Théâtre

« Jouter le verbe »

d'Lëtzebuerger Land du 08.02.2019

En 1666, Molière joue Le Misanthrope pour la première fois, sur la scène du Palais-Royal. Plus de trois siècles plus tard, au début des années 1990, Jacques Rampal le suit, montrant Célimène et le Cardinal, une suite drôle, revigorante et bien évidemment non officielle, de la pièce de Molière. En ce début d’année, c’est d’une idée lumineuse, que le Tol et le metteur en scène Jérôme Varanfrain investissent le texte de Rampal, conservant la mémoire du génie moliéresque. Et, il faut le dire, la boucle est bouclée.

Célimène et le Cardinal à sa publication, est imaginée comme une suite au Misanthrope de Molière, comédie acide, icône de son temps et critique de l’autorité et des privilèges. Dans le texte de Rampal, on retrouve, vingt ans après leur séparation, Alceste, le fameux Misanthrope – une personne qui cultive un profond dégout du genre humain – et Célimène, une femme coquette et attirante. Tous deux ont trahi leurs anciennes convictions, Alceste passant de Misanthrope à Cardinal, priant pour son prochain et Célimène de libertine à femme et mère d’un foyer bourgeois. C’est affublé de nouvelles dimensions de vie que les deux personnages se retrouvent, dans un rendez-vous engagé par Alceste qui ne semble pas si anodin… Certains sentiments ont survécu au temps. L’amour et le désir qui se sont trouvés inassouvis vont mettre autant d’embarras que de tension dans les retrouvailles de ces anciens tourtereaux.

Jacques Rampal connut un succès sans équivoque à la première de sa pièce Célimène et le Cardinal mise en scène par Bernard Murat en 1992, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Prônant, à juste titre, une mise en scène laissant toute liberté au duo de comédiens. Pourtant, le pari était osé, suivre les pas de Molière paraissait être une trop grande audace, un acte plein de prétention, voire même de pure folie, pour certains. Mais les temps changent, bien heureusement, et le texte de Jacques Rampal, outre respirer un profond respect pour son maître, donne à entendre des lignes de dialogues aux questionnements très modernes. C’est avec un sens aigu de la moquerie et une verve forte de subtils alexandrin, qui n’empêchent pas pour autant un discours très actuel, que Célimène et le Cardinal est devenu un classique de son temps.

« Alceste : (…) Jésus, sur la croix, était très malheureux…

Célimène : Que je sache, il n’a pas passé sa vie en croix ! »

À l’entrée, on nous dit Frédéric Largier (Le Cardinal) grippé et de fait forcément un peu faible, pourtant, même si quelques échos de gorge sonnent dans ce sens, ces « maux » semblent servir ses « mots », ouvrant sa voix à d’étonnants jeux de tonalités. En sus, la belle énergie dépensée par Collette Kieffer (Célimène) est visiblement communicative… Les deux comédiens sont excellents et c’est peu dire : le rythme, l’écoute, la présence sont on ne peut plus palpables. Ce, également dû à la mise en scène limpide signée du comédien luxembourgeois Jérôme Varanfrain, pleine d’allusions à la modernité du texte, couplant dans la scénographie (Jeanny Kratochwil) le faste des maisons bourgeoises progressistes du XVIIe, avec son mobilier cossu et sa bibliothèque transgressive, aux fauteuils type « Louis Ghost » de Philippe Starck et une reproduction d’une toile d’Egon Schiele, au centre de l’attention.

Au premier rang, on vit le texte, emportés par le duo qui, de toute façon, ne semble pas vouloir nous lâcher. C’est bien l’adage des petites scènes comme celle du Tol, celui de donner aux comédiens le pouvoir de considérer son public autant que son partenaire de jeu. Et c’est le sentiment que nous avons ces derniers temps dans ce petit théâtre de la Route de Thionville qui, de pièce en pièce, de duo en duo, nous bouscule autant qu’il nous ravit. À l’image de ce Célimène et le Cardinal qui valait largement de braver la neige.

Dans Célimène et le Cardinal c’est un duel de répliques fleuries et éclairées qui se joue. Des tirades fortes que tour à tour Alceste et Célimène s’envoient en pleine caboche, tentant tantôt de séduire, souvent en vain, tantôt d’assommer l’autre à coup d’uppercuts en alexandrins. Néanmoins, cela est évident, nous parlons bien d’amour, l’un de ceux-là : brûlant et vache. Aussi, sur scène, Collette Kieffer et Frédéric Largier jubilent autour de la mise en scène de Jérôme Varanfrain, simple mais concentrée strictement sur ce « match du siècle ».

Célimène et le Cardinal de Jacques Rampal ; mis en scène par Jérôme Varanfrain ; scénographie par Jeanny Kratochwil ; avec Colette Kieffer et Frédéric Largier ; prochaines représentations les 9, 14 et 15 février à 20 heures ainsi que le
10 février à 17h30 ; www.tol.lu.

Godefroy Gordet
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