Saison théâtrale 2019/20

Tomber en enfance

d'Lëtzebuerger Land vom 11.10.2019

Le Théâtre ouvert Luxembourg (Tol) avait montré l’année dernière une programmation particulièrement stimulante, outre cette fameuse exception confirmant la règle. Au fil du temps d’ailleurs, le théâtre de la Route de Thionville fidélise son équipe autant que son public. À l’image de cette nouvelle saison qui affiche de nombreux visages bien connus du petit théâtre et quelques « nouveaux » et pas des moindres, qui tâteront les planches du Tol. Cette année, toujours sous l’œil de Véronique Fauconnet, le Tol ficèle sa 46e programmation d’un discours autour de l’enfance et l’enfant, « la filiation, la responsabilité, la quête, la protection, le rêve, la violence, la transmission, l’abus, le socle, la parentalité, la confusion ». Tout ça.

Le Tol part cette année sur quatre créations et ouvre le bal dès la fin du mois avec Rabbit Hole – Univers parallèles de David Lindsay-Abaire dans une adaptation de Marc Lesage. C’est Véronique Fauconnet qui s’attèle à la mise en scène de ce texte qui nous plonge dans le quotidien d’un couple, Becky et Howard, huit mois après la mort accidentelle de leur fils, tentant de surmonter leur perte et retrouver un sens à leurs vies. Les quatorze dates tenues par Caty Baccega, Romain Gelin, Colette Kieffer, Monique Reuter et Jérôme Varanfrain, ouvriront cette nouvelle saison du Tol sans ambages dans la ligne tracée par le théâtre.

À la mi-janvier, c’est Aude-Laurence Biver – à plusieurs reprises comédienne dans le line-up du Tol ces dernières années – qui a été appelée pour monter la seconde création du programme. C’est sur le texte Le Poisson Belge de Léonore Confino que l’actrice engage ses débuts dans la mise en scène. Depuis Nomophobia présenté au TalentLab en 2017, et un assistanat pour Jean Boillot au Nest sur Tiamat de Ian De Toffoli, Biver n’avait plus trouvé le chemin de la direction. Néanmoins très prolifique à d’autres niveaux – elle est auteure et comédienne pour le théâtre et le cinéma –, on a hâte de la voir de ce côté du miroir, pour avoir été convaincu par le reste. Le duo Juliette Allain (dirigée par Sivadier et doubleuse sur certaines grosses production hollywoodiennes) et Régis Laroche (magnifique dans La vie trépidante de Laura Wilson et ancien permanent du Nest) prendront à bras le corps ce texte mettant en scène un vieil homme solitaire perturbé par l’intrusion d’une jeune fille s’invitant dans sa vie, pour une confrontation délicate entre les âges et personnalités.

Fauconnet retourne à la mise en scène en avril au Théâtre National de Luxembourg – des collaborations entre les deux scènes devenues « de tradition » – pour y monter Objet d’attention de Martin Crimp. Une pièce qui se joue du théâtre par le biais d’un drame de vie plutôt banal de prime abord. Dans cette dynamique d’équipe, qu’on mentionnait plus haut, elle s’entoure des « belles gueules » de la scène luxembourgeoise… Logiquement, Aude-Laurence Biver (qui va définitivement passer plus de temps sur scène que chez elle cette année), Rosalie Maes (qu’on avait adorée dans Pièce en plastique au Centaure en janvier dernier), Matila Malliarakis (un nouveau venu au Grand Duché qui montre un CV impressionnant pour son âge), Catherine Marques (brillante dans Vincent River, Tol, 2018 et Roberto Zucco, Opéra-Théâtre de Metz, avril 2019) et Brice Montagne (qui avait été très bon dans Terreur au Centaure en juin dernier1).

Jérôme Varanfrain (définitivement de la « team Tol »), passera du plateau à la salle pour monter Comme s’il en pleuvait de Sébastien Thiéry. Une comédie où nos fantasmes d’enfants s’entrechoquent avec nos frustrations d’adultes, intégrant pleinement la ligne « Tolienne » de cette année. Un texte porté par les comédiens Steeve Brudey (déjà passé par le Tol à plusieurs reprises), Myriam Gracia (qui gravite depuis un moment entre Neimënster, le Centaure et le Tol) et Colette Kieffer (bien connue du public luxembourgeois). Une pièce entre absurde et boulevard qu’on aborde néanmoins avec un certain recul face à l’angoisse de trouver une pièce grossière et bourrée de clichés, à l’image de Momo, l’une des dernières de Sébastien Thiéry, adaptée en – très mauvais – film en 2017.

On ne se réjouit jamais vraiment de trouver des reprises dans la programmation d’une scène de création. Autant que le Centaure cette saison, Le Tol n’y échappe pas non plus et s’oblige à faire de la place à deux spectacles créés l’an passé. Le divertissant et bien tenu Un dîner d’adieu de Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, mis en scène par Véronique Fauconnet. Un spectacle qui marche, certes, mais n’affiche pas les mêmes prétentions que les susmentionnés. En reprise également, le Mais sois sans tweet de Claude Frisoni. Un spectacle à l’humour potache, plein de drôleries, certes, mais qui n’avait franchement pas besoin de trouver d’autres dates.

Néanmoins, deux spectacles en accueil envoient cette bouffée d’air qu’on cherchait. L’ouvrir, le seul-en-scène de la Suisse Isabelle Bonillo, sur l’histoire d’une quinqua faiblarde qui décide de l’ouvrir et le spectacle lorrain chanté Vive la commune pour clôturer la saison.

En sus, la belle idée de coproduction entre le Tol, le Théâtre du Centaure et le Théâtre des Casemates, devenue aussi tradition, ravivera la flamme des plus férus et exigeants spectateurs. Cette année c’est autour du leitmotiv « Morts aux cons ! » que les trois structures proposent une lecture de plusieurs textes sur la bêtise humaine avec à l’affiche quelques grands noms tels que Nietzsche, Flaubert, Brassens, Barthes, Brel…

Et puis, le Tol reprend son travail auprès des lycées, à nouveau autour de La Malle de Molière – un spectacle qui avait trouvé un beau succès dans les lycées la saison précédente – et accueille deux spectacles scolaires des ateliers de théâtre du Lycée Michel Rodange : Dans les coulisses du pouvoir et One-Act Theatre. Une belle manière de transmettre aux jeunes la richesse du théâtre et surtout, en tant que scène théâtrale soutenue par le ministère de la Culture, la Ville de Luxembourg et le Fonds Culturel National, d’assumer son rôle dans le paysage culturel luxembourgeois.

1 La pièce est en tournée le 18 octobre au Kinneksbond de Mamer et les 23 et 24 octobre au Kulturhaus de Niederanven.

Programme et réservations sous www.tol.lu

Godefroy Gordet
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