L’homme Claude W.

d'Lëtzebuerger Land du 30.03.2018

Dans une série d’articles publiés sous le titre Der Wahlkampf auf Instagram sur son blog ideenfreiheit.wordpress.com, l’historien de l’art allemand Wolfgang Ullrich affirme que les élections de 2017 pour le Bundestag étaient les premières pour lesquelles les images publiées sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram, jouaient un rôle prépondérant. On peut observer le même phénomène pour les législatives luxembourgeoises d’octobre. À rythme régulier, le Land va donc analyser ici le storytelling des principaux candidats, la manière dont ils se montrent tour à tour travailleurs, engagés, sociaux ou humains, tellement humains.

Le premier de la série ne pouvait être personne d’autre que Claude Wiseler, le candidat tête de liste nationale du CSV, président du groupe parlementaire du parti « et père de trois enfants », comme il se définit lui-même dans sa bio. Parce que son compte Instagram, ouvert en début d’année seulement et suivi cette semaine par 860 personnes (contre 3 200 sur Facebook et 1 710 sur Twitter), semble tellement loin de la personne que l’on connaît depuis le début de sa carrière que cela en prend des airs satiriques. Claude Wiseler est par nature un homme discret, pas très porté sur sa personne, ne voulant pas trop s’épancher sur sa vie privée ou son CV politique. Mais voilà, ses consultants semblent avoir lu la presse spécialisée, admiré le travail du photographe Pete Souza pour Barack Obama (17 millions d’abonnés) sur le réseau qui valorise les images, Souza montrant un Barack Obama volontariste en politique, proche des gens, bon père de famille et époux dévoué. Se faisant violence, Wiseler avait déjà accepté des home-stories dans la presse magazine dans le cadre des précédentes échéances électorales, mais cette fois, l’image est beaucoup plus contrôlée encore. Face à Xavier Bettel (DP), à Corinne Cahen (DP) ou à toute cette génération de jeunes politiques qui manient les réseaux sociaux comme ils respirent, il ne devait pas avoir l’air vieux jeu – malgré ses cheveux blancs.

Alors on le voit bosseur – réunions de travail internes, rencontres, congrès –, mais aussi, et ce sont les meilleures photos, mis en scène dans des situations banales : une embrassade chaleureuse avec une sans-abri lors d’une visite de la Stëmm vun der Strooss, en train de mordre à pleines dents dans « e gudde Fuesskichelchen », assis en veste en cuir et jean sur des escaliers en train de téléphoner lors d’un week-end à Lisbonne... Mais n’ayez crainte, dès le lendemain, il était de retour au bureau et s’enquit auprès de la secrétaire des dossiers à traiter d’urgence, photo à l’appui. Son expérience de réalité virtuelle au LuxFilmFest fait penser à une séance médicale, une infirmière sur les genoux, les brain-
stormings du week-end avec croissants sur procelaine Vieux Luxembourg chez lui sont autant documentés que les chaussettes graphiques de Laurent Zeimet (séquence humour) ou les premiers rayons de soleil au marché de la Ville, où Wiseler pose entre les fleurs printanières et s’en réjouit : « Fréijoer kënnegt sech un :-) endlëch ». L’auteur Rafaël David Kohn disait récemment à Mersch qu’il ne voulait pas vivre dans une société où des universitaires mettent des smileys dans leurs communications.

Le Claude Wiseler d’Instagram aime les jeunes et le basket, les étrangers (au Festival des migrations) et les malades qui luttent contre le cancer (« Vill Emotiounen » au Relais pour la vie le week-end dernier), même s’il ne manie pas encore l’art du hashtag. Contre toute attente, la campagne électorale de cette année est donc devenue celle d’une personnalisation excessive des candidats, Wiseler étant mille fois plus people que ne le fut jamais Jean-Claude Juncker, auquel on le reprocha, notamment lors de la campagne Juncker on tour.

josée hansen
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