Débutée dans la Silicon Valley, l’aventure d’Artec 3D se poursuit au Luxembourg. Une success-story dont le héros tient dans une main : un petit scanner portatif au potentiel XXL

Yes, we scan

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.2022

La liste des clients d’Artec 3D a de quoi faire pâlir d’envie n’importe quel entrepreneur. Pêle-mêle, s’y croisent Adidas, la Nasa, Intel, Boeing, ArcelorMittal, Rolls Royce et d’autres constructeurs automobiles, Coca et donc Pepsi, Kellog’s, Lucasfilm… Pas mal pour une start-up qui, en 2006 encore, ne reposait que sur quatre amis, quatre cerveaux. Aujourd’hui, Artec 3D emploie 220 personnes ; est présente dans soixante pays et voit ses produits distribués par 150 compagnies. Elle dispose de bureaux à Santa Clara, Shangaï ou au Monténégro, et s’est établie au Luxembourg (siège et usine) depuis 2010. « On a eu de la chance… », sourit son CEO, Art Yukhin.

À 47 ans, l’homme sait que cette incroyable réussite ne relève pas que du hasard. Derrière ce destin heureux, il y a d’abord le bon produit, au bon moment, inventé au bon endroit. Le tout tient en trois termes : scanner 3D portatif. « Quand la plupart des développeurs sont à la recherche d’investisseurs, d’un réseau pour promouvoir leur idée ou leur produit, nous avons déjà nos premiers acheteurs. » Et quels clients : Les studios de cinéma d’Hollywood d’un côté et un géant de l’automobile de l’autre.

Disney, Pixar, Toyota furent ainsi les premières bonnes fées à se pencher sur le berceau d’Artec 3D. Chacun avec son usage. Le cinéma avait enfin trouvé l’outil léger lui permettant de scanner des objets ou des comédiens pour mieux les intégrer dans de futurs effets spéciaux. Le constructeur japonais appréciaut l’instrument léger et pratique permettant un contrôle qualité de la plus petite pièce au plus gros élément de sa chaîne de production.

Et au fil du temps, les concepteurs du scanner allait entrevoir que leur invention n’avait pas un usage mais mille. « Voire plus encore », s’enthousiasme Art Yukhin, sûr de la multitude d’emplois qu’offre le dernier né de ses scanners, Leo. « Des musées s’en servent pour vérifier l’état de pièces millénaires et en conserver la plus parfaite des copies. Des médecins ont compris qu’ils pouvaient scanner un membre pour le reproduire et créer une prothèse parfaitement adaptée au corps de leur patient. Des garagistes ont vu qu’ils pouvaient saisir, en un simple geste, l’ensemble des dommages sur une carrosserie et mieux apprécier les réparations à effectuer. Il y a aussi ces boutiques qui scannent corps et visage de leurs clients pour présenter leur figurine exacte. On nous a même parlé de coaches qui tournaient autour des sportifs dont ils assuraient l’entraînement pour analyser leur développement musculaire. » L’énumération pourrait ainsi durer des heures.

Par ici, des spécialistes apprécient la micro-précision des données captées par millions. Par-là, de simples quidams ont été séduits par la simplicité de la mise en fonction. « Vous passez autour de la pièce, de l’objet, de la personne sous tous les angles comme si vous les peigniez au pulvérisateur. Si l’image est verte sur le petit écran c’est bon ! » Un jeu d’enfant pour un produit toutefois bourré de technologie de pointe. Car derrière Leo et ses futures déclinaisons se cache une armée de programmateurs, d’informaticiens, d’ingénieurs, de mathématiciens, etc. Une matière grise en pleine ébullition qui excite plus que tout Art Yukhin : « Bien sûr que je suis fier de notre réussite. Mais je crois que ce qui me comble encore plus c’est de voir jusqu’où l’on va pouvoir encore progresser… »

La R&D phosphore donc à plein régime. Côté hardware, par exemple, il veut proposer quelque chose de moins lourd et plus intuitif encore. Sans oublier des adaptations à un public toujours plus vaste et pas forcément féru de technologie. Côté software, Artec 3D veut poursuivre le développement de logiciels pour analyser les térabytes de données que stockent ou transmettent ses scanners. « L’analyse par l’intelligence artificielle des données 3D reste délicate. On sait traduire la mesure, les courbes, le grain d’une matière. Mais il va bien falloir mettre au point des programmes capables de reconnaître les textures, les matières, la sensation au toucher, entre autres pistes. »

Dans leurs bureaux, à deux pas du Findel, les équipes recherchent ce qui demain satisfera l’archéologue perdu au milieu de la jungle comme le scientifique dans son laboratoire ; le professeur voulant faire une leçon d’anatomie à ses élèves tout autant que l’ingénieur-qualité qui veut détecter le moindre défaut dans une pièce à n’importe quel stade de fabrication. « Même le designer d’Ikea doit pouvoir trouver de quoi progresser dans la conception d’un meuble ! ». Autant dire qu’Art Yukhin n’a pas fini sa conquête du monde. Ni lui, ni ses trois comparses à l’origine d’Artec 3D. « Car oui, dans cette grande famille que nous sommes devenue, tous les parents sont encore là », se satisfait le boss aux côtés du trio qui a débuté avec lui l’aventure. L’un dirige le département technologique, l’autre s’occupe du volet business, le troisième veille sur le juridique.

Ils ont scanné Obama

« Ah oui, il y a cette histoire avec Barack… » Un détail dans la série d’épisodes incroyables qui ont parsemé les seize premières années d’Artec 3D. Eva, le premier scanner 3D portatif de la marque, a flashé Obama en personne alors qu’il était encore en poste à la Maison Blanche. Rien que ça. « Depuis je l’ai surnommé ‘The lucky first’ », rigole le CEO Art Yukhin. En effet, Barack Obama s’est plié à la tradition américaine qui veut que, depuis Abraham Lincoln, chaque président laisse un buste de lui avant de quitter son poste. Sauf que lui – c’est là sa « chance » – n’a pas du passer par le traitement habituel, le fameux masque de cire posé pendant un long moment sur le visage avec deux trous pour respirer… « On nous a donné deux minutes pour le flasher sous tous les angles (quinze millions de triangles saisis), et le buste était réalisé ensuite en imprimante 3D. » La vidéo circule depuis sur les réseaux, et visiblement l’affaire a autant plu au 66e président des Etats-Unis qu’à son conseiller scientifique. Un beau coup de pub ! « Et je vous ai parlé de cette visite de Mark Zuckerberg, à nos tout débuts, qui a voulu qu’on scanne son chien ? » pj

Luxembourgeois pour de bon

Certes, l’idée première d’Artec 3D pour conquérir l’Europe n’était pas forcément le Luxembourg. Son directeur général en convient. « On pensait plutôt à la Suisse. » Et puis, il y a eu des rencontres déterminantes avant l’envol et l’implantation au Grand-Duché. « C’est sans doute une discussion avec Jeannot Krecké, qui était alors ministre de l’Économie, qui a retourné la situation. Il était charismatique et nous a vendu un pays à l’accueil amical pour nous, nos employés, notre business ». Affaire conclue en 2010 !

Arrivée à douze personnes, Artec 3D affiche maintenant vingt fois plus d’employés. Et c’est bien en firme luxembourgeoise que l’entreprise se présente maintenant. « Le label Made in Luxembourg sur nos supports, ce n’est pas que de la comm’, c’est la réalité, soutient mordicus son PDG. On fait tout ici, rien ne vient de Chine ou d’ailleurs alors même que l’on utilise plein de composants électroniques ou des verres de très haute performance. »

Voilà déjà plusieurs mois aussi que la Police grand-ducale a adopté le scanner sans fil d’Artec. Le agents s’en servant pour capter, en un rien de temps, l’endroit où vient de se produire un accident de la route que pour saisir les moindres détails d’une scène de crime, en 3D et compris à l’échelle d’une pièce entière. « Cela offre un niveau de détails parfois bien plus utiles aux inspecteurs que les photos habituelles ou les relevés traditionnels. »

Ce dernier usage a séduit la Défense luxembourgeoise qui a commandé trente appareils pour les livrer à l’Ukraine. « Cela sera utile pour modéliser avec précision les lieux où des bombardements, des exactions voire des crimes de guerre ont pu être commis. »

Et s’il fallait une nouvelle preuve de l’ancrage local de la société, celui-ci prendra bientôt la forme d’une nouvelle usine (« l’ancienne à Hamm était devenue trop petite »). Les futurs ateliers doivent ouvrir en janvier, à deux pas du siège au Senningerberg.

Aujourd’hui, Artec 3D rayonne partout sur le globe. Avec un chiffre d’affaires réparti en trois zones : 25 pour cent pour la zone Asie/Pacifique, 33 pour cent aux Amériques et 45 pour cent pour Europe/Moyen-Orient. « Et je n’ai pas regretté une minute ce choix de venir au Luxembourg », (r)assure Art Yukhin qui a d’ailleurs réussi son examen de Lëtzebuerger Sprooch voilà plusieurs années.

Patrick Jacquemot
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