Cinéma

L’humour tyran

d'Lëtzebuerger Land vom 13.02.2015

Tout a commencé par la distribution imminente d’un film, une comédie bien grasse : The Interview. Quelques jours avant sa sortie dans les salles américaines, fin 2014, Sony Pictures, propriétaire de Columbia, le studio producteur du film, était victime d’une cyberattaque massive : scripts en ligne, mots de passes déchiffrés, rivalités dévoilées. Un vrai scandale, revendiqué par des Guardians of Peace qui menaçaient le studio, les exploitants et les potentiels spectateurs de The Interview d’attentats. Suivirent alors des communiqués insensés du FBI et de la Maison Blanche, rien que ça : la Corée du Nord est derrière l’attaque. Annulation de la sortie, vengeance ultra-confidentielle, pour en finir à une distribution mondiale et à la démission de la patronne : tout ça pour ça ? Les amateurs de la théorie du complot vont adorer le plan marketing poussé jusqu’à la mise en abyme !

Les spectateurs se sont donc mis à croire que The Interview devait sûrement être un film engagé, un genre de brûlot antidictatorial déguisé en comédie : si Kim Jong-Un s’oppose si fermement à la sortie de ce film, c’est qu’il doit contenir du lourd. Du lourdingue, même. L’interview du dictateur joufflu, c’est le but ultime de Dave Skylark (James Franco), un présentateur de talk-show et Aaron Rapaport (Seth Rogen), son producteur, qui rêve de troquer le divertissement crasse pour l’information béton. Coup de chance, le Nord-Coréen (interprété par Randall Park) abhorre l’Amérique mais adore l’émission. Le duo de bras cassés se voit déjà changer la face du monde en établissant un contact avec le chef suprême, mais le FBI a d’autres plans pour eux. L’agent Lacey (Lizzy Caplan) les associe à une mission d’une toute autre envergure : supprimer Kim Jong-Un de l’échiquier politique mondial. L’occire discrètement en l’empoisonnant puis quitter l’hémisphère nord de la Corée comme si de rien n’était. Mais Skylark se prend d’amitié pour l’héritier : ensemble, ils écoutent Katy Perry et Kim est à deux doigts de faire son coming-out. Ce n’est que lorsqu’il comprend qu’il a été lui aussi victime de la propagande que l’animateur finit par se venger en trahissant son nouvel ami en direct.

À la fin, il lui vole son tank et le tue. Pas franchement le pamphlet de l’année. Sans toute cette histoire, The Interview, seconde co-réalisation de Seth Rogen et Evan Goldberg, serait probablement resté cette blague écrite avec les pieds et filmée sans les mains qu’elle était : maintenant, on en parle comme d’une œuvre polémique, qui se joue des enjeux géo-politiques. Pourtant, on a beau y regarder de plus près, non, décidément, l’ensemble reste un délire entre amis à qui on aurait donné beaucoup d’argent et qui se filment en train de faire des âneries (le précédent film de Rogen et Goldberg, This Is The End, était du même acabit, en plus consensuel) James Franco a visiblement pris un plaisir dément à jouer ce présentateur à la débilité aveugle : l’acteur tourne en rond et se noie avec délectation dans le grand n’importe quoi. Et plus c’est gros, plus ça passe, des femmes jusqu’aux coréens, on ne peut pas faire plus vulgaire et consternant mais la misogynie et le racisme semblent être les moteurs de la comédie. Quand ça ne suffit plus, une bonne louche de scatologie et c’est reparti : une des intrigues de l’histoire consiste à savoir si Kim est doté ou non d’un anus. À la fin, comme toutes les cartouches sont vides, la mise en scène se dirige vers une parodie de films d’action tendance gore, pour éliminer en masse.

Mais l’humour graveleux est une chose, la paresse d’écriture en est une autre. The Interview, avec un tel pitch, méritait autre chose que ce traitement d’amateurs pressés et jamais inspirés. Quitte à déclencher une troisième guerre mondiale, on espérait un peu plus que du Katy Perry dans un tank comme arme de destruction massive.

Marylène Andrin-Grotz
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