L’OCDE confirme la prépondérance du Grand-Duché dans les flux financiers internationaux

Le Luxembourg en pole position

d'Lëtzebuerger Land du 14.05.2021

Dans le document intitulé FDI in figures publié fin avril 2021, l’OCDE (Organisation de coopération et de développements économiques) révèle une chute de 38 pour cent des investissements directs à l’étranger (IDE) en 2020 au niveau mondial pour cause de pandémie. Mais l’évolution est variable d’une région du globe à l’autre et selon les pays, de sorte que commence à se dessiner une géographie nouvelle des IDE. Dans ce paysage en recomposition, le Luxembourg reste une plaque-tournante mondiale, aussi bien pour les flux entrants que sortants, en raison du rôle qu’y jouent les Special Purpose Entities (SPE)*. (Le rapport de l’OCDE identifie huit pays abritant ces structures créées par des multinationales pour des raisons d’optimisation fiscale : en dehors du Luxembourg et des Pays-Bas, où elles jouent un rôle considérable, l’Autriche, l’Islande, la Hongrie, le Danemark, le Portugal et le Chili occupent les seconds rôles).

Avec un montant de 1 011 milliards dans le monde, les investissements entrants ont diminué d’un tiers en 2020 : en valeur absolue c’est un retour au montant de 2005, et en termes relatifs, avec seulement un pour cent du PIB mondial, ils ont retrouvé leur niveau de 1999 ! La baisse a été sensible au premier et au dernier trimestre malgré un petit rebond pendant l’été. Elle a été très ressentie dans la zone OCDE, avec -51 pour cent, et surtout dans l’UE où les flux entrants ont chuté de 70 pour cent ! De ce fait, les pays membres de l’OCDE n’accueillent plus que 38,5 pour cent du total mondial en 2020, contre 51,7 pour cent en 2019 et 58 pour cent en 2018, tandis que l’UE n’a reçu qu’un dixième des flux mondiaux en 2020, contre un quart l’année précédente. Avec 389 milliards de dollars de flux entrants, l’OCDE connaît son plus bas niveau depuis quinze ans. Les investissements étrangers ont été réduits de moitié en France, au Royaume-Uni et au Canada, tandis qu’ils ont été divisés par 2,5 en Irlande et au Brésil ! Les Pays-Bas, l’Autriche, la Norvège et la Suisse ont même connu des « entrées négatives », c’est-à-dire des retraits (en Suisse, pour la troisième année consécutive), par exemple par la cession de participations dans des filiales locales de la part de sociétés-mères étrangères. En revanche, le Luxembourg détient le record mondial de la hausse des entrées aussi bien en valeur absolue (+47 milliards) qu’en taux de progression (triplement) devant la Suède (16 milliards de mieux soit soixante pour cent d’augmentation).

La baisse a été beaucoup moins nette dans les économies du G20 non-membres de l’OCDE (-9 pour cent seulement) car la Chine et l’Inde ont accueilli des investissements plus élevés qu’en 2019, avec respectivement 14 et 27 pour cent de plus, reflétant en partie les activités de fusions-acquisitions transfrontalières au deuxième semestre. Les grandes économies émergentes hors OCDE ont reçu en 2020 plus du tiers des investissements entrants, contre un quart l’année précédente. De ce fait, et pour la deuxième fois en six ans la Chine (212 milliards engrangés) a dépassé les États-Unis (177 milliards) en tant que première destination des IDE dans le monde. Derrière ces deux économies on trouve, mais à bonne distance, l’Inde et… le Luxembourg, à peu près à égalité (respectivement 64 et 62 milliards).

Les sorties d’IDE, qui sont restées nettement inférieures aux entrées, ont diminué de 42 pour cent dans le monde en 2020, en raison de la crise dans les principaux pays investisseurs. Ceux de la zone OCDE ont réduit leurs investissements de 48 pour cent en 2020 pour les ramener à leur niveau le plus bas depuis 2005, faisant perdre plus de sept points à leur « part de marché » tombée à 62,4 pour cent. La chute a été encore plus violente dans les pays de l’UE. Leurs investissements à l’étranger ont baissé de 77 pour cent, représentant désormais moins de treize pour cent des sorties mondiales d’IDE en 2020, contre près du tiers en 2019 et 2018. Tandis que les États-Unis et la Corée restaient stables, d’importantes baisses ont été notées en Allemagne (division par quatre) et au Japon (division par deux), pays qui avaient connu des niveaux élevés en 2019. Dix-huit autres pays de l’OCDE ont enregistré une diminution de leurs investissements à l’étranger. Certains (Autriche, Brésil, Norvège, Pays-Bas) sont passés en « sorties négatives » ou y sont restés (Irlande, Royaume-Uni), c’est-à-dire qu’ils ont rapatrié des sommes.

En revanche une nette hausse a été observée en Suède (doublement) et surtout au Luxembourg qui, enregistrant une multiplication par 3,7 des flux sortants, est devenu la première source d’IDE dans le monde avec 127 milliards de dollars, devant les États-Unis et le Japon (respectivement 118 et 116 milliards) ! À l’exception de l’Indonésie (+33 pour cent) les économies du G20 non-membres de l’OCDE ont également réduit leurs investissements à l’étranger, à hauteur de 49 pour cent, et la Chine n’arrive plus qu’à la quatrième place mondiale (110 milliards). Les investissements entrants sont principalement réalisés sous forme d’apports de capitaux propres : sur un échantillon de six pays de l’OCDE ayant engrangé 246 milliards en 2020, leur part est de 70 pour cent (66,2 pour cent au Luxembourg) mais dépasse 90 pour cent en Allemagne et en France. En revanche la part du capital est moindre dans les « sommes exportées » : 59 pour cent sur un échantillon de neuf pays totalisant 338 milliards investis à l’étranger. La proportion est de moitié en France, en Allemagne et au Japon mais tombe à quarante pour cent au Canada et à 36,5 pour cent aux États-Unis, le Luxembourg se situant au-dessus de la moyenne (62,2 pour cent).

Le rebond de l’activité de fusions et acquisitions transfrontalières, qui a commencé au deuxième semestre 2020 et s’est poursuivi au premier trimestre 2021 dans les économies avancées, avec de nombreuses transactions dans les secteurs de la santé et de la technologie, pourrait stimuler les flux d’IDE en 2021, surtout en capitaux propres. Les entreprises dans lesquelles les sommes sont investies ont subi les conséquences de la crise : réalisant moins de bénéfices, elles ont par contrecoup distribué moins de dividendes. Les intérêts issus des dettes inter-sociétés ayant aussi baissé, les revenus tirés des investissements étrangers ont connu une diminution assez nette en 2020. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, les recettes des investissements à l’étranger ont diminué de seize pour cent, ce qui représente par rapport à 2019 un manque à gagner de 278 milliards de dollars. Elles ne représentent plus que 2,9 pour cent du PIB de l’OCDE contre 3,3 pour cent en moyenne de 2017 à 2019. Le Luxembourg est un des rares pays (avec le Japon) à avoir connu une hausse, limitée à deux pour cent, alors que le Royaume-Uni a essuyé une baisse de moitié.

On observe qu’en 2020 les recettes venues de l’étranger ont été très supérieures aux investissements annuels sortants (pour la zone OCDE, 1 462 milliards contre 425 milliards, soit trois fois et demi plus). Par ailleurs, les paiements de dividendes et d’intérêts à des investisseurs étrangers sur le territoire national ont aussi connu une baisse de 14,7 pour cent, soit un décaissement inférieur de 180 milliards de dollars à celui de 2019, grâce à l’importante baisse de 64 milliards pour les seuls États-Unis (soit –28 pour cent). En revanche les versements ont augmenté au Luxembourg (de onze pour cent) en Irlande et surtout aux Pays-Bas. Au final, la différence entre revenus perçus et les revenus versés reste positive de 418 milliards, en baisse de « seulement » 19 pour cent sur un an, ce qui est quasiment inespéré au regard de la gravité de la crise. La situation est cependant contrastée selon les pays. La balance est structurellement négative en Belgique, en Suisse et surtout en Irlande, terre d’accueil de nombreuses entreprises étrangères. Au Luxembourg en incluant les SPE, la différence recettes-dépenses est positive mais elle a baissé de quarante pour cent en un an, loin toutefois de l’effondrement connu aux Pays-Bas
(-95 pour cent) et au Royaume-Uni (-83 pour cent). Seuls deux pays ont tiré leur épingle du jeu avec une différence en hausse : de sept pour cent au Japon et de trente pour cent au Canada.

Euros en stock

Les IDE sont des flux annuels qui alimentent des « stocks de capital » : l’OCDE donne également un aperçu statistique intéressant de ses « positions», y compris en dehors de sa zone. En valeur, les États-Unis sont sans surprise le principal pays d’accueil avec 8 128 milliards, mais ils sont suivis de deux « petits pays » : les Pays-Bas (6 911 milliards en comptant les SPE) et le Luxembourg (4 443 milliards selon le même calcul). Pas étonnant dans ces conditions que, rapportés aux PIB locaux, les investissements étrangers pèsent très lourd : le Luxembourg fait exploser le compteur avec 6 064 pour cent du PIB, les Pays-Bas sont à 759 pour cent, l’Irlande (302 pour cent) et la Suisse (218 pour cent) faisant aussi bonne figure alors de la moyenne de l’OCDE est seulement de 58 pour cent.

Si l’on considère les avoirs détenus à l’étranger, le classement est identique : les États-Unis (10 802 milliards de dollars) précèdent les Pays-Bas et le Luxembourg (respectivement 5 560 et 3 594 milliards, SPE incluses), ces deux derniers pays affichant des pourcentages énormes de leur PIB, devant l’Irlande, la Hongrie et la Suisse.

Georges Canto
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