Faillite de deux fonds d'investissements

Mauvais feuilleton

d'Lëtzebuerger Land du 01.01.2009

Le cauchemar. Les liquidateurs des sociétés d’investissement à capital variable Top Ten Multifonds (TTM) et Amis Funds (Amis) sont pourtant de vieux routiers dans les faillites en tout genre, comme celle de la BCCI ou celle, plus ancienne encore, du fonds d’investissement IOS. C’est dire si on ne leur fait pas avaler des couleuvres. La liquidation des deux fonds d’investissement TTM et Amis, déclarés en faillite le 23 décembre 2005 par le tribunal de Commerce de Luxembourg, aurait pu être pour eux une formalité ou presque, avec au final le versement d’un dividende assez rapide aux quelque 16 000 créanciers, des investisseurs autrichiens pour l’essentiel et quelques Allemands, tous victimes d’une fraude de type « Ponzi », qui n’est pas sans en rappeler une autre plus récente, d’un certain Madoff. 

Ici pourtant, une partie de l’argent, englouti dans la défaillance des Sicavs, a été récupérée : pas loin de 94 millions d’euros au total sont dans les caisses de la liquidation pour un passif encore difficile à estimer, en raison des doubles, voire des triples et même des quadruples déclarations de créances effectuées par des investisseurs qui n’auraient dû n’en faire qu’une. En tenant compte de ces déclarations multiples, le passif atteint quelque 500 millions d’euros. Ce chiffre est toutefois largement surestimé. Les liquidateurs s’échinent à le ramener à des montants plus proches de la réalité, mais ils doivent pour cela faire face à l’adversité des autorités autrichiennes, y compris la justice de ce pays, qui opposent de fortes résistances à une collaboration avec le Luxembourg où étaient domiciliés les fonds d’investissement.     

Un autre écueil, et de taille, est venu interférer sur le cours de la faillite : l’assignation en responsabilité des autorités autrichiennes de contrôle bancaire, qui ont fait preuve dans cette affaire de pas mal de laxisme dans la surveillance de la société de gestion en amont de TTM et d’Amis. Il y aurait sans doute aussi à gloser sur la qualité de la surveillance qui fut exercée, côté luxembourgeois, par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Par chance, le gendarme de la place financière échappe aux représailles. Pour autant, on peut se demander pourquoi la Commission de surveillance ne s’est pas posée plus de questions lorsque, pour régulariser leur situation après que les deux fonds avaient été suspendus par l’autorité, les gérants de TTM et d’Amis ont apporté de l’argent cash pour assurer les demandes de rachat. De l’argent puisé illégalement d’un troisième fonds d’investissement, étranger aux deux premiers. Les liquidateurs entendent d’ailleurs intégrer les clients de ce dernier pour qu’ils récupèrent une partie de leur mise. Ce traitement de faveur de la CSSF ne sera pas le lot des deux firmes de révision des Sicavs, assignées en responsabilité par les liquidateurs. Pourquoi les réviseurs n’ont-ils pas tiré la sonnette d’alarme, alors qu’ils ne pouvaient pas ne pas voir les violations par les gérants d’Amis Asset Mana­ge­ment des règles d’investissement fixées par les prospectus d’émission ?

L’affaire est partie de Vienne à la fin des années 1990. Le rôle principal est tenu par le promoteur des deux fonds TTM et Amis, une société autrichienne de conseil en investissement qui va changer plusieurs fois de dénomination, sans que pour autant son actionnariat ne soit modifié : d’abord Amis AG, puis Amis Asset Management Services AG et enfin Amis Financial Consulting AG. Ce qui est certain, c’est que la société devait se limiter à l’activité de conseil en investissement, un statut qui lui interdisait par exemple de détenir en propre les liquidités et les avoirs de ses clients. Le prospectus d’émission soulignait d’ailleurs cette caractéristique : l’argent des investisseurs devait être versé directement sur un compte auprès de la banque dépositaire au Luxembourg (puis­que les fonds relevaient du droit luxembourgeois). Ce fut dans un premier temps la Banque Colbert Luxem­bourg, entre 1999 et 2000 (l’établissement fermera ses portes après) puis, dans une seconde étape, la Sella Bank Luxembourg. Les clients donnaient un pouvoir discrétionnaire au gestionnaire, lequel se servait au passage d’opulentes commissions de gestion au moment de l’investissement. Le ticket était à six pour cent. Les asset managers autrichiens, en violation de leurs statuts et de la réglementation bancaire (l’autorisation de toucher de l’argent leur fut retirée à partir de septembre 2000), apparaissaient dans le registre des actionnaires, en lieu et place des clients qui auraient dû y figurer individuellement. Une première anomalie qui sera maquillée par la suite par les gérants. Pour contourner la loi bancaire, ils constitueront en effet une filiale à cent pour cent dans les Iles Caïmans, la Transcontinental Fund Administration Ltd. 

Un accord secret, que les autorités de surveillance ne devaient surtout pas connaître, est alors signé avec la banque. Si les investisseurs désignaient bien un sous-fonds dans lequel ils voulaient investir en fonction de leur profil de risque, les actifs étaient toutefois colletés sur un compte nostro (interne) de Sella. Les actifs étaient regroupés avec ceux d’autres investisseurs, faisant ainsi un mélange difficile, sinon impossible, à retracer. Bien que les parts furent attribuées à leur valeur nette d’inventaire au jour du versement par l’investisseur, les actifs sur les comptes nostro n’étaient pas immédiatement réinvestis. De plus, aucune ventilation n’était réalisée par Sella Bank en rapport avec les ordres d’investissement dans les différents compartiments des deux fonds. 

Pour ajouter encore à la confusion, les peu scrupuleux gérants d’Amis Asset Management (actuellement en prison) ont pioché l’argent dans la banque pour rémunérer grassement des apporteurs d’affaires, qui faisaient grossir les fonds d’investissement. Un cercle infernal qui amenait les Autrichiens à vendre, à l’insu de leurs clients, des parts de fonds TTM et Amis, sans que cette décision ne corresponde à un ordre quelconque de ces derniers. L’exercice supposait une double comptabilité : celle des fonds d’investissements et une deu­xième, de façade, d’Amis Asset Ma­nagement à Vienne vis-à-vis des investisseurs. Ce n’était que pur artifice. La CSSF finira par découvrir le pot-aux-roses, suspendant au mois de mars 2004 la cotation de TTM et d’Amis, en attendant leur mise en conformité et la recherche d’une nouvelle banque dépositaire. Personne ne sera candidat pour prendre le relais de Sella Bank. 

Après la suspension, aucune valeur nette d’inventaire (VNI) ne sera calculée. La valeur comptable retenue pour évaluer les investissements s’appuyait sur une valeur fictive. C’est dire les difficultés qu’ont les liquidateurs aujourd’hui à retrouver les montants investis et remonter la piste des clients. Difficultés d’autant plus grandes que les autorités autrichiennes mettent toutes les difficultés du monde à leur ouvrir une partie de la comptabilité d’Amis AM. Pour reconstituer le puzzle en vue du remboursement des créanciers, les liquidateurs ont besoin par exemple des extraits de comptes. Les documents existent. Encore faut-il qu’ils puissent en disposer. Or, l’Autriche évoque le secret bancaire pour leur opposer une fin de non recevoir. Inconcevable. 

L’histoire de TTM et d’Amis s’est encore compliquée après leur suspension ordonnée par la CSSF. Pour assurer les demandes de rachat formulées par les clients, alertés par les difficultés des deux fonds luxembourgeois, les promoteurs autrichiens ont utilisé l’argent d’un autre produit d’investissement pour tenir leurs promesses. Fatal. Plus de vingt millions d’euros iront ainsi d’un compte à l’autre, alors que les avoirs de TTM et d’Amis étaient bloqués auprès de la Sella Bank.  

Trois mois avant la liquidation des deux Sicavs, leurs auditeurs furent amenés à examiner la situation comptable. Sans pour autant avoir réagi comme la réglementation le leur imposait. Ce que leur reprochent au­jourd’hui les liquidateurs qui les ont assignés en responsabilité. La Ban­que Colbert fait également l’objet d’une plainte de leur part.

Sella Bank, la banque dépositaire porte sans doute une responsabilité encore plus lourde dans cette fraude, ce qui explique sans doute les bonnes dispositions que ses dirigeants montrèrent à signer un accord transactionnel avec les liquidateurs. Sella Bank a en effet versé un montant de 25,5 millions d’euros, qui serviront à l’indemnisation des créanciers. Quelques jours après ce versement, la banque fera d’ailleurs un plan social qui lui coûta la moitié de ses effectifs.  

À cette somme s’ajoutent les plus de soixante millions d’euros que les liquidateurs ont réalisés de la vente des actifs des fonds peu après la faillite en décembre 2005. Après trois années de travail, les liquidateurs ont dans leur portefeuille quelque 94 millions d’euros qui dorment sur un compte à la BCEE. Il était prévu de procéder très rapidement aux premiers versement d’un dividende de 40 000 euros. Devaient suivre plusieurs tranches de remboursement d’un même montant. L’opération avait été autorisée en 2006 par le tribunal de Commerce de Luxembourg. Face aux intérêts divergents entre l’Autriche et des créanciers souvent manipulés, les paiements n’ont pas pu être faits et l’argent reste toujours en compte, au grand dam des liquidateurs, qui comprennent mal les difficultés qui leur sont faites en Autriche, alors que leur souci premier est « de traiter correctement les créanciers ». Tout se passe comme si  on voulait les empêcher de faire leur travail. Les écueils sur leur chemin sont légion. À commencer par des magistrats autrichiens pris entre deux feux, qui bloquent l’accès à des informations essentielles, notamment à la comptabilité parallèle, alors qu’ils avaient donné des instructions pour ouvrir ces documents aux liquidateurs. 

Il faut dire que vue de Vienne, l’affaire ne manque pas de piment. La république autrichienne a déjà été condamnée en première instance ainsi qu’en appel pour sa surveillance financière défaillante. Le dossier est actuellement devant la Cour de cassation. L’enjeu financier est de taille, puisque l’Autriche pourrait être amenée à rembourser le trou causé par les promoteurs des fonds. 

D’autres difficultés viennent notamment du système autrichien de garantie de dépôt, l’équivalent de notre AGDL, qui tente d’échapper à ses responsabilités. La société Amis Asset Management AG en était membre. La coopérative autrichienne de garantie, qui compte 80 membres seulement, risque gros dans cette faillite. D’où ses gesticulations au Luxem­bourg, où elle a rentré une déclaration de créance dans le cadre de la liquidation de TTM et d’Amis. Dé­claration qui est d’ailleurs sans rapport avec la réalité : deux fois 109 millions d’euros. Manière commode de se défausser et sans doute de gagner du temps, au détriment des milliers d’investisseurs qui ne demandent qu’à recouvrer leur argent.

Les liquidateurs luxembourgeois, eux aussi, œuvrent dans cette direction, malgré l’adversité. Ils espèrent pouvoir verser un premier dividende au printemps 2009.  

Véronique Poujol
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