Coalitions possibles

Tris de pâtes

d'Lëtzebuerger Land du 17.06.2004

Le grand luxe : pour la première fois dans l’histoire, un parti politique peut choisir entre trois partenaires pour former un gouvernement au Luxembourg. Le CSV savoure, les mariées potentielles semblent par contre un peu perdues. Toutefois, la sérénité augmente proportionnellement au score. C’est un peu une surprise, mais Déi Gréng ont réussi à réagir au défi comme si cette situation leur arrivait tous les cinq ans : Nous sommes prêt à prendre nos responsabilités, mais pas question de trop marchander. Chez les socialistes, le désir de retrouver des portefeuilles ministériels combiné à un succès aux urnes très relatif fait monter la nervosité, visible lors de la table ronde des têtes de liste sur RTL Télé Lëtzebuerg dimanche soir. Le DP, qui définitivement ne semble pas avoir cru aux sondages, a par contre pris deux jours pour trouver une formule un tant soit peu crédible pour justifier ses vœux de rester au gouvernement. Les premières réactions donnaient l’impression que les libéraux se contenteraient même de seulement deux ministères tant qu’ils peuvent rester dans la majorité. À la gare, on parlerait sans doute de racolage. C’est très loin de la stratégie idéale si on veut renforcer sa position de négociation. Toute autre coalition qu’un couple CSV-LSAP constituerait de toute façon une surprise de taille. Peu importe d’ailleurs sur qui tombe le choix du formateur Jean-Claude Juncker, les négociations de coalition seront très loin d’une partie de plaisir pour le petit partenaire de la coalition. Face aux 24 sièges du CSV, il faudra plier sur plus d’un point. Et la parité des postes au gouvernement restera sans doute hors de portée. S’y ajoute que dès le premier jour du nouveau gouvernement, le junior partner devra craindre une débâcle en 2009. Seule consolation : il sera difficile pour le CSV de ne pas être tenu responsable de toute la politique gouvernementale des cinq prochaines années. S’y ajoute, alors qu’on n’est pas sûr que Jean-Claude Juncker restera fidèle au Luxembourg jusqu’à la fin de la semaine, que le matchwinner du CSV risque d’avoir choisi d’autres cieux d’ici 2009. Si le CSV a gagné ces élections, c’est aussi parce que les années à venir s’annoncent difficiles. À la différence de 1999, le nouveau gouvernement devra être celui de réformes profondes. Or, il sera plus prudent de s’arranger de sorte que leurs effets ne se fassent pas trop sentir avant l’échéance des communales de 2005. Ceci tout en sachant qu’il faudra garder suffisamment de temps jusqu’aux prochaines législatives pour se faire pardonner de ses électeurs. Dès le premier jour, la nouvelle équipe (soit-elle l’ancienne) sera confrontée à un problème de calendrier : quand trouvera-t-elle le temps de gouverner ? Avec la présidence européenne du premier semestre 2005, la première année du gouvernement risque de se dérouler surtout à Bruxelles. Si on y ajoute les lenteurs de la procédure législative luxembourgeoise, 2009 s’approche trop vite. Beaucoup dépendra dès lors de l’organisation du gouvernement. Tous les cinq ans revient l’idée d’une restructuration profonde des portefeuilles. Le but est simple : réduire le nombre de ministères en les renforçant. Le dernier gouvernement avait certes fait un pas dans cette direction, mais seulement pour gonfler le nombre de membres du gouvernement de douze à quatorze. Le Conseil économique et social (CES) a proposé de structurer le gouvernement selon les lignes des formations du Conseil des ministres de l’Union européenne. Il en existe pour l’instant neuf différentes, qu’on pourrait éventuellement réduire encore davantage au niveau national. Or, cela signifierait aussi la fin de ministères comme celui des Classes moyennes et du Tourisme, une redéfinition profonde de l’Économie et une fusion de l’Intérieur et de la Justice, par exemple. Jean-Claude Juncker n’aura du moins pas d’excuses cette fois-ci pour couper court à une telle réforme. Il dispose de tous les arguments pour imposer ses visions à son partenaire de coalition, qui d’ailleurs ne doit pas nécessairement en sortir perdant. La grande question reste néanmoins : avec qui ? La décision qui des trois partis en lice aura sa chance ne tombera plus avant la fête nationale. Les négociations de coalition risquent de ne commencer sérieusement qu’à la fin du mois. Les préférences varient chez les chrétiens-sociaux. Certains réfléchissent peut-être à la compatibilité des programmes. D’autres ont des vues plus stratégiques : il y a ceux qui plaident pour les socialistes, espérant que cinq ans dans l’opposition donneraient au DP un coup dont il ne se relèverait plus. D’autres préféreraient les libéraux, estimant que les guerres intestines du LSAP qui en suivraient, l’affaibliraient pour longtemps. D’autres encore découvrent un certain charme à une coalition avec les Verts. Les deux fractions à la Chambre seraient alors à mener avec des mains de fer. Les deux dernières solutions permettraient au CSV de réduire la présence au gouvernement du partenaire à la portion congrue. Les cinq ministres DP reviendraient peut-être, mais pas les deux secrétaires d’État. Chez les Verts, on peut s’interroger qui pourrait bien occuper un quatrième ou cinquième fauteuil gouvernemental. Au CSV, la situation est plus banale : beaucoup d’ambitions, peu de postes. Au Sud, les ministres sortants Juncker, François Biltgen et Michel Wolter devraient retourner, même si Jean-Marie Halsdorf occupe le troisième rang. Au centre, Luc Frieden rempilera alors que Claude Wiseler semble  incontournable. N’ayant pas d’ambitions majorales, il laisserait l’année prochaine l’attaque de l’Hôtel de Ville de la place Guillaume à Laurent Mosar, sorti troisième des urnes. Erna Hennicot-Schoepges ne dispose plus, comme il y a cinq ans, du bonus de la présidence du parti pour se garantir son siège au conseil de gouvernement. Comme pour Fernand Boden à l’Est, qui désire rester ministre, elle pourrait par contre jouer la carte de l’expérience et du défi de la présidence pour se maintenir encore deux ans. À l’Est, une secrétaire d’État Octavie Modert, forte de son deuxième rang, pourrait en parallèle assurer la relève. Au Nord finalement, certains disent Marie-Josée Jacobs un peu lassée. Si cela se confirmait, Marco Schanck serait le successeur désigné. Puis se pose la question si, à l’image de Jean-Claude Juncker en 1982, le CSV promouvra un jeune loup au gouvernement. Une équipe socialiste serait menée par Jean Asselborn. Toujours au Sud, seul l’amour de Dudelange pourrait freiner Mars di Bartolomeo alors que l’actuel député-maire risquerait de gêner son échevin Alex Bodry, qui devance cependant Lucien Lux sur la liste. Au centre, Jeannot Krecké serait accompagné par Mady Delvaux. Reste à voir comment les socialistes, qui refusent pour l’instant de parler personnes pour ne pas s’entre-déchirer avant même d’être sûr de leur place au gouvernement, traiteraient le Nord et l’Est. Ils ne comptent dans les deux circonscriptions plus qu’un député. Seule consolation : plus Jean-Claude Juncker leur imposera sa loi, moins la question se posera.

Jean-Lou Siweck
© 2023 d’Lëtzebuerger Land