Arts plastiques

Figures d’enfermement

d'Lëtzebuerger Land du 17.04.2020

En ces temps de confinement, malheur à tels artistes rattrapés de la sorte, dont les expositions ne sont plus accessibles, comme Unica Zürn et Wols, certes reconnus après leur mort, mais eux avaient déjà trop fait l’expérience de l’enfermement durant leur vie. Pour la première, il avait encore été possible d’aller à l’Hôpital Sainte-Anne, et à côté du court de tennis, à droite dès l’entrée rue Cabanis, descendre l’escalier et entrer dans les caves voûtées, deux salles de part et d’autre du poste de gardien(ne) comme naguère dans les salles de cinéma, où se font les expositions du Musée d’art et d’histoire de l’établissement ; on sait, Sainte-Anne avait eu tôt un département d’art psychopathologique, des ateliers d’expression plastique et picturale. Pour Wols, on reviendra sur son exposition au Centre Pompidou, fermée bien sûr elle aussi.

Impossible de séparer dans Unica Zürn la poétesse et la dessinatrice, les deux sont allées, ont avancé de pair à partir des années cinquante. Avant, la jeune femme, née en 1916, à Berlin-Grünewald, issue d’une famille bourgeoise aisée, divorcée assez vite, s’était quand même déjà liée aux milieux artistiques de la capitale allemande, où la rencontre avec le peintre Alexander Camaro l’avait poussée aux premiers dessins ; les premiers textes datent de la même époque, avant la rencontre de Hans Bellmer (né lui en 1902, presque une même génération maudite), et à travers lui, à Paris, des Man Ray, Max Ernst, Arp, Matta, Brauner, plus tard Henri Michaux.

L’exposition à Sainte-Anne s’ouvre sur deux portraits faits par Camaro, au crayon, à l’encre, mais ce sont deux photographies de Man Ray qui montrent Unica Zürn dans ce qui peut être sa vérité : belle femme, aux traits énergiques, décidés, le regard porté au loin ou interrogeant la caméra et celui qui plus tard la regardera. À Berlin, dès 1954, elle publia des dessins et des anagrammes (Hexentexte), elle les définit comme « des mots et des phrases créés par la redistribution des lettres d’un mot ou d’une phrase donnés », où il ne faut rien retrancher ni ajouter. Un travail donc qui défait, refait, pour gagner quel texte peut-être à rapprocher de l’écriture automatique surréaliste, mais chez elle rien ne se passe en dehors de la lucidité pour aboutir aux « champs magnétiques » des Breton et Soupault. À rapprocher aussi de ce que Bellmer, dans les années trente, avait fait subir à d’autres corps, désarticulation, recomposition de sa poupée.

Les dessins, la plupart à l’encre sur papier, des fois font penser à un bestiaire, d’une imagination foisonnante, fantastique, mais très vite on repasse du côté de l’humain, les traits étant tels que rien n’est jamais figé ; il y a la finesse, il y a d’autre part un débordement, un élan, une dynamique. Des formes se dégagent les unes des autres, se juxtaposent, s’accumulent, et des visages, des corps, plus rarement des paysages, surgissent, ou se laissent seulement deviner, comme à travers la brume d’un songe malgré l’extrême précision. Au bout, une sorte de floraison à laquelle il n’est sans doute pas faux d’attribuer un caractère vénéneux.

Zürn a connu un premier internement à Berlin, en 1960. Le début d’une suite d’enfermements qui toutefois n’ont jamais arrêté son activité artistique, même si tel dessin n’est dédié à l’un des docteurs que « pour changer contre 5 cigarettes ». C’était en 1961, où elle fut admise à Sainte-Anne justement, après une crise où elle avait détruit une partie de ses dessins. Elle en sort en 1963, mais La Rochelle, Neuilly-sur-Marne, le château de la Chesnaie suivront. Le 18 octobre 1970, Unica Zürn a une permission de sortie, se rend chez Bellmer ; le 19, elle saute du sixième étage du 4, rue de la Plaine.

Pour plus de details : musee-mahhsa.com/expositions/expositions-actuelles-et-futures/

Lucien Kayser
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