquet pour des soupçons de fraude au chômage partiel. Concrètement, des salariés officiellement mis au chômage partiel, auraient continué à travailler pour leur employeur. Au total, l’Inspection du travail et l’Adem auront fait 58 contrôles sur place en 2020-2021. Ce n’est pas la moindre des ironies que l’administration chargée de contrôler que les mesures sanitaires sont bien respectées sur les lieux de travail devienne elle-même un cluster. Selon L’Essentiel et RTL, six cas positifs au Covid-19 ont été détectés à l’ITM la semaine dernière, plus une quinzaine de salariés mis en quarantaine. bt

Bernard Thomas, Pierre Sorlut
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