Chroniques de l’urgence

L’encyclique de François sur le climat s’essouffle

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2019

Laudato sì, publiée en 2015, fit alors l’effet d’une bombe. Le pape descendait dans l’arène du dérèglement climatique, engageant l’Église aux côtés des scientifiques qui sonnent l’alarme – en vain – depuis des décennies. Se référant abondamment à Saint François d’Assise, ce texte lançait au monde le « défi urgent de sauvegarder notre maison commune » et « une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète ». Après une telle prise de position, les lignes allaient enfin bouger, se prenait-on alors à espérer.

Quatre ans plus tard, que reste-t-il de cet élan ? Force est de constater qu’on peine à distinguer l’empreinte de Laudato sì dans l’arène politique internationale. Ou nationale d’ailleurs : sur 68 résultats de recherche pour le mot-clé laudato sur wort.lu, deux sont datés de 2019, sept de 2018. Que s’est-il passé ?

Première explication : François n’arrive pas à imposer son approche au sein de l’Église, traversée comme le reste du monde par une montée en puissance du conservatisme.

Deuxième piste, compatible avec la première : une perte de crédibilité du Vatican, incapable de réagir face aux scandales d’abus sexuels. Début juillet 2015, l’écrivaine et activiste Naomi Klein, auteur notamment de This changes everything, livre essentiel sur l’urgence climatique, était à Rome, invitée par le Vatican pour participer au lancement de Laudato sì. Dans ses notes à chaud, emportée par l’enthousiasme, elle relève à quel point cet engagement va à l’encontre du traditionnel anthropocentrisme judéo-chrétien. Reflète-t-il, comme l’indiquent les origines du pape et du cardinal ghanéen Peter Turkson, une de ses chevilles ouvrières, un basculement du centre de pouvoir géographique au sein de l’Église catholique vers des régions où l’amour du monde naturel joue un rôle bien plus important que dans les pays occidentaux et a fusionné avec la doctrine catholique ?

Revisitant cet article à l’occasion de la publication de On Fire, un recueil de ses textes de ces vingt dernières années illustrant la nécessité pressante d’un Green New Deal, Naomi Klein note qu’à ce jour, « le Vatican n’a toujours pas réussi à demander des comptes à ses propres leaders pour les abus sexuels systématiques sur des enfants et des religieuses et pour la dissimulation délibérée de ces crimes ». Elle y voit un déni de justice qui «  a miné l’autorité morale de François pour être leader sur d’autres problèmes, y compris la crise climatique ». Une parfaite illustration, conclut-elle, de la nécessité d’une approche transversale pour répondre aux impératifs politiques et sociaux : « si nous choisissons quelle crise urgente nous devons prendre au sérieux, le résultat sera que nous ne parviendrons à induire de changement sur aucune d’elles. »

Jean Lasar
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