Simone Retter a été déboutée lundi en appel dans son procès contre le journaliste du Land, Bernard Thomas. En février 2022, l’avocate et fille de l’architecte-promoteur immobilier, Paul Retter, l’avait assigné en dommage et intérêts pour délit de presse après la parution de son article « Retter Revisited – La montée et la chute d’un grand promoteur immobilier dans les années 1970 » (26.11.2021). L’avocate demandait 25 000 euros au journaliste pour préjudice moral subi en raison de l’atteinte à l’honneur de son père. Elle demandait également à voir Bernard Thomas condamné « à faire publier à ses frais » une partie de l’arrêt à venir, et ceci « dans les journaux Luxemburger Land, Tageblatt, Wort, Le Quotidien et Journal », sous peine d’une astreinte de mille euros par jour de retard.
Dans son arrêt rendu lundi, la Cour cite les reproches formulés par Simone Retter : Au lieu de reprendre « le travail d’analyse et les commentaires sérieux » du livre sur son père réalisé par Robert Philippart et Christian Aschman (Le difficile chemin vers la grande ville), Bernard Thomas aurait « exclusivement présenté feu Paul Retter comme un affairiste ayant mal tourné et pataugeant dans les milieux financiers et politiques ». L’avocate a aussi insisté sur le fait que son père n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur les publications le concernant après son décès et que Bernard Thomas, en en citant des extraits, aurait dû procéder à « une vérification accrue » auprès des descendants, « d’autant plus qu’il n’était pas né à l’époque des faits ».
En première instance, les juges avaient débouté l’avocate en décembre 2023 sans rentrer dans le fond de l’affaire. Les juges s’étaient limités à considérer que les descendants n’héritaient pas naturellement du droit à poursuivre une éventuelle atteinte à l’honneur d’une personne décédée, mais qu’ils pouvaient exercer ce droit dans la mesure où les propos diffamants leur causait un préjudice direct. Le tribunal d’arrondissement avait estimé en outre que le droit au respect de la vie privée n’appartenait « qu’aux vivants » et était « intransmissible aux héritiers ». En appel, Simone Retter a prétendu à un préjudice pour ses activités d’avocate et d’administratrice de banque, d’autant plus que l’article la cite en tant qu’avocate d’affaires et fille de Paul Retter, « ce que dans sa génération beaucoup de contacts professionnels ignoraient ».
Dans son arrêt cette semaine, la Cour d’appel « approuve » l’interprétation du tribunal sur le principe, mais la nuance dans le détail : « L’appelante n’est recevable à agir que si l’atteinte à la personnalité […] lui occasionne un trouble personnel, distinct ». Le préjudice des descendants doit aller au-delà d’« une vexation ou [d’]une contrariété ». Or, la Cour avance également une série « d’exemples concrets » qui, à ses yeux, pourraient justifier une action en justice des héritiers (mais qu’elle ne juge pas présents ici), comme « une souffrance liée à la mémoire salie », une « douleur morale », ou « une atteinte au souvenir qu’il a du défunt ». Qu’il convient de contrebalancer avec le travail du journaliste, voire de l’historien.
En l’espèce, les magistrats confirment que la descendante ne peut faire prévaloir un préjudice « concret et sérieux ». « Le droit à l’information, notamment sur des faits d’intérêt général ou historique, peut justifier une présentation critique », poursuivent-ils. La Cour relève ici un récit à visée journalistique ou historique « avec une volonté de rétrospective sur la carrière d’un promoteur immobilier ayant marqué son époque ». Les juges concèdent que les termes « peuvent froisser » l’avocate et fille de Paul Retter, ils ne suffisent néanmoins pas « à établir une atteinte illicite à la mémoire du défunt ». Pour les juges, le journaliste n’a pas imputé « d’actes illégaux ou déshonorants sans preuve ». De même, le fait de figurer dans l’article en tant que fille du promoteur et en tant qu’avocate d’affaires n’est « ni honteux ni infamant ». Bernard Thomas obtient de l’avocate le paiement une indemnité de procédure de 2 000 euros.