Pour fêter le lancement de sa cinquantième saison, le TOL choisit le cabaret, un genre qui lui tient à cœur et qui a une tradition dans la maison. Il s’adresse à un large public, suscite rire et bonne humeur ; il favorise aussi la proximité avec le spectateur, notamment par le lieu, le bar du 1er étage, où tables et chaises, côté public, frôlent le plateau, ce qui facilite d’interpeller le spectateur et ainsi de l’intégrer quelque peu dans le spectacle, de stimuler sa gourmandise de mots mais aussi, pour cette occasion festive, de quelques douceurs gustatives.
D’ailleurs, en cette période de fin d’année, le sujet de la nourriture inspire au Luxembourg l’art en général, non seulement le théâtre. L’alimentation semble nourrir les artistes. Citons à ce propos l’exposition Hors-d’œuvre, consacrée au thème et à la métaphore de la nourriture dans l’art contemporain au Cercle Cité et une autre All you can eat, dédiée à l’alimentation humaine dans une perspective historique au Lëtzebuerg City Museum.
Au TOL, le cabaret Mangez-moi ! une bonne trentaine de textes, sketchs, chansons, scènes de théâtre, poèmes en rapport avec le plaisir de déguster se suivent à un rythme enlevé, accompagnés souvent de musique aux accents entraînants, avec Jean Hilger aux commandes d’un synthétiseur aux diverses fonctions, qui s’érige parfois en personnage qui a son mot à dire à côté des cinq comédiens, Aude-Laurence Biver, Steeve Brudey Nelson, Véronique Fauconnet, Colette Kieffer, Jérôme Varanfrain, avec des seuls en scène, des duos ou des trios, un ensemble entraînant qui prend plaisir au jeu et embarque les spectateurs.
Les textes choisis par les comédiens, une chevauchée à travers plusieurs siècles et divers genres, révèlent un rapport direct ou plus caché à la nourriture, souvent du sucré : comment préparer le plat, le présenter ou parfois le gâcher, et font découvrir ou redécouvrir des auteurs qui n’ont pas tous un rapport direct avec le cabaret. Mais les morceaux choisis s’intègrent dans l’ensemble. Certains écrivains sont bien représentés, comme
Molière qui s’inspire souvent de situations cocasses, notamment avec Tartuffe (Aude-Laurence Biver convainc en Dorine), l’Avare, Le Malade imaginaire ; mais la fameuse Madeleine de Proust fait aussi une entrée remarquée.
Des auteurs versés dans le genre de la dérision, de l’ironie ou de l’absurde, comme Pierre Desproges (dans Endive Véronique Fauconnet plaît bien), Raymond Devos (Steeve Brudey Nelson est excellent dans Le mille-feuille), Roland Dubillard côtoient d’autres d’un registre très différent, comme des textes plutôt informatifs. Le sujet de la nourriture, la gourmandise, même occasionnelle, les rapproche. Citons aussi la performance remarquable de Jérôme Varanfrain dans Le hot-dog de Hanock Levin et celle, délicieuse, de Colette Kieffer dans Le slam des régimes de Anne Roumanoff.
Les diverses saynètes se suivent rapidement, des liens se créent parfois de l’une à l’autre, à côté des seuls en scène avec un texte qui souvent décrit et explique, se glissent des scènes jouées qui accrochent l’attention puis s’évaporent rapidement, elles s’installent pour disparaître ensuite.
Le spectateur doit prendre le rythme pour apprécier les sketchs.Ils mettent en scène un comédien ou plusieurs, souvent costumés (la responsable des costumes et de la scénographie étant Peggy Wurth) - ce qui met en évidence la théâtralité du personnage - ou arborant un accessoire distinctif du personnage ; ainsi des tensions se créent, accentuées par la mise en lumière de Manu Nourdin. L’inventivité des comédiens, qui ne mâchent pas leurs mots, est aussi sollicitée par la mise en scène collective sous le regard critique de Monique Reuter. Mangez-moi ! un spectacle réussi qui ne vous laisse pas sur votre faim.