Un projet de loi portant mise en œuvre de la réforme des classes d’impôt devrait être déposé à la chambre des députés par le ministre (Chrëschtlech-Sozial Vollekspartei) des Finances, Gilles Roth, en 2026. D’après les premiers éléments connus, cette réforme consisterait en « une classe d’impôt unique (R) à un barème proche de l’actuelle classe d’impôt 1A augmentée d’une période de transition de vingt ans pour certains ménages (légalement unis) jusque-là imposés en classe 2 ». Le coût de cette « simplification » fondamentale de la législation fiscale en vigueur depuis 1967 ? 900 millions d’euros par an. C’est l’équivalent d’un pour cent du PIB ou, encore plus parlant, de quoi acheter, tous les ans, 1 200 appartements de 75 m2.
Pendant très longtemps, il était cru et dit qu’il fallait individualiser et avoir une classe d’impôt unique afin d’encourager l’emploi des femmes mariées et de réaliser l’égalité devant l’impôt des différentes formes de vie (célibat, concubinage, monoparentalité, partenariat, mariage). Si la logique est respectée, ces deux arguments, recyclés à chaque campagne électorale, ne devraient pas figurer dans l’exposé des motifs du futur projet de loi … car ils ne résistent pas à l’épreuve des faits. D’un côté, un ensemble d’évolutions économiques et sociales* ont permis que le taux d’emploi des femmes mariées (25-49 ans), quoiqu’imposées collectivement, passe de quarante pour cent en 1990 à 77 pour cent en 2019. De l’autre, la catégorisation des contribuables en classes d’impôt distinctes selon leur situation familiale ne viole en rien l’article 15 de la Constitution (« nul ne peut être discriminé en raison de sa situation ou de circonstances personnelles ») qui suppose non pas l’uniformité, mais l’égalité de traitement fondée sur la comparabilité objective des situations.
Le social (emploi des femmes mariées) et le légal (discrimination) ne pouvant plus être convoqués pour justifier la réforme, il sera vraisemblablement puisé du côté de la nécessité de prendre en compte les évolutions sociales et de conduire une politique sociétale moderne. « L’État n’a pas à imposer un modèle familial. Chaque couple, chaque famille doit pouvoir faire ses choix librement. (…) Avec l’individualisation, chaque modèle familial sera traité et imposé de la même manière. C’est avant tout une question d’équité », a ainsi déclaré le Premier ministre lors de son discours sur l’état de la nation. En apparence pertinente, cette série d’assertions est pourtant très discutable. Les nombreux effets légaux qui découlent des mariages et des partenariats (pension de réversion, taxation préférentielle des successions, contribution aux charges du ménage à proportion des facultés respectives, devoir de fidélité, extension des bénéfices de l’assurance maladie-maternité, etc.) relativement à l’union libre et la récente proposition du ministère du Logement d’introduire la monoparentalité en tant que nouveau critère socio-économique dans le cadre de l’attribution d’un logement abordable sont là pour prouver que l’État ne traite pas tous les modes de vie de manière neutre.
Et au-delà de la question d’absence de justification pertinente de la réforme, le coût pour les finances publiques de cette « politique sociale moderne » semble démesuré dans un contexte d’obligations budgétaires multiples. Hélas, comme tout le monde aime les baisses d’impôt, l’individualisation fera probablement l’unanimité auprès des contribuables, d’autant plus qu’il est d’ores et déjà prévu des suppléments (e.g. crédit d’impôt, hausse des allocations familiales) pour séduire et réconforter les éventuels « perdants relatifs ». Pourtant, ces 900 millions d’euros par an seraient bien utiles pour servir des causes autrement plus prioritaires que « la modernité sociétale » (cf. dernier Politmonitor).
Parce que la réforme est encore en débat, il est tout de même permis d’espérer et de rêver. Espérer que les législateurs, dans un sursaut de sérieux, reconnaîtront qu’ils ont pendant des années menti avec sincérité en faisant campagne pour l’individualisation avec des arguments fallacieux ; rêver que les partenaires sociaux, dans un sursaut de responsabilité, oseront poser au gouvernement la question de bon sens qui devrait se poser : alors que le pays cherche des voies et moyens pour consolider son régime de retraites, peut-il se permettre une réforme fiscale aussi coûteuse après le socialisme pandémique (trois milliards d’euros), le socialisme énergétique (2,6 milliards d’euros), l’Entlaaschtungs-Pak (déchet fiscal de 497 millions d’euros par an) et le socialisme immobilier perpétuel (bien malin celui qui sait dire combien ça coûte) ? Une réforme qui, telle que décrite, s’avère relativement indifférente à la justice distributive et au principe de capacité contributive des conjoints.