Le Luxembourg en ligne

Moins cher que gratuit, tu meurs

d'Lëtzebuerger Land du 11.11.1999

« Follow the free » reste une des lois d'airain d'Internet. Aussi, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) dits « gratuits », qui ont déferlé ces derniers mois sur les pays voisins et y ont déstabilisé le marché des FAI, ont-ils aussi fini par débarquer à Luxembourg.

Le portail-moteur de recherche Spider.lu propose Access4You, le Luxemburger Wort Internet.lu, et voici aussi, sur le même terrain, free-internet.lu. Dans les trois cas, les internautes sont invités à remplir un formulaire, ce qui leur permettra d'obtenir un nom d'utilisateur et un mot de passe. Munis de ces informations, ils pourront pointer leur modem vers un numéro de téléphone au Grand-Duché qui leur donnera librement et gratuitement accès à Internet et leur octroiera une adresse e-mail. Très tentant pour qui paie un abonnement mensuel pour le même service, ou qui hésitait jusqu'ici à « monter sur Internet » précisément à cause de cette charge.

L'accès est gratuit, certes, mais les communications téléphoniques ne le sont pas. Là où les « gratuits » se sont installés, ils ont fait leur lot de malheureux lourdement endettés auprès de leur opérateur de télécoms. Tel ce jeune internaute français ayant souscrit un de ces abonnements, et dont le père a dû multiplier les heures supplémentaires pour régler la facture de téléphone de 8 000 francs français que lui ont values les longues pérégrinations « gratuites » de son fiston sur le Web.

Protection des consommateurs oblige, la publicité pour les « gratuits » en France précise désormais que les frais de communications téléphoniques ne sont pas compris dans l'offre.

Un « gratuit » luxembourgeois, c'est donc un service comparable à ceux qui existent au Royaume-Uni, en Allemagne ou en France, avec la différence que l'accès se fait par un numéro de téléphone local.

Comment un service payant peut-il du jour au lendemain devenir gratuit ? Si les FAI « traditionnels », se sentant débordés, ont commencé par mettre en garde contre un accès instable et des prestations insuffisantes, surtout en ce qui concerne l'assistance technique, ils ont rapidement dû changer leur fusil d'épaule. La qualité du service de certains des nouveaux FAI laissaient à désirer, d'autres en revanche se sont avérés parfaitement fiables. Du coup, les « traditionnels » ont cherché une stratégie de rechange et l'ont trouvé sous forme d'accord avec les opérateurs de télécoms leur permettant d'intégrer dans leur forfait l'accès à Internet et un quota de communications téléphoniques. Ce faisant, ils intégraient à leur fonctionnement une partie du modèle économique des gratuits.

Ceux-ci comptent en effet sur trois sources de revenus : la publicité sur leur site (y compris sous forme d'échange de bannières qui permet d'assurer l'indispensable publicité pour le service gratuit sur d'autres sites), le commerce électronique et les accords avec les opérateurs de télécommunications, invités à céder au FAI une partie des taxes perçues à la faveur du trafic ainsi généré. Du coup, la différence entre « gratuits » et « payants » s'estompe, le forfait « tout compris » d'un payant revenant aujourd'hui à peu près au même prix que l'accès réputé gratuit.

Les « gratuits » ne sont pas en reste, avec par exemple, en France, le FAI Freesbee qui propose des frais téléphoniques inférieurs de 25 pour cent aux tarifs normaux. Et un nouveau bouleversement se profile déjà à l'horizon. CallNet 0800, un consortium fondé par un opérateur de télécoms canadien et trois sociétés britanniques (un opérateur de téléphonie mobile, un magazine de F1 et un FAI) propose l'accès entièrement gratuit, communications téléphoniques comprises. La connexion se fait par le biais d'un appel à un numéro gratuit de type 0-800. Et bien entendu, CallNet 0800 a l'intention de lancer des services identiques dans d'autres pays européens.

« Et demain, on rase gratis », la formule de dérision lancée à ceux qui croient aux promesses de politiciens sur l'abolition des impôts ou aux réclames des commerces qui prétendent distribuer leurs produits aux premiers arrivés, correspondrait-elle donc à la réalité en ce qui concerne Internet ? Il faut s'habituer à l'idée que sur Internet, la contrepartie attendue du consommateur est souvent autre que monétaire.

L'internaute paie son accès en accordant son attention à des bandeaux publicitaires, en acceptant que de la publicité ciblée soit déposée dans sa boîte aux lettres personnelle, en s'exposant aux contenus des portails qui le font pénétrer sur le réseau, et en cliquant sur les offres de services clignotant aux quatre coins du Web. Pour les FAI « gratuits », mieux vaut donc avoir les reins solides.

Typiquement, leurs dirigeants sont de jeunes hommes d'affaires, frais émoulus d'écoles de commerce prestigieuses, capables de mobiliser des partenaires de poids et de les convaincre qu'il ne s'agit pas de chercher à dégager des bénéfices à court ou moyen terme, mais bel et bien d'occuper le terrain à l'aide de campagnes publicitaires agressives et de prestations irréprochables.

 

Jean Lasar
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