Cinéma

Mal orchestré

d'Lëtzebuerger Land du 04.01.2019

Un air de piano rapide, des images accélérées montrant les foules immenses qui traversent les grandes stations de métro : c’est le quotidien et l’anonymat qui caractérisent une ville comme Paris. Mais quelques instants plus tard, Pierre Geithner (Lambert Wilson), directeur du département de musique du Conservatoire National Supérieur de Musique, va découvrir dans cette cohue un diamant, un génie. Assis devant un piano mis à disposition gratuitement dans un hall de gare, il aperçoit Mathieu Malinski (Jules Benchetrit), un jeune homme interprétant un morceau de Bach avec une virtuosité rare. Mais avant qu’il ne puisse l’aborder, Mathieu fuit des policiers qui semblent l’avoir reconnu. La poursuite qui s’ensuit sur un air ressemblant vaguement à la chanson Lust for life d’Iggy Pop, évoque du coup inévitablement le début de Trainspotting et annonce déjà la couleur d’Au bout des doigts, écrit et réalisé par Ludovic Bernard, grand amateur de musique classique et assistant réalisateur de Luc Besson.

L’intrigue autour d’un jeune de banlieue se refusant à l’opportunité de sa vie nous sert un à un tous les clichés, les bons sentiments et les sensations de déjà-vu que l’on redoute et qui sont mis en scène de façon très moyenne. Après une condamnation, Pierre fait en sorte que Matthieu serve ses dix mois de travaux d’intérêts généraux au conservatoire, où il va partager ses heures entre le nettoyage des locaux et des cours avec la très sévère comtesse de Buck-ingham (!), interprétée par Christine Scott Thomas. Parmi les autres étudiants du conservatoire, c’est surtout Anna qui attire son attention et qui va rapidement devenir son amie en lui confiant qu’elle apprécie ce « mec différent » parmi tous ces jeunes qui se font financer leurs études. À aucun moment, elle ne semble pourtant remarquer que Mathieu nettoie aussi les couloirs du bâtiment et porte parfois la blouse de l’entreprise de nettoyage lorsqu’elle le voit. Elle tombe des nues lorsqu’elle apprend qu’il est aussi au conservatoire pour purger ses mois de TIG.

Outre ces problèmes de cohérence, et contrairement à Good Will Hunting (1997, Gus Van Sant), film dont il s’inspire ouvertement, le scénario ne s’attarde pas non plus sur la psychologie de ses personnages, réduisant souvent la performance d’un bon casting à un amas de clichés. Le jeu le plus atteint par ce manque de détails dans l’écriture est celui de Jules Benchetrit dans le rôle principal. Son refus de regarder les autres personnages dans les yeux et ses coups de gueule sont rapidement utilisés en tant qu’instruments de jeu parce que le contenu des séquences n’a pas assez à offrir.

Au bout des doigts s’empresse à cocher tous les points de sa check-list dramaturgie pour arriver le plus rapidement possible à son crescendo mélodramatique. Mathieu a une chance unique de représenter son école à un concours d’excellence internationale et veut se rétracter une énième fois. C’est évidemment à ce moment-là qu’un événement tragique le pousse à saisir sa chance malgré tout. Pour le côté génie caché, on préfère donc Good Will Hunting, pour l’apprentissage musical hors norme on recommande Whiplash.

Fränk Grotz
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