Nordstad

Guerre de tranchée

d'Lëtzebuerger Land vom 14.02.2008

4,5 kilomètres de ligne ferroviaire échauffent les esprits depuis la présentation officielle du projet Nordstad – Zentrale Achse Nordstad en juin l’année dernière (d’Land 31/07). L’annonce du ministre des Transports, Lucien Lux (LSAP), le 20 janvier que ses services allaient maintenir et même moderniser cette voie a fait l’effet d’une bombe au sein du comité politique de la Nordstad. Car elle risque d’étouffer dans l’oeuf les démarches actuelles initiées par le concept de mobilité intégré Nordstad.

Cet activisme soudain du ministre et son intérêt pour une ligne délaissée depuis des décennies risque-t-elle de freiner la dynamique de développement du centre de la Nordstad ? Les mauvaises langues diront que le ministre a seulement voulu servir ses électeurs, à un an et demi des prochaines élections, et qu’il a voulu calmer les esprits des syndicats qui lui reprochent de ne rien avoir entrepris pour consolider le transport sur les rails. Toujours est-il qu’à moyen terme,les services de la CFL étudieront la possibilité d’ajouter deux nouveaux arrêts à la hauteur du Cactus d’Ingeldorf et du McDonalds. Ensuite, il faudra faire concorder les lignes de bus avec les dessertes ferroviaires – la condition évidente pour rendre plus attrayants les transports publics de cette région.

En 2006, le gouvernement avait lancé un concours d’idées international d’urbanisme dont cinq projets avaient été retenus. Le verdict des cinq équipes internationales et pluridisciplinaires – composées d’urbanistes, d’experts en mobilité, d’architectes, de paysagistes et de spécialistes en hydrologie – avait été sans appel pour le tracé : Supprimer la navette entre les deux villes pour intégrer cet espace dans un grand boulevard urbain avec la création de voies réservées à la circulation de bus dans les deux sens avec la perspective éventuelle d’un tram dès que le nombre d’usagers potentiels aurait atteint un certain seuil.

L’avantage de ce concept défendu par tous les responsables politiques de la Nordstad est de rétablir la perméabilité de la vallée, actuellement scindée en deux par les rails qui constituent selon les experts un mur invisible, impossible à la création de nouveaux quartiers urbains devant fonctionner en tant qu’entité à part entière.Cette estimation est basée sur une étude du bureau Schroeder et Associés selon laquelle cette antenne ferroviaire à voie unique présente six points faibles. D’abord le nombre de passagers décroissant et la perte d’attractivité de la navette, la cadence limitée due au fait qu’il ne s’agit que d’une seule voie. Le résultat en est clair : juste 3,5 pour cent des personnes se servent de cette ligne contre 13,5 pour cent de passagers qui préfèrent le bus et 83 pour cent la voiture. Une rame transporte enmoyenne 17,5 personnes – le taux d’occupation est de vingt pour cent. 

Ensuite le problème de l’accessibilité des quartiers parce que les gares de Diekirch et d’Ettelbruck sont éloignées des centres-villes. Puis le risque de sécurité des sept passages à niveau dont la suppression n’est possible que par des projets surdimensionnéscomme le pont de Walebroch par exemple. Finalement, il s’agitd’un « mur infranchissable, conclut le bureau d’études, difficilement intégrable dans la vision d’un futur boulevard urbain » .

En avril 2006, le concept mobilité intégré Nordstad fut présenté auxconseillers communaux de six communes : Bettendorf, Colmar-Berg,Diekirch, Erpeldange, Ettelbruck et Schieren. Les ministères des Travaux publics, des Transports, de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, l’Administration des Ponts et Chaussées et les CFL furent représentés par leurs plus hauts responsables. En juillet 2006, les six communes présentent une position commune, confirmée par vote unanime en octobre 2006. Le comité politique Nordstad a ensuite envoyé une missive au ministre des Transports Lucien Lux et au ministre des Travaux publics Claude Wiseler reprenant la position sur la restructuration de l’axe Diekirch-Ingeldorf-Ettelbruck : « a) Remplacement de la ligne ferroviaire par des voies bus compatibles avec une installation ‘tram’, b) Analyse de variantes du concept de circulation future compatibles avec un phasage du développementde l’axe : entreprises existantes (Astron building Systems, …),infrastructures publiques (Lycée ‘Nordstad’, …), c) Timing réalistepour les investissements nécessaires. » 

Le temps s’est arrêté après l’annonce de Lucien Lux qui va dans le sens opposé. Certains en ont le souffle coupé. Surtout que toutes les instances concernées avaient suivi et piloté les différentes étapes et participé à la sélection du masterplan retenu après la consultation rémunérée. Le ministre Lucien Lux avait même été de la partie lors de la présentation du concept de mobilité intégré Nordstad le 18 septembre 2007 à Ingeldorf. La question qui se pose est de savoir pourquoi il a attendu aussi longtemps pour imposer son veto.

Surtout que le comité politique de la Nordstad avait déjà pris positionl’année dernière pour répondre à ceux qui contestaient ses intentionsde supprimer la ligne. Il avait alors assuré que le nouveau concept demobilité avait été élaboré sous la régie du ministère des Transports et du ministère des Travaux publics. Que tous les aspects du développement de la Nordstad devaient être considérés comme un ensemble, inspiré par le souci d’un concept urbanistique cohérent. Pris dans ce contexte-là, le maintien de la ligne ferroviaire ne faisait pas de sens car il empêcherait les nouveaux quartiers de sedévelopper d’une façon harmonieuse en raison de la césure qu’elle représente. 

Un débat sélectif qui ne concerne que les quatre kilomètres de rails ignore beaucoup d’autres corrélations, souligne le communiqué, l’obstination portée sur le refus de toucher aux rails risque vite demettre en cause tout le développement central de la Nordstad.C’est la thèse que maintient Francis Dahm, le co-président du comitépolitique (avec le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire Jean-Marie Halsdorf – CSV) et bourgmestre de la commune d’Erpeldange même après la déclaration de Lucien Lux. Il estime que ce revirement risque de compromettre tout le projet. Ce qui le met dans une situation très délicate, car des investisseurs potentiels sont en attente. Des pourparlers sont en cours avec la Banque européenne d’investissement pour étudier des potentialités de cofinancements du projet – éventuellement dans le cadre du projet d’aide urbanistique Jessica. Contactées par le Land, les responsables de la BEI en charge du dossier confirment que des discussions ont été constructives et qu’un suivi aura lieu, même s’il est encore trop tôt pour avancer des données concrètes.

« D’un autre côté, des entreprises établies dans la vallée ont été d’accord pour geler leurs projets d’extension et attendre l’évolution du projet en vue d’une délocalisation vers la zone d’activité Fridhaff », ajoute Francis Dahm. Le temps presse, surtout que la loi de 2004 sur l’Aménagement communal oblige les communes à élaborer leur plan d’aménagement général (PAG) jusqu’en 2010. Si jusque-là, la Nordstad n’est pas fixée sur son sort, les investisseurspotentiels risqueront d’avoir filé à l’anglaise.

D’autant plus que la politique volontariste de l’État se fait attendre.D’une part, les communes ont reçu la demande officielle de prévoir2 000 à 3 000 mètres carré de bureaux pour héberger des administrations de l’État dans le cadre de la décentralisation annoncée. La semaine dernière, le député socialiste Romain Schneider a posé une question parlementaire au ministre desTravaux publics concernant le lancement de la mise en état du bâtiment de l’ancien Hôtel Midi à Diekirch qui devait être transformé en bureaux : « Un accord fut trouvé selon lequel d’Administration dela Gestion de l’Eau et le Commissariat de District de Diekirch seraient installés dans le bâtiment en question. » Dans l’intervalle, l’administration en question a trouvé refuge à Esch-sur-Alzette. Le site du Fonds Belval précise sur son site que « les futurs occupants du premier bâtiment administratif ont été désignés. Il accueillera l’Administration de l’Environnement, l’Administration de la Gestion de l’Eau et la Commission Nationale pour la protection des données. »

Au Nord du pays, on appréciera moyennement, surtout que l’argument de placer l’administration de l’eau à proximité de son champ d’action (notamment le problème des inondations) ne manque pas de sens. C’est aussi la raison pour laquelle les responsables des communes de la Nordstad espèrent toujours pouvoir accueillir un jour le ministère de l’Agriculture sur leur territoire.

Difficile d’y voir clair dans ce fouillis de déclarations de principe, d’attitudes et d’actions contradictoires de responsables politiques. Certains parlent de sabotage en pointant du doigt les récentes initiatives du ministre Lux et lui reprochent de vouloir court-circuiter un éventuel essor du nord du pays. Francis Dahm appelle à la retenue – c’est la raison pour laquelle il n’y a pas eu de réaction officielle sur les déclarations du ministre. « Nous voulons éviter de continuer un débat purement polémique et idéologique. Ce qui est certain, c’est que si la voie ferroviaire reste en place, il faudra élaborer un nouveau plan et le projet ne sera plus réalisable dans les délais que nous nous étions fixés. La création de quartiers résidentiels ne sera plus possible dans les dimensions que nousavions prévues, il faudraaussi considérer d’autres paramètres comme la sécurité autour de la ligne et les passages à niveau. Mais la concurrence ne dort pas et il faudrait fairevite.Maintenant, nous allons continuer nos travaux comme nous l’avions prévu. »

Fin février, début mars, le masterplan sera discuté au niveau des conseils communaux. Ensuite, le co-président Jean-Marie Halsdorf devra présenter et défendre un projet bien ficelé à ses collègues du conseil de gouvernement. Une tâche qui s’annonce difficile.Dans son discours à l’occasion des fêtes du centenaire de la Villed’Ettelbruck en juin 2007, il y avait fait allusion : « Schinne si konkret, Strategien sinn abstrakt. »

anne heniqui
© 2023 d’Lëtzebuerger Land