Taxis

Roule en Logan

d'Lëtzebuerger Land vom 31.01.2008

Troquez vos Mercedes pour rouler en véhicules low-cost de type Logan ou Skoda. Voici la recette que le ministre de l’Économie a prodiguée en substance cette semaine aux professionnels des services de taxi pour assurer la rentabilité de l’activité.

Jeannot Krecké (LSAP) défendait aussi mercredi à la Chambre des députés le projet de loi qui amende la loi sur la concurrence. Les mauvaises langues ont baptisé ce texte « loi anti-Gallé », du nom du patron de l’une des principales firmes de taxi du pays, Colux. Jean-Paul Gallé, le dirigeant pour lequel le texte a été cousu surmesure, ne se sent pas flatté d’un pareil parrainage : en adoptant mercredi le projet de loi modifiant la loi du 17 mai 2004 sur la concurrence, les députés ont donné au ministre de l’Économie la panoplie de gendarme qui lui faisait jusque-là défaut pour envoyer le patron de Colux devant un tribunal correctionnel pour infractionà la réglementation sur les prix maxima des courses de taxi. Etdonner l’exemple en frappant le coeur de la résistance au diktat desprix « administrés ». 

Il reste en effet trois exceptions à la liberté des prix : les produits pétroliers, les médicaments et les courses de taxi. Il en faudra sans doute beaucoup plus pour venir à bout de la combativité du dirigeant qui milite depuis des années pour la fin des entraves et la libéralisation du secteur des taxis, que rien n’empêche à ses yeux, sinon des considérations doctrinales. Il n’est pas question en tout cas pour lui de revenir sur les tarifs des courses, situés bien au-dessus des prix fixés par un règlement grand-ducal de 2004. Il compte d’ailleurs les aligner en mars prochain sur l’indexation automatique des salaires. La survie de l’entreprise en dépend, assuret-il dans un entretien au Land. Son cas est loin d’être marginal. Si JeannotKrecké pouvait se vanter il y a un an encore de compter dans son camp, un des principaux concurrents de Colux, voici les rangs des patronsloueurs respectueux des prix dictés par les autorités, désormais bien décharnés.

Face à la flambée des prix des carburants, les tarifs fixés il y a quatre ans apparaissent totalement inadaptés. Aux prises à des difficultés de trésorerie, de nombreuses firmes se sont alignées sur les prix « Colux », entrant ainsi en résistance derrière l’emblématique Jean-Paul Gallé. Jusqu’à présent, le ministre de l’Économiea été impuissant à réprimer les violations de la réglementation de2004 sur les prix maxima. Le Parquet, qu’il avait saisi après avoir envoyé ses sbires contrôler les taximètres, lui a ri au nez, refusant d’instruire les plaintes. Particulièrement mal ficelée, la législation de 2004 ne permettait pas en effet de punir pénalement les dépassements de prix. Devant l’absence de sanction, les compagnies de taxi n’ont donc pas hésité à braver la loi.

Il fallait corriger le tir. C’est chose faite depuis mercredi. Le ministre de l’Économie a donc désormais en main l’arsenal juridiquenécessaire pour que ses plaintes soient davantage prises au sérieuxpar un tribunal correctionnel. Il lui reste encore à mettre une dernièremain au règlement grand-ducal fixant les prix des courses. Le texteest prêt. Il a même été présenté aux membres de la commission de l’Économie : il s’agit de la copie conforme du règlement de 2004 dont la légalité fut mise en cause devant les juridictions administratives par le patron de Colux.

L’hyperinflation du baril de pétrole n’aura donc eu aucune prise sur la décision de Jeannot Krecké de maintenir le niveau des prix à celui d’il y a quatre ans. Et en 2004, malgré les appels du pied de la fédération des patrons loueurs de taxis et d’ambulances, les prix avaient été maintenus au plancher de 2001. Inutile de dire quel accueil la branche fera au règlement grand-ducal qui est déjà dans le chapeau de Jeannot Krecké. 

On peut s’interroger sur ce qui pousse le ministre LSAP à maintenir le contrôle des prix des taxis. Le secteur ne serait pas suffisamment mûr pour être totalement affranchi de la tutelle du ministère de l’Économie et du Commerce extérieur qui veille au grain. Trop de contraintes réglementaires qui limitent le nombre de concurrents, des compétences partagées au niveau national et local avec un pouvoir encore énorme des communes qui délivrent les autorisations. La libéralisation sera pour plus tard, assène-t-il en s’appuyant sur un avistrès controversé du Conseil de la concurrence qui remonte au 15 novembre dernier pour justifier la garde sous tutelle du secteur. « Un avis pédagogique qui a le mérite de situer le problème » disent ses encenseurs tandis que ses détracteurs n’y voient que l’ombre du ministre de tutelle sur une administration censée en être indépendante. Il est vrai aussi que pour la première fois que le Conseil de la concurrence se fendait d’un avis, compétence que la loi du 17 mai 2004 ne lui attribue d’ailleurs pas, mais qui anticipe sur ses futurs pouvoirs (Jeannot Krecké a introduit récemment un projet de loi qui prévoit la fusion des deux autorités de la concurrence pour n’en faire plus qu’une seule super-autorité).

Difficile toutefois de trouver une once d’analyse économique dansl’avis du Conseil de la concurrence, qui juge la clientèle des taxis encore trop « captive » (donc pas mûre pour la libéralisation du secteur), sans pour autant s’être livré à une analyse demarché. L’existence d’un sondage sur les habitudes des usages des taxis(qui fut orchestré par l’Inspection de la concurrence) est mentionné dans l’avis, mais les résultats de la consultation ne sont pas fournis dans le texte. C’est plutôt singulier, tout comme l’est aussi l’absence de concerta-tion préalable du ministre avec l’organisation de défense des consommateurs. 

Les usagers des services de taxis n’auraient pas le choix de leurfournisseur, obligés de prendre la voiture de tête des stations sans pouvoir jouer sur la concurrence. Ce à quoi les professionnels rétorquent que plus de 80 pour cent de leurs clients passent commande avant d’ouvrir la portière d’un taxi. Il y aurait donc le choix du prestataire et un arbitrage possible sur les prix, préalable aux tarifs libres. Imperturbable aux doléances des chambres professionnelles, qui réclament à leur tour la libéralisation du secteur, le ministre de l’Économie va publier son règlement grand-ducalavec un statu quo prévisible sur les prix des courses, qui resterontscotchés au niveau de 2001. 

Jeannot Krecké risque ainsi des’aliéner une partie du monde artisanal, alors que politiquement, la tendance est d’en finir avec le Moyen âge, celui des cloisonnements entre l’artisanat et le reste de l’économie. Ce qui rendrait totalement obsolète le maintien, après les législatives de 2009, de la cohabitation d’un ministère de l’Économie avec celui du ministère des Classes moyennes. La paire faisant double emploi. Vers un monde meilleur ?

Véronique Poujol
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